dimanche 7 octobre 2018

L'amour vrai


27e Dimanche du T.O./2018

Jésus se fâche! Oui, le Christ est capable de se fâcher!  Contre les marchands du Temple, on le sait. On trouve même cela normal !
Mais il peut se fâcher aussi contre les Apôtres. Le motif de cette colère ? Les "Disciples" rabrouaient des enfants. On essaie d'empêcher des enfants de l'approcher, de le toucher.
Jésus s'était fâché également parce qu'on avait voulu faire taire un aveugle trop pressant, éloigner une femme malade, faire reculer tous ces humbles qui "osaient" déranger le Maître.

Ainsi donc, des enfants turbulents renvoyés durement à leurs jeux provoquent la colère de Jésus !
Pourquoi ? Plusieurs raisons sans doute, mais peut-être celle-ci d'abord : le secret du cœur de l'enfant qui séduit le cœur du Christ, c'est LA VERITE,
la vérité qui les rend proches du Royaume,
la vérité qui les fait habitants naturels et exclusifs du Royaume, au point que nul ne peut y être admis s'il ne leur ressemble.
Leur  regard intérieur et extérieur est vrai. Voilà d'ailleurs la raison de leurs questions souvent naïves.
- Ils croient les réponses que nous leur faisons. Ils n'ont pas encore appris tout à fait la duplicité qui règle si souvent les rapports entre les "grandes personnes". Ils sont simples, vrais, confiants.
- Quand ils posent les questions: "Qu'est-ce que c'est?" ou "A quoi ça sert ?", ils attendent des réponses claires, utiles pour leur vie, sans détour.
- De même, ils donnent leur confiance à qui ne les trompe pas, leur jeune amitié à qui joue franc jeu, sans mièvrerie ni puérilité.

Or, le Christ, aujourd'hui, ne nous dit-il pas autre chose que ce langage enfantin quand il prescrit aux disciples : "Que votre langage soit : Oui ? Oui, Non ? Non : ce qu'on dit de plus vient du Mauvais". (Mth 5.37)

Bien sûr, ne rêvons pas : un monde où le "oui" ne veut pas dire "peut-être" n'est pas de ce monde.
Nous avons trop l'expérience des confiances abusées, trahies, des paroles qui n'engagent pas plus loin que les intérêts changeants !
La fidélité sans condition, c'est vrai dans les contes de fées ! Mais dans la vie courante ?
Notre pain quotidien, c'est l'"à peu près", le calcul, le semblant. Notre "oui" n'est pas un vrai "oui" ; notre "non", n'est pas un vrai "non". Il faut bien s'arranger, et vivre, paraît-il ! Mais qu'appelle-t-on vivre ?

Pourtant la nostalgie d'un monde qui ne faillirait pas ne nous habite-t-elle pas ? Le domaine des relations humaines auquel le Christ nous appelle, c'est celui qui s'inaugure à l'origine. - Entre un homme et une femme, il y a la même vérité, la même sincérité que dans la parole de l'enfant qui fait confiance. Comment pourrait-on imaginer de se mentir à soi-même puisque l'autre est "la chair de sa propre chair" ? (Cf. Gen 2.23 - Ephes. 5.29).

Un enfant ne calcule pas, il se dit dans un élan. De même un amour ne se calcule pas au plus juste prix. Il se dit dans l'absolue naïveté qui jaillit du cœur ; dans l'élan irrésistible qui ne peut trahir.

Rappelez-vous cette sincérité qui nous habite, cette joie, quand l'amitié, l'amour nous permettent de croire totalement à la parole de l'autre. Parce que c'est lui, parce que c'est elle, nous sommes alors sûrs que les mots ne peuvent faillir, nous sommes sûrs que sa présence  ne peut manquer.
Sans calcul, sans demander "où l'on va", les enfants ont ce secret du compagnonnage fidèle, toujours à inventer, toujours nouveau, ils sont disponibles.

