dimanche 21 octobre 2018

La souffrance !


29e T.O. 18/B  -

Il faut des mains délicates d'infirmière, des mains douces et compétentes pour toucher à certaines blessures.
Il faudrait avoir soi-même beaucoup souffert pour parler de la souffrance. Cependant, l'Evangile d'aujourd'hui nous y invite, même si Jésus, précisément, ne fait pas un discours sur la souffrance ; il la "prend d'abord sur lui" : "La coupe que je vais boire, pouvez-vous la boire vous aussi…?".
Déjà, la deuxième lecture avait rappelé que le "grand prêtre que nous avons n'est pas incapable, lui, de partager nos faiblesses, car, en toutes choses, il a connu l'épreuve comme nous…".
             
"Il a connu l'épreuve !". - Reconnaissons d'abord que la souffrance est un mal ! Il serait impensable que Dieu nous ait créés pour souffrir. Dieu n'est pas un sadique. Le but de sa Création est évidemment le bonheur, un bonheur infini, éternel. Et, à la "FIN", c'est-à-dire quand l'univers sera à son achèvement, il n'y "aura plus, dit le livre de l'Apocalypse,, ni larmes, ni cri, ni douleurs" (21/1.6).
Aussi, notre première réaction, face au mal, il faut le redire, c'est de nous battre "contre", de toutes nos forces. Jésus lui-même "guérissait" les malades, "libérait" les possédés, "nourrissait" les affamés, "ressuscitait" les morts.
             
Oui, Jésus a lutté contre le mal, car la souffrance comporte un terrible "risque" pour ne pas lutter contre elle. Ce "risque", nous en voyons souvent l'effet en nous et autour de nous. Car la souffrance est fréquemment l'occasion d'une révolte "contre Dieu". Le grand argument de beaucoup d'hommes aujourd'hui est le suivant : "S'il y avait un 'Bon Dieu', tout cela n'arriverait pas !".
Si la souffrance
peut affiner certaines âmes, peut provoquer des sursauts et des réflexions admirables,
peut développer dans l'homme certaines valeurs,
il faut reconnaître qu'habituellement elle est plutôt destructrice, humainement et spirituellement. Elle fait nier Dieu. Elle amène l'homme à dire : "Dieu n'est pas bon ! Dieu n'existe pas !".
             
En ce sens, un mot de l'épître aux Hébreux (2e lect) est à souligner : "Il a connu l'épreuve comme nous… et il n'a pas péché !"Il s'agit de Jésus. Il a donc connu, comme nous, l'épreuve qui aurait consisté à "abandonner le Père".
Tel est, en effet, le grand risque de la souffrance : l'aigreur, la révolte, le blasphème, le durcissement du cœur. Et Jésus lui-même a connu cette "tentation" : "Avec un grand cri et des larmes, il a supplié son Père qui pouvait le sauver de la mort" (Hébr. 5/7). "Père, si c'est possible, que cette coupe s'éloigne de moi" (Mc 14/36).
             
N'oublions jamais ce "grand cri" et "ces larmes" de Jésus, à Gethsémanie. Comme nous, Jésus a éprouvé une immense répulsion pour la souffrance; il a "supplié" son Père d'en être délivré… avant de dire "que TA volonté soit faite et non LA MIENNE". C'est reconnaître que, humainement, son premier mouvement aurait pu être tout autre. Mais "il n'a pas péché"… Formule mystérieuse et redoutable ! Nous, souvent, la souffrance nous fait pécher.
Aussi, regardons Jésus souffrant ; avec lui, essayons de découvrir les aspects positifs qu'elle peut prendre.

Remarquons d'abord qu'il y a souffrance et souffrance ; il faut savoir discerner.
Que voulez-vous, l'adolescent(e), encore "mal en sa peau", souffre ; c'est vrai ; il ne faut pas le nier ! Mais ne doit-il pas assumer sa souffrance pour devenir adulte.
Toute mutation oblige à un arrachement et donc à une souffrance. L'exercice de l'une de nos facultés, intellectuelle ou physique, demande effort considérable qui exige, parfois, souffrance.
Et l'art si difficile d'aimer inclut souvent une part d'épreuves. Car aimer, c'est "être au service" de l'autre et non de soi-même, ce qui ne va pas sans souffrance, parfois.
             
