Pâques 5 Jeudi - Ac 15, 7-21 - Ps 95
- Jn 15, 9-11
La
lecture d’aujourd’hui nous plonge profondément dans le premier Concile de l’histoire de l’Eglise, à Jérusalem vers 48 ap. J.C.
- St Luc, avec un art littéraire consommé, manifeste, là encore, sa
préoccupation : même si Pierre, Jacques et Paul sont inséparables comme “colonnes
de l’Eglise“, il veut toujours mettre en valeur cependant la primauté de Pierre.
Ainsi, après la conversion de
Paul sur le chemin de Damas, Luc l’avait fait “disparaître“ de son récit et
avait porté son attention sur Pierre qui, profitant d’une période de
tranquillité, avait évangélisé Lydda (Lods, actuellement, l’aéroport d’Israël) et Joppé (Jaffa, tout près de
Tel-Aviv, où l’on peut encore visiter la maison de “Simon le Corroyeur“ chez
qui séjourna Pierre - Ac. 9.43).
Puis,
il avait baptisé le centurion Corneille, à Césarée, au cours d’une sorte de
nouvelle “Pentecôte pour les païens“ : “Pierre, dit Luc, parlait encore quand l’Esprit Saint
tomba sur tous ceux qui écoutaient la Parole… ; et tous les croyants
circoncis qui étaient venus avec Pierre furent stupéfaits de voir que le don
du Saint Esprit avait été réparti aussi
sur les païens“ (Ac 10,44). Et le chef des apôtres de conclure :
"Peut-on refuser l'eau du baptême à
ceux qui ont reçu l'Esprit Saint aussi bien que nous ?"
(Ac 10,47). Le premier à faire entrer les païens dans
l’Eglise, ce n’est pas Paul, c’est Pierre !
C’est seulement après avoir
montré cette primauté de Pierre que St Luc “remet en scène“ Paul que Barnabé va
chercher à Tarse pour l’amener à Antioche de Syrie d’où partira le premier
grand voyage missionnaire.
Il me plaît, ici, de faire une
remarque : entre le chemin de Damas et le premier voyage missionnaire, il y
a la durée d’une dizaine d’années ! Dix ans ! Qu’a donc pu faire pendant tout ce temps le
bouillant Saul devenu Paul, formé autrefois à l’école de Gamaliel (disciple de son
aïeul Hillel, plus tolérant que Shammaï, son rival dans l’interprétation de la
Tora) ?
Paul
indique seulement qu’il se rendit en Arabie (Gal.1.17) en précisant que “le mont Sinaï est en Arabie“ (Gal 4.25) ! Ce qui
soulève une grande question historique et géographique ! Il est vrai que
la tradition du Sinaï dans la péninsule égyptienne ne date que du 3ème
s. (La
fameuse pèlerine Egérie en fait mention pour la première fois !). Cette tradition serait
due à des chrétiens qui auraient fui les persécutions. Et elle fut accréditée par
Ste Hélène qui y fit construire une chapelle, puis, au 6ème siècle,
par l’empereur Justinien qui ordonna la construction d’un monastère-forteresse
pour la sécurité des religieux et des pèlerins. Quoi qu’il en soit, Paul semble
assimiler le Sinaï à la sainte montagne de l’Horeb en Arabie, là où Elie s’était
réfugié et avait rencontré Dieu “dans le
bruissement d’un souffle ténu“ (m-à-m. : dans une “poussière de
silence“ ou dans “l’éclatement d’un silence“ - I R. 19.12).
Aussi,
j’aime à penser que Paul, cet élève de Gamaliel, en cette montagne sainte, relut
toute les Ecritures à la lumière du Christ ressuscité, comme Jésus l’avait fait
avec les deux disciples d’Emmaüs : “En
commençant par Moïse et les prophètes, il leur expliqua dans toutes les
Ecritures ce qui le concernait“. (Lc
24.27).
Il est clair, en tous les cas, que Paul qui n’avait pas une bibliothèque à sa
disposition durant ses voyages (Internet n’existait pas !) mentionne très
souvent l’Ancien Testament pour annoncer la “Bonne Nouvelle“ de Jésus-Christ.
