27e Dimanche du T.O./2018
Jésus
se fâche! Oui, le Christ est capable de se fâcher! Contre les marchands du Temple, on le sait. On
trouve même cela normal !
Mais
il peut se fâcher aussi contre les Apôtres. Le motif de cette colère ? Les
"Disciples" rabrouaient des enfants. On essaie d'empêcher des enfants
de l'approcher, de le toucher.
Jésus
s'était fâché également parce qu'on avait voulu faire taire un aveugle trop
pressant, éloigner une femme malade, faire reculer tous ces humbles qui
"osaient" déranger le Maître.
Ainsi
donc, des enfants turbulents renvoyés durement à leurs jeux provoquent la
colère de Jésus !
Pourquoi
? Plusieurs raisons sans doute, mais peut-être celle-ci d'abord : le secret
du cœur de l'enfant qui séduit le cœur du Christ, c'est LA VERITE,
la
vérité qui les rend proches du Royaume,
la
vérité qui les fait habitants naturels et exclusifs du Royaume, au point
que nul ne peut y être admis s'il ne leur ressemble.
Leur regard intérieur et extérieur est vrai. Voilà
d'ailleurs la raison de leurs questions souvent naïves.
-
Ils croient les réponses que nous leur faisons. Ils n'ont pas encore appris
tout à fait la duplicité qui règle si souvent les rapports entre les
"grandes personnes". Ils sont simples, vrais, confiants.
-
Quand ils posent les questions: "Qu'est-ce que c'est?" ou "A
quoi ça sert ?", ils attendent des réponses claires, utiles pour leur vie,
sans détour.
-
De même, ils donnent leur confiance à qui ne les trompe pas, leur jeune amitié
à qui joue franc jeu, sans mièvrerie ni puérilité.
Or,
le Christ, aujourd'hui, ne nous dit-il pas autre chose que ce langage
enfantin quand il prescrit aux disciples : "Que votre langage soit : Oui ? Oui, Non ? Non : ce qu'on dit
de plus vient du Mauvais". (Mth
5.37)
Bien
sûr, ne rêvons pas : un monde où le "oui" ne veut pas dire
"peut-être" n'est pas de ce monde.
Nous
avons trop l'expérience des confiances abusées, trahies, des paroles qui
n'engagent pas plus loin que les intérêts changeants !
La
fidélité sans condition, c'est vrai dans les contes de fées ! Mais dans la vie
courante ?
Notre
pain quotidien, c'est l'"à peu près", le calcul, le semblant. Notre
"oui" n'est pas un vrai "oui" ; notre "non",
n'est pas un vrai "non". Il faut bien s'arranger, et vivre, paraît-il
! Mais qu'appelle-t-on vivre ?
Pourtant
la nostalgie d'un monde qui ne faillirait pas ne nous habite-t-elle pas ? Le domaine des relations humaines
auquel le Christ nous appelle, c'est celui qui s'inaugure à l'origine. - Entre
un homme et une femme, il y a la même vérité, la même sincérité que dans la
parole de l'enfant qui fait confiance. Comment pourrait-on imaginer de se
mentir à soi-même puisque l'autre est "la
chair de sa propre chair" ? (Cf. Gen 2.23 - Ephes. 5.29).
Un
enfant ne calcule pas, il se dit dans un élan. De même un amour ne se calcule
pas au plus juste prix. Il se dit dans l'absolue naïveté qui jaillit du cœur ;
dans l'élan irrésistible qui ne peut trahir.
Rappelez-vous
cette sincérité qui nous habite, cette joie, quand l'amitié, l'amour nous
permettent de croire totalement à la parole de l'autre. Parce que c'est lui,
parce que c'est elle, nous sommes alors sûrs que les mots ne peuvent faillir,
nous sommes sûrs que sa présence ne peut
manquer.
Sans
calcul, sans demander "où l'on va", les enfants ont ce secret du
compagnonnage fidèle, toujours à inventer, toujours nouveau, ils sont disponibles.
