dimanche 14 juillet 2013

Aimer !

T.O. 15  Dimanche  2013 -

Quelles que soient les dispositions du docteur de la Loi qui intervient auprès de Jésus, il pose la question essentielle, la seule vraiment importante : “Que dois-je faire pour avoir part à la vie éternelle ?” - Jésus le renvoie à l’Ecriture, à la Parole de Dieu ; et il approuve la réponse de ce docteur qui cite deux préceptes de la Loi : “Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même” - “Très bien, dit Jésus. Fais cela et tu auras la vie”.

Jésus ne voit rien à changer, ni à ajouter à ces préceptes qui ont le secret de nous mener à la vie éternelle. Pourtant, les conditions et les qualités de cet amour demandé s’approfondissent encore à la lumière de son enseignement, à la lumière de la révélation parfaite qu’il apporte : avec le Christ, l’amour de Dieu doit devenir plus filial ; avec le Christ, l’amour du prochain deviendra universel.

Mais ces seuls préceptes ont de quoi déjà nous impressionner fortement par leur existence.
“Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. C’est tout notre être intérieur, toute notre vie profonde, tout ce que nous avons d’esprit, de cœur, de force, de vitalité qui doit être offert, donné à Dieu par amour. “De tout ce qui vit en toi, tu aimeras la source de la vie”, commente St Augustin.

Et, de fait, c’est bien d’un amour total et absolu que doit être aimé l’unique Seigneur. S’il est le Dieu infini, la Beauté souveraine, l’Amour même comme dit St Jean, il ne peut être aimé que sans mesure. Seul un amour sans mesure est digne de lui, même s'il ne peut acquérir cette perfection que dans la vision éternelle de Dieu. "L'homme est grand surtout par le cœur, disait M. Pouget (Maître de Jean Guitton), cet aveugle qui percevait déjà les réalités éternelles ; et alors qu'il est encore incapable de voir Dieu ici-bas autrement qu'à travers des ombres, il peut déjà par le cœur s'attacher à lui d'un amour qui n'acquerra d'autre perfection qu'une immuable stabilité dans la gloire".

Mais déjà, ici-bas, cet Amour s’exprimera alors
par un “oui” inconditionnel à la volonté divine
par une orientation habituelle de notre âme vers lui,
par un désir de Dieu, inscrit en toute notre vie,
et par ce quelque chose d’inexprimable que les saints ont éprouvé :
ils connaissent Dieu, c’est-à-dire que, pour eux, rien au monde n’existait plus que lui ; leur cœur était consumé de cet amour et en même temps comblé. Alors ils s'écrient comme St Augustin : "J'aime parce que j'aime. J'aime pour aimer. Quelle grande chose que l'amour, pourvu qu'il revienne à son principe, retourne à son origine, et, refluant vers sa source, lui emprunte de quoi couler sans arrêt".


Aussi, en Dieu et pour lui, ils aimaient le prochain. Conséquence logique !
Car notre amour de Dieu serait pure illusion s’il ne s’exprimait dans l’amour et le service des autres qui sont aimés de Dieu, eux aussi.

“Tu aimeras le Seigneur ton Dieu… et ton prochain”. C’est le même verbe qui commande ces deux objets, Dieu et le prochain. C’est en aimant les autres que nous prouvons à Dieu que nous l’aimons. C’est le même amour de charité. Pourtant, il n’est pas dit : Tu aimeras ton prochain de tout ton cœur, de toute ton âme… Cela est réservé à Dieu qui est infiniment au-dessus de nous. Mais “tu aimeras ton prochain comme toi-même, parce qu’il est ton égal, de la même nature que toi, parce qu’il est ton frère.

Aussi, ce commandement est, lui aussi, d’une exigence extrême. On s’aime soi-même, n'est-ce pas, on se veut naturellement du bien, on doit s’aimer de charité. Et bien, c’est ainsi qu’on doit aimer les autres. “Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux.”

