29e T.O.
18/B
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Il
faut des mains délicates d'infirmière, des mains douces et compétentes pour
toucher à certaines blessures.
Il
faudrait avoir soi-même beaucoup souffert pour parler de la souffrance.
Cependant, l'Evangile d'aujourd'hui nous y invite, même si Jésus, précisément,
ne fait pas un discours sur la souffrance ; il la "prend d'abord sur
lui" : "La coupe que je vais
boire, pouvez-vous la boire vous aussi…?".
Déjà,
la deuxième lecture avait rappelé que le "grand
prêtre que nous avons n'est pas incapable, lui, de partager nos faiblesses,
car, en toutes choses, il a connu l'épreuve comme nous…".
"Il a connu
l'épreuve !". - Reconnaissons
d'abord que la
souffrance est un mal ! Il serait impensable que Dieu nous ait créés pour
souffrir. Dieu n'est pas un sadique. Le but de sa Création est évidemment le
bonheur, un bonheur infini, éternel. Et, à la "FIN", c'est-à-dire
quand l'univers sera à son achèvement, il n'y "aura plus, dit le livre de l'Apocalypse,, ni larmes, ni cri, ni douleurs" (21/1.6).
Aussi,
notre première réaction, face au mal, il faut le redire, c'est de nous
battre "contre", de toutes nos forces. Jésus lui-même
"guérissait" les malades, "libérait" les possédés,
"nourrissait" les affamés, "ressuscitait" les morts.
Oui,
Jésus a lutté contre le mal, car la souffrance comporte un terrible
"risque" pour ne pas lutter contre elle. Ce "risque",
nous en voyons souvent l'effet en nous et autour de nous. Car la souffrance est
fréquemment l'occasion d'une révolte "contre Dieu". Le grand
argument de beaucoup d'hommes aujourd'hui est le suivant : "S'il y avait un 'Bon Dieu', tout cela n'arriverait pas !".
Si
la souffrance
peut
affiner certaines âmes, peut provoquer des sursauts et des réflexions
admirables,
peut
développer dans l'homme certaines valeurs,
il
faut reconnaître qu'habituellement elle est plutôt destructrice, humainement et
spirituellement. Elle fait nier Dieu. Elle amène l'homme à dire : "Dieu
n'est pas bon ! Dieu n'existe pas !".
En
ce sens, un mot de l'épître aux Hébreux (2e lect) est à souligner : "Il
a connu l'épreuve comme nous… et il n'a pas péché !"Il s'agit
de Jésus. Il a donc connu, comme nous, l'épreuve qui aurait consisté à
"abandonner le Père".
Tel
est,
en
effet, le grand risque
de la souffrance : l'aigreur, la révolte, le blasphème, le durcissement du
cœur. Et Jésus lui-même a connu cette "tentation" : "Avec un grand cri et des larmes, il a
supplié son Père qui pouvait le sauver de la mort"
(Hébr.
5/7).
"Père, si c'est possible, que
cette coupe s'éloigne de moi"
(Mc 14/36).
N'oublions
jamais ce "grand cri" et "ces larmes" de Jésus, à
Gethsémanie. Comme nous, Jésus a éprouvé une immense répulsion pour la
souffrance; il a "supplié" son Père d'en être délivré… avant de dire "que TA volonté soit faite et non LA
MIENNE". C'est reconnaître que, humainement, son premier mouvement aurait
pu être tout autre. Mais "il n'a pas
péché"… Formule mystérieuse et redoutable
! Nous,
souvent,
la
souffrance
nous fait pécher.
Aussi,
regardons
Jésus
souffrant ;
avec
lui, essayons
de
découvrir les
aspects positifs qu'elle
peut prendre.
Remarquons
d'abord qu'il y a souffrance et souffrance ; il faut savoir discerner.
Que
voulez-vous, l'adolescent(e), encore "mal en sa peau",
souffre ;
c'est vrai ;
il ne faut pas le nier
! Mais ne doit-il pas assumer sa souffrance pour devenir adulte.
Toute
mutation oblige à un arrachement et donc à une souffrance. L'exercice de l'une
de nos facultés, intellectuelle ou physique, demande effort considérable qui
exige, parfois, souffrance.
Et
l'art si difficile d'aimer inclut souvent une part d'épreuves. Car aimer, c'est
"être au service" de l'autre et non de soi-même, ce qui ne va pas
sans souffrance, parfois.