La vieille sagesse des peuples, en tout cas, a souvent remarqué que l'homme qui n'a jamais souffert est, paradoxalement à plaindre : il ne sait pas sa valeur… il ne sait pas s'il est solide…, s'il est courageux. "L'or s'épure au feu, dit un proverbe, et l'homme au creuset du malheur", Et le philosophe Sénèque écrivait : "L'arbre devient solide sous le vent"… Ces dictons sont universels ; ils ne sont pas spécifiquement chrétiens ; mais ils nous disent, déjà, que nous pouvons utiliser certaines souffrances en un sens positif : pour forger notre caractère, devenir plus aptes à aimer, à comprendre les souffrances des autres.
             
Mais ceci n'est que réflexion humaine qui peut être mise en question.
L'Evangile veut nous faire aller beaucoup plus loin. Il nous révèle que la souffrance de Jésus a été offerte, librement, dans un but absolument positif : "Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour SERVIR, et DONNER SA VIE en rançon pour la multitude…". Jésus, après le "haut-le-cœur" de Gethsémanie, a donc vécu sa mort comme un acte éminemment "utile", un acte d'"amour" de l'humanité. Il a "donné sa vie pour la multitude". Déjà, Isaïe (1ère lecture) avait perçu ce mystère caché, paradoxal, de la souffrance "rédemptrice" : "broyé par la souffrance, le Serviteur de Dieu a plu au Seigneur… Il a fait de sa vie un sacrifice d'expiation,… il justifiera des multitudes, en se chargeant de leurs péchés…".
             
Un penseur français, Maurice Blondel, a essayé d'élucider les raisons de cette valeur mystérieuse de la souffrance. En l'homme, dt-il, "la souffrance demeure toujours une étrangère…; elle tue quelque chose en nous pour y mettre autre chose qui n'est pas de nous… La souffrance est en nous comme une semaille : par elle, quelque chose entre en nous, sans nous, malgré nous… Le laboureur jette là son grain le plus précieux… La souffrance est comme cette décomposition nécessaire à la naissance d'une œuvre plus pleine…    
Le sens de la douleur, - il faut du cœur pour l'entendre - c'est de nous révéler ce qui échappe à la connaissance et à la volonté facilement égoïste… La souffrance nous déprend de nous pour nous donner à autrui, pour nous solliciter de nous donner à autrui".    
             
En résumé, ne pourrait-on pas dire, à la suite de Jésus, que la souffrance peut nous ouvrir à l'amour, au service, au "don de soi" ?

Quand on a tout fait pour essayer d'éviter le mal que toute souffrance comporte, hélas… il nous reste donc à essayer de la transfigurer, de lui donner un sens, et une utilité. Le grand malade sur son lit, s'il connaît et aime Jésus, peut découvrir dans sa souffrance, une intime "communion" au mystère même de la croix, au mystère pascal de mort et de vie. Il n'est pas seul. Il n'est pas inutile. Sa souffrance a une valeur :"Peux-tu boire la coupe avec moi ?" lui dit Jésus. Peux-tu être plongé dans les grandes eaux de l'adversité, avec moi ? Acceptes-tu d'offrir ta vie par amour, comme je l'ai fait pour sauver la multitude ?

Je ne sais si, frappé par une très grande souffrance, par un grand malheur, je pourrais facilement répondre affirmativement à cette question de Notre Seigneur. Car une chose est de parler de la souffrance et d'en dégager quelque peu un sens avec Jésus Christ, autre chose est d'en vivre avec lui. Le Cardinal Veuillot, sur son lit d'hôpital, l'avait bien souligné. Il disait à un prêtre venu le voir : "Ne parlez plus de la souffrance ; vous ne savez pas ce qu'elle est !".
Du moins, avec Jésus, je peux me permettre d'affirmer : Oui, les souffrants, ces soi-disant inactifs… ne sont pas les exclus de la grande Mission salvatrice du Christ. Sans bouger, cloué à une croix, rivé à une épreuve…, on peut, avec Jésus, être totalement actif !
Grand mystère - Un mystère, ce n'est pas quelque chose que l'on ne comprend pas, mais une chose que l'on n'aura jamais fini de comprendre ! Grand mystère de la souffrance qui nous plonge dans le mystère pascal du Christ, mystère de mort à vie.
Et ce mystère est cependant le fondement de notre foi. Mystère qui se révélera pleinement au jour de notre mort, ce jour que les Anciens appelaient "Jour de naissance" !

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