Et puis, cette mise à l’écart -
dix ans durant - est tout à fait dans la pédagogie divine ! Quand Dieu
suscite un homme pour une action importante, il commence par lui dire :
“Va te cacher !“.
-
Il y a Moïse : quarante ans dans le désert avant l’aventure du
peuple élu !
-
Il y a Elie. Dieu lui dit : “Va-t-en…
et cache-toi au torrent de Kérit“ (I R. 1.17).
-
Il y a, bien sûr, Notre Seigneur lui-même : trente ans de vie cachée et trois ans de vie publique
seulement !
-
Il y a donc Paul … et beaucoup d’autres à sa suite.
Quoi qu’il en soit du retrait de
Paul, c’est encore Pierre que St Luc fait parler en premier, au Concile de
Jérusalem . Se souvenant, sans doute, de la conversion de Corneille,
Pierre affirme : “Dieu a donné l’Esprit
Saint aux païens comme à nous, sans faire aucune distinction. Ce serait
tenter Dieu que “de leur imposer un
joug que ni nos pères, ni nous-mêmes n’avons eu la force de porter“.
L’assemblée fait silence pour écouter Paul et
Barnabé exposer ce qui s’était passé pendant les deux années de leur voyage
missionnaire.
Puis c’est Jacques
qui prend la parole.
Il y a là une remarque à faire
fort intéressante et importante, mais difficile de développer en quelques
lignes.
Jacques forme son
argumentation à partir du prophète Amos qu’il doit aimer à cause de ses exigences
et rigueurs spirituelles. C’est un terrible, ce petit prophète Amos, sévère, implacable…,
au point d’en être parfois fort impoli. Rappelez-vous : il apostrophe
vertement les grandes dames de la cour de Samarie qui s’adonnent, sans vergogne,
aux plaisirs de la vie. Il va jusqu’à les traiter - rendez-vous compte ! -
de “vaches de Bashan“, ces vaches
bien plantureuses que l’on élevait sur les plateaux du Golan (Os. 4.1). - Sans aller jusqu’à ces impolitesses,
discourtoises pour le moins, Jacques se montre un apôtre exigeant et sévère,
lui aussi : “A quoi cela sert-il que
quelqu’un dise : « J’ai la foi » s’il n’a pas les œuvres ?
….Comme le corps sans l’âme est mort ; de même aussi, sans les œuvres, la
foi est morte“. (Jc
2.14sv ).
Ainsi donc, Jacques cite le
prophète Amos, ce petit prophète qui va jusqu’à remettre en question l’élection
du peuple élu quand il rapporte les paroles de Dieu : “Je n'ai
connu que vous de toutes les familles de la terre ; c'est pourquoi je vous châtierai pour toutes vos
fautes“ (Am. 3.2).
Par la suite, on a
éprouvé le besoin, chez les scribes, de tempérer la sévérité de ce prophète par
une conclusion plus rassurante (et c'est la citation de Jacques au Concile de Jérusalem) : “Je
rebâtirai la hutte branlante de David…, dit Dieu, afin qu’ils possèdent le
reste d’Edom et toutes les
nations sur lesquelles mon Nom a été prononcé“ (Am. 9.11-12).
- “Edom“, dans la tradition juive, évoque l’ennemi
traditionnel. La restauration d’Israël est conçue comme une revanche sur cet
ennemi.
- Une revanche signifiée par le verbe
“posséder“ (“rache“ :
“conquérir“).
Voilà ce qu’exprime
le texte de tradition hébraïque : une exaltation du peuple d’Israël qui
doit conquérir toutes les nations : “…afin
qu’ils conquièrent le reste d’Edom et toutes les nations…“.!
Mais
- chose remarquable - Jacques choisit cette citation non dans la
tradition hébraïque mais dans la transcription des Septante (écrite deux
siècles av. J.-C. à Alexandrie) : “…afin
que le reste des hommes cherche le
Seigneur ainsi que les nations païennes sur lesquelles mon Nom a été prononcé“.