La
vieille sagesse des peuples, en tout cas, a souvent remarqué que l'homme qui
n'a jamais souffert est, paradoxalement à plaindre : il ne sait pas sa valeur…
il ne sait pas s'il est solide…, s'il est courageux. "L'or s'épure au feu, dit un proverbe, et l'homme au creuset du malheur", Et le philosophe Sénèque
écrivait : "L'arbre devient solide
sous le vent"… Ces dictons sont universels ; ils ne sont pas
spécifiquement chrétiens ; mais ils nous disent, déjà, que nous pouvons utiliser
certaines souffrances en un sens positif : pour forger notre caractère,
devenir plus aptes à
aimer, à comprendre
les
souffrances
des autres.
Mais
ceci n'est que réflexion humaine qui peut être mise en question.
L'Evangile
veut nous faire aller beaucoup plus loin. Il nous révèle que la souffrance de
Jésus a été offerte, librement, dans un but absolument positif : "Le Fils de l'homme n'est pas venu pour
être servi, mais pour SERVIR, et DONNER SA VIE en rançon pour la multitude…".
Jésus, après le "haut-le-cœur" de Gethsémanie, a donc vécu sa mort
comme un acte éminemment "utile", un acte d'"amour" de
l'humanité. Il a "donné sa vie
pour la multitude". Déjà, Isaïe (1ère lecture) avait perçu ce mystère caché,
paradoxal, de la souffrance "rédemptrice" : "broyé par
la souffrance, le Serviteur de Dieu a
plu au Seigneur… Il a fait de sa vie un sacrifice d'expiation,… il
justifiera des multitudes, en se chargeant de leurs péchés…".
Un
penseur français, Maurice Blondel, a essayé d'élucider les raisons de cette
valeur mystérieuse de la souffrance. En l'homme, dt-il, "la souffrance demeure toujours une étrangère…; elle tue quelque
chose en nous pour y mettre autre chose qui n'est pas de nous… La
souffrance est en nous comme une semaille : par elle, quelque chose entre en
nous, sans
nous, malgré nous… Le laboureur jette là son grain le plus précieux… La
souffrance est comme cette décomposition nécessaire à la naissance d'une œuvre
plus pleine…
Le sens de la douleur, - il faut du cœur pour
l'entendre
-
c'est de nous révéler ce qui échappe à la connaissance et à la volonté facilement
égoïste… La souffrance nous déprend de nous pour nous donner à autrui, pour
nous solliciter de nous donner à autrui".
En
résumé, ne pourrait-on pas dire, à la suite de Jésus, que la souffrance peut
nous ouvrir à l'amour, au service, au "don de soi" ?
Quand
on a tout fait pour essayer d'éviter le mal que toute souffrance comporte,
hélas… il nous reste donc à essayer de la transfigurer, de lui donner un sens,
et une utilité. Le grand malade sur son lit, s'il connaît et aime Jésus, peut
découvrir dans sa souffrance, une intime "communion" au mystère même
de la croix, au mystère pascal de mort et de vie. Il n'est pas seul. Il
n'est pas inutile. Sa souffrance a une valeur :"Peux-tu boire la coupe avec moi ?" lui dit Jésus.
Peux-tu être plongé dans les grandes eaux de l'adversité, avec moi ?
Acceptes-tu d'offrir ta vie par amour, comme je l'ai fait pour sauver la
multitude ?
Je
ne sais si, frappé par une très grande souffrance, par un grand malheur, je
pourrais facilement répondre affirmativement à cette question de Notre
Seigneur. Car une chose est de parler de la souffrance et d'en dégager quelque
peu un sens avec Jésus Christ, autre chose est d'en vivre avec lui. Le Cardinal
Veuillot, sur son lit d'hôpital, l'avait bien souligné. Il disait à un prêtre
venu le voir : "Ne parlez plus de la
souffrance ; vous ne savez pas ce qu'elle est !".
Du
moins, avec Jésus, je peux me permettre d'affirmer : Oui, les souffrants, ces soi-disant
inactifs… ne sont pas les exclus de la grande Mission salvatrice du Christ.
Sans bouger, cloué à une croix, rivé à une épreuve…, on peut, avec Jésus, être
totalement actif !
Grand
mystère - Un mystère, ce n'est pas quelque chose que l'on ne comprend pas, mais
une chose que l'on n'aura jamais fini de comprendre ! Grand mystère de la
souffrance qui nous plonge dans le mystère pascal du Christ, mystère de
mort à vie.
Et
ce mystère est cependant le fondement de notre foi. Mystère qui se révélera pleinement au jour de notre mort, ce jour que les Anciens appelaient "Jour
de naissance" !
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