T.O. 13 Dimanche
2013 -
(Luc 9.51-62)
L’évangile d’aujourd’hui se situe à la charnière
des deux grandes parties du récit de St Luc.
Jusqu’ici, il avait répondu à la question
que tous se posaient à propos de Jésus : “Mais qui donc est cet homme ?” Cet homme qui parle
comme jamais homme n’a parlé et accomplit tant de prodiges. Sa notoriété était
si grande que ses compatriotes, agacés, avaient délégué quelques observateurs
pour s’enquérir des faits et gestes de ce concitoyen qui mettait leur bourgade
de Nazareth en valeur médiatique.
Mais voilà que Jésus, selon son habitude,
avait soudainement retourné l’interrogation. A ses disciples, il avait posé la
question : “Et pour vous, qui
suis-je ?” – Pierre, au nom de tous, avait répondu : "Tu es le Messie, le Christ !”
Alors, Jésus avait dévoilé à trois d’entre
eux son identité messianique, sur la montagne de la Transfiguration.
C’est alors que Luc note de façon
lapidaire : “Jésus prit résolument
la route de Jérusalem”. En mot à mot : “Jésus
durcit son visage vers Jérusalem”, formule qui rappelait la
détermination du "Serviteur souffrant", selon Isaïe, face à
ses adversaires : “Le Seigneur me
vient en aide ; dès lors, je ne cède pas aux outrages, j'ai rendu mon
visage dur comme pierre ; car je sais que je ne serais pas confondu”
(Is 50,
7).
Luc veut déjà faire allusion au mystère de
la Croix, à celui de la Résurrection et encore à celui de l’Ascension : “Comme s’accomplissaient les jours de son
enlèvement”, dit-il. Il emploiera le même mot le jour de l’Ascension,
ce jour où Jésus est enlevé vers la gloire de son Père, comme Elie dont il est
question dans la première lecture fut enlevé au ciel sur un char de feu au
regard de son disciple Elisée.
Autrement dit, Jésus se détermine à prendre
la route de Jérusalem où se réalisera tout le mystère pascal : Mort,
Résurrection, Ascension, mystère qui constitue le fondement de
notre foi et doit déterminer notre vie de baptisé.
Aussi, ne faut-il pas chercher dans
l’évangile de Luc des données topographiques du chemin de Jésus, mais bien
plutôt des consignes pour se mettre à la suite de Jésus !
Et St Luc note, de façon très
intentionnelle, le passage de Jésus par la Samarie.
Quand on sait la haine séculaire qui,
fondée sur des motifs raciaux, politiques et religieux, oppose Juifs et
Samaritains, on ne s'étonne pas du mauvais accueil de ceux-ci. Mais ce rejet
prend pour Luc une valeur particulière ; il sert à souligner le climat
d'hostilité générale qui pèse sur Jésus :
- il a déjà essuyé le refus des siens à Nazareth
(4,
28-30),
- celui des païens à Gérasa (8, 37) ;
- bientôt ce sera la condamnation du Sanhédrin.
Tout cela fait partie du prologue du
mystère pascal.
Mais les disciples ne comprennent pas le
sens de la mission de leur Maître. Ainsi, Jacques et Jean, les “fils du
tonnerre” (Mc
3, 17),
en appellent au feu du ciel, ce feu qu’Elie fit tomber sur ses
persécuteurs (2
R 1, 9-12)
; Luc aime à montrer en Jésus l'accomplissement d'une attente juive qui
escomptait un retour d'Élie ; or, ici, il y a bien plus qu'Élie : Jésus
triomphera de ses adversaires, mais en livrant sa vie par amour. C’est le
feu de l’Amour divin qui anéantira tous les opposants au Dieu du ciel.
Remarquons encore que Luc semble porter un
intérêt particulier à la Samarie :
- Seul il nous rapporte ce passage qu'y
fait Jésus,
- Seul il nous raconte la parabole du
Samaritain (10,
30-37)
l'histoire du lépreux guéri en reconnaissant : “or c'était un Samaritain !” (17,16).
