T.O. 12 Dimanche
2013 -
Vous l'avez certainement remarqué : quand
un mal ou un malheur arrive dans notre société que l'on qualifie pourtant de
hautement développée, tout de suite on cherche un responsable. Cela
n'aurait pas du arriver, pense-t-on ! Il doit y avoir une erreur quelque part,
erreur humaine, peut-être même une faute, faute professionnelle... Et on se
souvient de l'affaire du sang contaminée où l'un des prévenu avait proclamé : "Responsable, oui, mais pas coupable
!". Ce fut un beau "tollé" ! Notre monde ne se satisfait pas
d'une explication purement matérielle : au-delà d'une défaillance technique, il
recherche les coupables comme si, pour exorciser sa peur, pour que tout rentre
dans l'ordre, il lui fallait une victime sur qui décharger son angoisse, un
bouc émissaire chargé de tout le mal !
Quelqu'un peut être ainsi la victime de
la mauvaise conscience d'une société qui cherche à se libérer ; victime de
l'injustice des hommes car parfaitement innocent du mal dont on le charge. Il
peut se révolter dans l'impuissance ; mais on le sait d'avance : cela ne
changera rien !
Cette victime peut choisir encore une voie
plus haute : celle qui consiste à prendre sur soi, par amour, le mal d'un
peuple - cela est arrivé durant la dernière guerre, par exemple - ! Porter
sur soi le mal de l'humanité ! Porter, comme un agneau innocent, le péché du
monde, enlever le péché du monde, comme un juste souffrant qui offre sa vie
pour le salut de tous !
Cette figure du "Serviteur
Souffrant", un prophète du temps de l'exil du peuple élu à Babylone,
le "Second Isaïe" l'avait évoquée dans ses oracles, au 6ème
siècle avant Jésus Christ.
Et voici qu'un peu plus tard, vers le
milieu du 4ème siècle, un autre prophète, Zacharie, le présente à
nouveau : il nous est décrit dans notre première lecture ! Il s'agit d'un
"Juste" que l'on a rejeté, accablé comme un bouc émissaire, en se
débarrassant sur lui de tous les maux pour se donner bonne conscience... :
schéma classique et banal jusque là !
Mais voici une nouveauté : Zacharie
entrevoit le jour où les hommes ouvriront les yeux devant le résultat de leur
méchanceté. Ils reconnaîtront leur péché dans une vraie conversion, et "ils lèveront leurs yeux vers celui
qu'ils ont transpercé", dans une attitude pleine de foi et
d'espérance. Et pour nous chrétiens, le texte de Zacharie est encore plus
significatif puisqu'il fait dire à Dieu, littéralement : "ils lèveront leurs yeux vers Moi, celui qu'ils ont
transpercé".
Mais - il faut le reconnaître - ce type de
Messie, de Messie souffrant qui nous sauve en donnant sa vie, le peuple
d'Israël - et donc les apôtres - ne l'avait pas beaucoup retenu dans sa mémoire
collective : ce qu'ils attendaient, c'était un Messie libérateur de la
puissance occupante, un Messie vengeur, guerrier, triomphant qui assurerait la
victoire de son peuple et ferait régner la paix, la justice.
Jésus, au contraire, semble bien
comprendre que c'est ce type de "Juste souffrant" et "donnant sa
vie" qu'il doit être pour libérer les hommes du mal intérieur qu'est le
péché... !
On peut mesurer la distance entre l'attente
des apôtres et le projet de Jésus... Alors, dans notre passage d'évangile,
aujourd'hui, Jésus prend l'initiative et il pose la question : "Pour la foule, qui suis-je... et
pour vous ?".
La scène est bien connue et l'on sait
qu'elle est la réponse de Pierre. Mais notre mémoire a surtout retenu le récit
de l'évangile selon St Matthieu qui est centré sur Pierre : "Tu es le Christ, le Fils du Dieu
vivant", avec la réponse de Jésus : "Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise ; je te
donnerai les clefs du Royaume des cieux...". Puis, Jésus annonce sa
passion. Pierre veut l'en détourner et se fait traiter de Satan, car il fait
obstacle à Jésus qui a choisi d'être un "Messie souffrant". Cela,
c'est le récit de Matthieu, centré sur la personne de Pierre.
Ici, dans notre passage, St Luc procède
différemment. La scène n'est pas située à Césarée de Philippe, comme en Matthieu,
ni même située dans le temps de façon précise : "Un jour...", dit Luc, et la réponse de Pierre est
différente : "Tu es le Messie de
Dieu ! ". Le Messie, c'est -à-dire l'envoyé de Dieu, le consacré. Mais
cette profession de foi demeure encore ambiguë dans la bouche de Pierre. Jésus
va préciser : "il faut que le Fils
de l'homme soit rejeté par les Autorités, qu'il soit tué, pour ressusciter le
troisième jour".
C'est ici qu'intervient la différence entre
Luc et Matthieu. Luc ne nous parle plus de Pierre, ni de sa primauté dans
l'Eglise, ni de son opposition à Jésus. Luc nous montre Jésus s'adressant alors
à la foule. La foule des disciples, c'est-à-dire nous, les croyants. Et Jésus
proclame : "Celui qui veut marcher à
ma suite, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix, chaque jour, et
qu'il me suive...".
Ainsi, Luc enchaîne directement la
profession de foi de Pierre, l'annonce de sa passion et les exigences pour
nous, ses disciples. Pour Luc, dans ce passage, Pierre devient le type même du
croyant, du disciple, de celui qui marche à la suite de Jésus. Pierre devra
accepter que Jésus soit un "Messie souffrant", le "Serviteur
Souffrant".
Bien plus, pour être disciple de Jésus, il
faut accepter de le suivre sur ce chemin entrevu par le prophète Zacharie :
suivre Jésus jusqu'à la Croix, en acceptant par amour de perdre sa vie, en
levant les yeux avec foi vers la croix de Jésus, "vers moi, dit Dieu, Celui
que l'on a transpercé !". C'est là, en Jésus - Dieu et homme - où se
manifestent de façon suprême la bonté, la miséricorde divines envers tous les
hommes.
Tout comme nous-mêmes, Pierre et les
disciples auront du mal à accepter que Jésus soit "Messie Souffrant".
Certes, un peu plus tard, la Transfiguration viendra apaiser le trouble que cette
annonce avait dû provoquer. Il n'empêche, dans cet épisode, Jésus se présente
bien comme le Messie qu'il a choisi d'être, à contre-courant des attentes de son
peuple : un "Messie" qui sauve par la croix.
Ce ne dut pas être facile pour Jésus, et les
tentations au désert nous le montrent bien. Pour Jésus, c'est un choix, un choix
mûri dans la prière, comme le souligne St Luc, lui que l'on appelé
"l'évangéliste de la prière" : "Un
jour Jésus priait à l'écart !" Et c'est après la prière de Jésus qu'il
est précisé : "Comme sers disciples
étaient là, il les interrogea : pour vous, qui suis-je ?".
Au cours de cette Eucharistie, Jésus nous
interroge : pour toi, qui suis-je ? Et il nous avertit : "Celui qui veut être mon disciple, qu'il renonce à lui-même, qu'il
prenne sa croix, chaque jour, et qu'il me suive". Devant la spirale de
la violence, le déchaînement du mal dans notre monde et la recherche incessante
de boucs émissaires, il nous faut humblement regarder la croix, essayer de
suivre Jésus sur le chemin de la vie donnée par amour pour qu'enfin le mal soit
vaincu, en moi et dans le monde !
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