Quand
Dieu lui-même se révèle à Moïse,
il parle comme un enfant : "Je
suis ce que je serai pour toi". Engagement à la nouveauté permanente.
Rendez-vous donné à demain. Pont jeté sur l'avenir. Quoi d'étonnant si le
Royaume de Dieu est à ceux qui ressemblent aux enfants ?
Et
si nos amours humaines se jouaient sur une parole engagée ! Et s'il était vrai
que nos amours sont sans retour ! Et s'il était vrai que la règle du jeu de
toute relation soit cette vérité de l'enfant que les adultes qualifie de
naïve, mais qui n'est que l'inlassable volonté - quoi qu'il arrive, quoi
qu'il en coûte - de croire en la parole engagée, en la parole donnée.
Oh,
je sais, dire cela n'est pas toujours
à la mode quand la courbe des divorces rejoint progressivement celle
des mariages.
Les
habiles parlent de droit au bonheur, de
droit à l'échec, de droit au recommencement.
La
souffrance des amours ratées est trop certaine pour être traitée légèrement.
Pourtant, le secret de la réussite ne serait-il pas justement dans cette sorte
de naïveté, c'est-à-dire dans cette
invention perpétuelle d'une relation !
On
peut rêver, dans un couple, d'un autre époux, d'une autre épouse. On peut
constater tout ce que l'on veut et même davantage. Seule finalement importe la
volonté, ou plutôt la certitude que l'amour est devant, comme une invitation
à l'invention, à l'imagination.
Naïveté,
c'est-à-dire peut-être, être neuf à chaque circonstance nouvelle comme une
occasion à saisir d'aimer mieux, d'aimer plus, d'aimer tout court.
L'indissolubilité du mariage chrétien n'a pas d'autre sens : on se marie parce
que l'on s'aime certes, mais si on se mariait également pour apprendre à
s'aimer ? Toujours davantage ! Avec Dieu, avec le Christ qui nous a
donné l'exemple d'un amour vrai, inconditonnel...
Ainsi
de l'enfant ! Lui, il recommence toujours le même château de sable que la mer
vient balayer à chaque marée. Son espoir est de gagner l'usure du temps. Sa volonté
d'entreprendre ne prend pas appui sur le passé, sur la sacro-sainte expérience
des adultes; elle prend appui sur l'avenir à réaliser, sur ce qui n'est pas
encore et qu'il entend bien faire arriver.
Et
quel est cet avenir ? Notre-Seigneur nous le dit : "ils ne sont plus deux, mais ils ne font plus qu'un".
Cette
réalité est elle-même signe d'un avenir encore beaucoup plus profond: "Père, qu'ils soient un comme nous
sommes un... pour que l'amour qui est en nous soit en eux" (Jn 17.20 sv).
Lorsque
l'on se trouve en présence d'un couple humain vibrant de bonheur, d'un bonheur
que les épreuves ne parviennent pas à ternir, on s'écrie volontiers : "ils
s'aiment tellement qu'ils paraissent ne plus faire qu'un".
Et
en même temps, on constate qu'à la faveur de l'amour, chacun s'affirme
davantage dans sa personne singulière et dans sa liberté, chacun devient un
peu plus lui-même.
Alors
on éprouve l'émouvante surprise d'être
en présence d'une image qui témoigne de l'amour de Dieu, du mystère de son
unité dans la diversité respectée des personnes divines.
Aimer,
c'est peut-être alors pouvoir devenir un, tout en devenant plusieurs. Et c'est,
sans doute, dans cette unité étonnante
qui, en même temps, distingue et valorise chaque personne que l'esprit
d'enfance fait gravir la voie royale de l'amour épanoui, en proclamant sans
naïveté : "oui, c'est oui" -
"non, c'est non" - "L'amour
ne fait pas semblant, il ne tient pas compte du mal, il met sa joie dans la
vérité" ( Cf.
1 Cor.13)
L'amour
c'est l'enfance éternelle puisque c'est Dieu lui-même !
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