- Sans doute, l'évangéliste entend-il
préparer ainsi ce que, dans son livre des Actes, il relatera sur la conversion
de ce pays maudit (Ac
8, 5-25).
- Peut-être, pense-t-il déjà, qu'un autre
feu du ciel, un jour, descendra sur les Samaritains : celui de l'Esprit Saint
par l'imposition des mains de Pierre et Jean (Ac 8, 17).
Et sur cette route de Jérusalem,
l'évangéliste place ici trois petits dialogues qui expriment, avec une vigueur
volontairement choquante, les exigences qui s'imposent à quiconque veut suivre
Jésus de la croix à la gloire : “Ne
fallait-il pas que le Christ souffrit cela pour entrer dans sa gloire ?",
expliquera-t-il plus tard.
Je ne m’attarderai pas longuement sur ces
trois petits récits qui doivent une partie de leur force à leur schématisme :
on devine que ces récits ont tellement été dits, redits et répétés qu’il
suffisait d’une concision extrême pour en rappeler toute la profondeur.
La première exigence proposée à qui
veut suivre Jésus est d'être prêt à partager l'inconfort et l'insécurité
qu'il connaît ; plus nettement que les autres, Luc signale la dure condition
itinérante de Jésus.
Or, ne sommes-nous pas tous que des
itinérants ici-bas ? Notre véritable patrie est dans les cieux, dira
l’épître aux Hébreux.
De plus, l’emploi du titre de “Fils de
l'homme” attribué ici à Jésus rappelle que notre pèlerinage ici-bas [même si
nous avons beaucoup d’amis qui nous accueillent, au contraire des Samaritains à
l’égard de Jésus] comporte, comme pour lui, bien des difficultés, dangers,
souffrances et la mort elle-même. Cependant, à la suite de Jésus qui prend sa
croix, nous savons que quiconque perd sa vie avec lui la sauvera. St Luc venait
de le dire quelques versets auparavant.
Le deuxième dialogue est tout aussi dur
et même, révoltant : les cérémonies funèbres constituaient dans le judaïsme une
obligation sainte fondée sur le 5ème commandement du Décalogue (Ex 20, 12). Par cette
formule, là encore trop concise à force d’être répétée, Jésus veut qu’on
s’éloigne du Règne de la mort, de toute mort.
Ceux qui le suivent doivent annoncer le
Règne de Dieu. Or Dieu, dira Jésus, n’est pas le Dieu des morts, mais des
vivants. Le chrétien doit porter en lui-même les signes de la Vie, la Vie même
de Dieu, lui qui a les issues de toute mort.
Le dernier candidat sollicite un délai
pour prendre congé des siens ; c'est ce qu'avait demandé, lors de son appel,
Élisée (l
R 19, 19-21, 1ère lecture) ; et le prophète Élie le lui avait accordé.
Jésus est plus exigeant. Sa réponse
souligne l'urgence de la mission, la nécessité d’une rupture profonde. Il ne
faut plus regarder en arrière.
Le meilleur commentaire serait celui de St
Paul dans la seconde lecture. Il nous parle de vraie liberté. Plus on se détache,
plus on est libre et pour Dieu et pour ses frères. Nous savons combien
d’attachements divers nous contraignent et nous empêchent d’accéder au bien que
Dieu veut pour nous et pour nos frères !
Baptisés, nous marchons avec Jésus vers
l’accomplissement de son mystère pascal en nous-mêmes. Ce mystère se
réalisera pleinement avec lui en la Jérusalem céleste !
Oui, notre route est parfois inconfortable,
au milieu des signes de mort qui nous entourent, exigeante aussi. Mais notre
route va vers le Royaume de Vie : la Vie même de Dieu.
Aussi, soyons comme St Paul qui, avec tant
d’autres, avait compris tout cela : désormais, disait-il, “je m'élance pour tâcher de saisir le
Christ, parce que j'ai été saisi moi-même par lui, le Vivant !... Mon seul
souci : oubliant le chemin parcouru et tout tendu en avant, je m'élance vers le
but..." (Ph
3, 12-14).
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