Quand Dieu lui-même se révèle à Moïse, il parle comme un enfant : "Je suis ce que je serai pour toi". Engagement à la nouveauté permanente. Rendez-vous donné à demain. Pont jeté sur l'avenir. Quoi d'étonnant si le Royaume de Dieu est à ceux qui ressemblent aux enfants ?

Et si nos amours humaines se jouaient sur une parole engagée ! Et s'il était vrai que nos amours sont sans retour ! Et s'il était vrai que la règle du jeu de toute relation soit cette vérité de l'enfant que les adultes qualifie de naïve, mais qui n'est que l'inlassable volonté - quoi qu'il arrive, quoi qu'il en coûte - de croire en la parole engagée, en la parole donnée.

Oh, je sais, dire cela n'est pas toujours  à la mode quand la courbe des divorces rejoint progressivement celle des mariages.
Les habiles parlent de droit au bonheur,  de droit à l'échec, de droit au recommencement.
La souffrance des amours ratées est trop certaine pour être traitée légèrement. Pourtant, le secret de la réussite ne serait-il pas justement dans cette sorte de naïveté, c'est-à-dire  dans cette invention perpétuelle d'une relation !
On peut rêver, dans un couple, d'un autre époux, d'une autre épouse. On peut constater tout ce que l'on veut et même davantage. Seule finalement importe la volonté, ou plutôt la certitude que l'amour est devant, comme une invitation à l'invention, à l'imagination. 
Naïveté, c'est-à-dire peut-être, être neuf à chaque circonstance nouvelle comme une occasion à saisir d'aimer mieux, d'aimer plus, d'aimer tout court. L'indissolubilité du mariage chrétien n'a pas d'autre sens : on se marie parce que l'on s'aime certes, mais si on se mariait également pour apprendre à s'aimer ? Toujours davantage ! Avec Dieu, avec le Christ qui nous a donné l'exemple d'un amour vrai, inconditonnel...

Ainsi de l'enfant ! Lui, il recommence toujours le même château de sable que la mer vient balayer à chaque marée. Son espoir est de gagner l'usure du temps. Sa volonté d'entreprendre ne prend pas appui sur le passé, sur la sacro-sainte expérience des adultes; elle prend appui sur l'avenir à réaliser, sur ce qui n'est pas encore et qu'il entend bien faire arriver.
             
Et quel est cet avenir ? Notre-Seigneur nous le dit : "ils ne sont plus deux, mais ils ne font plus qu'un". 

Cette réalité est elle-même signe d'un avenir encore beaucoup plus profond: "Père, qu'ils soient un comme nous sommes un... pour que l'amour qui est en nous soit en eux" (Jn 17.20 sv).
Lorsque l'on se trouve en présence d'un couple humain vibrant de bonheur, d'un bonheur que les épreuves ne parviennent pas à ternir, on s'écrie volontiers : "ils s'aiment tellement qu'ils paraissent ne plus faire qu'un".
Et en même temps, on constate qu'à la faveur de l'amour, chacun s'affirme davantage dans sa personne singulière et dans sa liberté, chacun devient un peu plus lui-même.

Alors on éprouve l'émouvante surprise  d'être en présence d'une image qui témoigne de l'amour de Dieu, du mystère de son unité dans la diversité respectée des personnes divines.
Aimer, c'est peut-être alors pouvoir devenir un, tout en devenant plusieurs. Et c'est, sans doute, dans cette unité étonnante  qui, en même temps, distingue et valorise chaque personne que l'esprit d'enfance fait gravir la voie royale de l'amour épanoui, en proclamant sans naïveté : "oui, c'est oui" -  "non, c'est non" - "L'amour ne fait pas semblant, il ne tient pas compte du mal, il met sa joie dans la vérité" ( Cf. 1 Cor.13)

L'amour c'est l'enfance éternelle puisque c'est Dieu lui-même !

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