28e Dim T.O. B/1918
Cet
homme était riche, il avait de grands biens. Matériellement, il était
comblé. Moralement, il n'avait rien non plus à se reprocher : tous les
commandements de Dieu, il les observe depuis sa jeunesse. C'est un bon
pratiquant. Sa vie paraît réglée, codifiée une fois pour toutes. Pas de
surprises possibles, ni matériellement, ni moralement.
Pourtant,
semble-t-il, il a le sentiment de ne pas vivre. Derrière la question
qu'il pose à Jésus : "Que dois-je
faire pour avoir en héritage la vie éternelle ?", on devine une
inquiétude : Vivre, est-ce que cela consiste simplement à ne manquer de rien
matériellement, et à se conformer au code de conduite prescrit par la société
et la religion ? Est-ce cela la vie, la vraie vie ?
Jésus
devine cette inquiétude et ces questions. Il en est tout heureux. Au contraire
des scribes et des pharisiens toujours contents d'eux-mêmes, voilà enfin
quelqu'un qui a soif de vivre pleinement !
"Que dois-je
faire pour avoir en héritage la vie éternelle ?".
Peut-être pense-t-il simplement à la vie éternelle après la mort ?
N'est-ce pas également notre interprétation ?
Or,
le Nouveau Testament ne cesse de nous dire que la vie éternelle, c'est
maintenant qu'elle doit commencer ; de même, le Royaume de Dieu, c'est
ici-bas, dès maintenant, qu'on est invité à y entrer. Jésus nous le dit : "Celui qui m'écoute et qui s'attache à
moi a la vie éternelle… Dès maintenant, il est passé de la mort à la vie"
(Jn
5/24).
Et
St Paul affirme, lui aussi, dans le même sens: "Alors
que nous étions morts, Dieu nous a donné
la vie avec le Christ… Avec lui, il nous a ressuscités" (Ephes. 2/5).
La
vie éternelle, comme le Royaume de Dieu, n'est pas à espérer dans un avenir
plus ou moins lointain, mais à accueillir chaque jour ; c'est aujourd'hui, dans
la vie quotidienne, qu'elle se vit. Il s'agit donc d'être des vivants qui
vivent réellement, et non des gens qui font semblant de vivre.
Mais
peut-être que l'homme de l'évangile avait bien pressenti que Jésus apportait le
secret de la vraie vie, pour maintenant, et c'est à cause de cela qu'il
est venu le trouver.
Toutes
les paroles de Notre Seigneur avaient trouvé en son cœur et en son esprit un
écho extraordinaire : "Je suis le
Chemin, la Vérité et la Vie! Je suis la résurrection et la vie! Je suis venu
pour qu'ils aient la vie, et qu'ils l'aient en abondance… Je suis le Pain de
vie !" (le
Pain qui fait vivre!).
Et
bien d'autres paroles de Notre Seigneur affirmaient cette réalité de la vraie
vie ! - Oui, tout le message de Jésus est un message de vie. Il vient répondre
à nos aspirations les plus profondes : VIVRE !
Mais
qu'est-elle au juste cette vie que Jésus nous offre ? - L'Evangile nous la suggère par
des images, propres au langage oriental :
La
Vie, c'est comme l'eau pour celui qui a soif,
c'est
comme le pain pour celui qui a faim,
c'est
comme la santé pour le malade,
c'est
comme la lumière pour l'aveugle,
c'est
comme le retour à la vie pour un mort.
Qu'y-a-t-il
en définitive derrière ces images ? -
Il
y a tous ces appels de Notre Seigneur, et en particulier tous ces appels à
aimer, à tout faire par amour pour lui et par amour des autres.
Il
y a ses appels à aimer,
et donc à accueillir, à partager, à échanger, à donner gratuitement et surabondamment,
et même à risquer sa vie pour les autres…
Il
y a tous ses appels à aimer
et donc à sortir de soi-même, à ouvrir les yeux sur les autres,, à sortir de
son individualisme et de son indifférence, à se vouloir solidaires des autres.
Il
y a tous ses appels à aimer,
et donc à bâtir une société plus équitable et plus fraternelle, où les rapports
humains ne soient plus fondés sur la sélection - qu'elle soit physique,
intellectuelle, commerciale... raciale -, mais sur le partage et
l'épanouissement de chacun, quel qu'il soit.
Alors,
quand on répond à ces appels de Jésus, la vie devient une aventure
extraordinaire : on ne s'enlise plus dans les ornières du conformisme ou
des interdits, mais on découvre avec enthousiasme la vraie vie, qui est don
de soi, service des autres et liberté.
N'est-ce
pas un peu tout cela qui avait attiré vers Jésus l'homme de l'évangile
d'aujourd'hui ? Il pressentait en lui un maître de vie qui serait capable de le
faire sortir de lui-même et de s'épanouir en plénitude.
Mais
Jésus ne fait pas de miracle pour nous ressusciter et nous faire revivre de la
vraie vie, malgré nous.
Quand
il invite le jeune homme riche à briser ses chaînes et à se libérer : "Vends tous ce que tu as…",
cet homme devient tout sombre et s'en va tout triste. - Jésus est consterné : "Comme il est difficile à ceux qui
possèdent des richesses d'accueillir le Royaume de Dieu !". Et avec humour il ajoute : "Il est plus facile à un chameau de
passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de
Dieu !".
Pourquoi
? - Parce que, si vous êtes riches, quelle que soit la richesse - matérielle,
intellectuelle, morale……etc -, il est
bien à craindre que vos richesses vous paralysent, qu'elles brisent vos plus
beaux élans, qu'elles stoppent vos meilleures intentions.
Il
y a grand risque alors de s'enfermer sur soi, de devenir sourd, aveugle,
indifférent à tout ce qui se passe autour de soi. - Jésus est revenu souvent
sur ce point : "Vous ne pouvez pas
servir deux maîtres ; vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l'argent…
Heureux, en revanche, ceux qui ont un cœur de pauvre : le Royaume des cieux
leur appartient !".
Oui,
pour vivre en plénitude, pour découvrir et accueillir la vraie vie que Jésus
nous propose, il faut avoir un cœur de pauvre, savoir partager
joyeusement, savoir donner sans compter.
Jésus,
lui, avait un cœur de pauvre
: "De riche qu'il était, dit St
Paul, il s'est fait pauvre, pour nous
enrichir de sa pauvreté". C'est ce qui lui a permis d'être tout à
tous, aussi bien avec les riches qu'avec les pauvres, avec les notables comme
avec les gens simples.
Et
c'est ainsi qu'il a pu tout donner, son amour, sa parole, son pardon, son corps
et son sang, sa vie elle-même, jusqu'à l'extrême limite.
Et
dans ce don total de lui-même, Jésus trouvait la joie, le bonheur d'aimer, le
bonheur de vivre en plénitude : il a aimé les foules, il a relevé les malades,
il a pardonné, il a rendu l'espérance aux malheureux, il a révélé l'amour de
Dieu, il a toujours cru à la tendresse de son Père, même à l'heure de son
agonie, de sa mort. Sa vie humaine fut d'une plénitude extraordinaire, parce
que rien ne mettait un frein quelconque à son amour.
En
se donnant à nous sous le signe du Pain de vie, il nous dit à chacun
aujourd'hui, comme à l'homme de l'évangile: "Il te manque encore quelque chose ! Je
t'invite à accueillir la vraie vie, et à l'accueillir en abondance. Pour cela
libère-toi, fais-toi un cœur de pauvre, mets-toi à mon école. La vie que je
t'offre, on ne peut la décrire ; pour la découvrir, il faut la vivre, la vivre
avec moi".
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