Mettez-vous à leur place. Vous voudriez de la miséricorde ; faites miséricorde. Mais si vous n’en recevez pas, faites encore miséricorde.

Et Jésus illustre son propos par cette belle parabole du Samaritain au grand cœur.

Au milieu de ce récit brille comme un diamant le mot grec rendu par l’expression : “il fut saisi de pitié”. C’est le mot le plus important de toute la parabole. Le Samaritain, en voyant le blessé, est bouleversé de compassion. Il s’approche ; les autres étaient passés, indifférents. Lui s’approche avec un cœur bon et compatissant.
Et la suite nous montre comment sa charité est active, inventive. Il voit tout de suite ce qu’il faut faire, et il le fait sans craindre de perdre son temps ou son argent.
L’admirable dans toute cette description si détaillée est le naturel avec lequel le Samaritain exerce son dévouement. Il semble trouver cela tout normal. Sa charité est totalement désintéressée. Pourtant, il s’est dépensé lui-même ! Il s’est montré réellement le prochain de cet homme en détresse. Le docteur de la Loi demandait "qui est mon prochain ?", qui se fait proche de moi, en quelque sorte ! Le Samaritain de la parabole renverse la question en répondant qu'il s'agit non pas d'attendre que l'autre se fasse proche de moi, mais de se faire proche de l'autre pour qu'il devienne un frère !

Par cette parabole Jésus nous montre ce qu’est aimer et agir charitablement à l’égard des autres quels qu’ils soient. “Petits enfants, dira St Jean, n’aimons ni de mots ni de langue, mais en actes et en vérité” (I Jn 3/18).

Nous nous indignons intérieurement devant l’indifférence glaciale du prêtre et du lévite, et nous avons raison. Mais peut-être, quelques fois, en d’autres circonstances, nous leur ressemblons un peu. Il y a en nous des zones où trouvent place difficilement la compassion, le préjugé favorable, la miséricorde, le pardon. Et pourtant, nous sommes attirés par la grandeur d’âme du Samaritain. Nous voulons l’imiter.

Pourquoi ? Parce que la Parole du Seigneur, Parole d'Amour divin, a été mise dans notre cœur comme le disait la première lecture. “Elle est tout près de toi, cette parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique”. Par la Parole divine reçue en nous, notre cœur devient désireux d’aimer, prêt à aimer. D'autant que cette Parole divine s'est faite chair : "Et le Verbe s'st fait chair" pour nous révéler que "Dieu est Amour !".

Car, derrière le bon Samaritain se dessine l’image saisissante du vrai Samaritain, le Christ lui-même, se penchant avec une miséricorde infinie sur l’homme blessé, sur l’humanité malade, sur chacun de nous. Il se penche sur nos blessures pour les guérir. Il est venu pour cela. C’est ce qu’évoque l’hymne grandiose de la lettre aux Colossiens que nous a fait entendre la seconde lecture. Cette hymne est tout entière à la gloire du Christ. Elle célèbre sa grandeur universelle dans l’œuvre de la Création et dans celle de la Rédemption. S’il est à la tête du Corps qu’est l’Eglise, s’il a tout réconcilié, c’est parce qu’il est venu au secours de toute misère, par la souffrance et le sacrifice, par le sang de sa croix.

Et il est toujours là pour nous aider.
Nous pourrions être découragés devant les exigences des deux grands commandements.
- Aimer Dieu sans mesure, nous qui sommes si mesurés, si milités, si petits !
- Aimer le prochain avec cette constance et cette générosité du Samaritain !
Oui, pour atteindre à ces hauteurs, l’amour doit parcourir un long chemin et surmonter bien des obstacles. Mais le bon Samaritain, le Christ, est là, toujours. Il ne nous manquera jamais si nous le désirons vraiment !

Et cette conviction peut être ressentie par tout homme. Rumi, grand mystique musulman du 13ème siècle, enterré à Konya (Iconium du temps de St Paul), s'écriait : “Si tu ne veux pas mourir, vis dans l’amour ; si tu meurs dans l’amour, tu vivras !”.

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