Un sens grandement différent dû à deux petits
changements :
- “Edom“ est devenu “Adam“. (il suffit de
changer la prononciation sous les mêmes consonnes : Edom, Adam : même
écriture en hébreu. Le
texte hébreu - la Massore - (tradition de Jérusalem) ne prit sa forme définitive
qu’au 9ème siècle ap. J.C, avec les “punctatores“ qui fixèrent des
points sous les consonnes pour définir la prononciation).
Ainsi l’ennemi traditionnel, “Edom“ devient
“Adam“, toute l’humanité !
- Et devant le verbe “posséder“,
“conquérir“ (“rache“), les traducteurs
de la Septante se sont permis d’ajouter une consonne, un daleth (d), ce qui donne non
plus “rache“, mais “drache“ qui veut dire chercher (d’où dérive le mot
plus connu “midrash“, chercher Dieu !).
C’est
ainsi que le texte primitif - hébraïque -
“Je
rebâtirai la hutte branlante de David… afin qu’ils possèdent le reste d’Edom et
toutes les nations sur lesquelles mon Nom a été prononcé“.
devient :
“Je
rebâtirai la hutte branlante de David… afin que le reste des hommes cherche le
Seigneur ainsi que toutes les nations …“.
Quel changement ! Quelle
ouverture ! On est passé d’une revanche sur l’ennemi traditionnel à une
vocation adressée à toute l’humanité pour partager la connaissance - réservée
jusque là au peuple élu - du seul Dieu vivant et vrai ! C’est toute
l’humanité qui se met à chercher le Dieu d’Israël et non plus Israël qui
prend sa revanche contre son ennemi traditionnel !
Un
sens grandement différent que permettent les subtilités et le génie de la
langue hébraïque, cette langue que Dieu a choisie pour parler aux hommes,
selon une pédagogie qui doit permettre à l’homme d’évoluer peu à peu vers la
vérité toute entière…
En citant Amos d’après
la tradition des Septante, Jacques
souligne une ouverture : cette possibilité qu’a tout homme (même païen) d’entrer en
relation avec le Dieu Unique ! Jacques fut souvent qualifié de
“judéo-chrétien“ (on
dirait aujourd’hui traditionaliste !). C’est vite dit ! En fait, Jacques
se montre très accueillant, moins que Paul et Barnabé peut-être (?), aux
païens convertis.
Avons-nous cette même ouverture, cet esprit
d’universalité de l’Eglise du Christ ?
Jacques, me
semble-t-il, est un “sage“ qui sait établir des tremplins afin d’éviter des
ruptures. En parlant comme il l’a fait, il s’est montré certainement un grand
modérateur !
Cependant, on le devine : il
y a eu certainement de fortes
tensions au sein de la Communauté chrétienne, lors de ce Concile de
Jérusalem. St Luc, dans le livre des Actes, ne les dissimule pas. Elles ont
existé tout au long de l’Ancien Testament… tout au long de l’histoire de
l’Eglise. St Luc nous donne une bonne leçon aujourd’hui en nous présentant
St Jacques, intelligent et pieux certainement ; il ouvre la porte de
l’Eglise non avec fougue (comme
l’aurait voulu Paul, peut-être), mais avec grande sagesse. Il ne fait pas de
distinction entre les personnes.
Il demande simplement aux
convertis du paganisme de s’abstenir des idoles (des habitudes idolâtriques), des unions
illégitimes et des viandes étouffées et du sang (le sang était alors symbole de la
vie ; et la vie vient de Dieu !). Après tout, il n’est pas interdit de
rappeler ces paroles en notre temps, en notre monde oublieux de Dieu, où tout
est soumis à l’idole de l’Economie, où on mange
n’importe quoi, n’importe comment et n’importe quand, et où on donne un
statut légal aux unions illégitimes !
J’ai
été trop long ! Veuillez m’en excuser. Mais le texte en valait la peine.
C’était aussi pour compenser mes silences de ces jours-ci et … aussi… sans
doute, mes silences futurs, sans pour autant perdre la parole !
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