1er
Dimanche de Carême 17.A
Parler du carême, comme c’est
difficile !
Certains pensent et même disent : “Le carême..., à quoi bon ? C’est une
habitude des anciens temps ! Et puis, c'est, chaque année, pareil... De
plus, ce n'est pas drôle du tout !”. C'est vrai que le carême n'a pas bonne
réputation. Il évoque six semaines interminables, placées sous le signe de
l'austérité.
Peut-être que l’évangile d’aujourd’hui peut
nous éclairer. Mais, c’est un texte selon St Matthieu, d’une lecture toujours
plus ardue pour nous. Pourtant, comme un bon scribe, “il sait tirer de son trésor du neuf et de l’ancien”. Oui, c’est un
récit qui nous semble bien étrange, étranger à notre vie, loin de nous.
Pourtant, ce récit des trois tentations de Jésus au désert contient un enseignement
essentiel pour chacun de nous.
D’abord, il faut bien remarquer : Jésus
a vraiment été tenté, comme nous. Ce texte nous le raconte ; et
à bien des reprises, l'évangile nous en reparle.
Comprenons bien : Il s'agissait pour Jésus
de faire advenir le Règne de Dieu, de créer un monde nouveau. Le plus efficace
n'était-il pas de prendre le pouvoir
- en donnant du pain à manger, de quoi
vivre facilement : “Ordonne que ces
pierres deviennent du pain !”,
- en donnant des
exploits à admirer – c’est de tous les temps ! - : “Jette-toi en bas, on croira en toi !”,
- en donnant un roi universel : “Tous les royaumes de la terre, je te les
donnerai”.
Beaucoup attendaient cela du Messie !
Ils attendaient que l'Envoyé de Dieu
subvienne aux besoins matériels du peuple, qu'il fasse des prodiges, qu'il
étende un pouvoir irrésistible sur la terre. Jésus a refusé. Dans ce grand vent
d'orgueil qu'on lui soufflait, il reste impassible. Il n’a qu’une chose en
tête : la volonté de son Père !
Il a résisté à la tentation, ce jour-là,
comme il a résisté en bien d'autres occasions que l'évangile rapporte :
*quand il a été tenté par la foule qui
voulait le faire roi,
*tenté par les Juifs qui réclamaient des
grands signes dans le ciel,
*tenté par son ami Pierre qui le poussait à
renoncer à la folie d'être arrêté et mis à mort,
*tenté par ceux qui lui ont crié, le
dernier jour : “Si tu es le Fils de Dieu,
descends de la croix... !”.
Oui, Jésus a réellement été tenté, mais il
est resté fidèle jusqu'au bout à son Père et à sa mission. Et c'est
cette victoire sur la tentation qui nous est proposée au début de ce carême.
Et ne disons pas que ces trois tentations
ne sont pas les nôtres ; elles sont les tentations de tout homme :
- la tentation du pain quotidien ou l'appétit
de posséder,
- la tentation de la réussite ou le goût
de paraître,
- la tentation du pouvoir ou l'ambition
de dominer.
D'abord la tentation du pain quotidien
ou l'appétit de posséder. Le pain quotidien, c'est la nourriture sans doute,
mais aussi notre argent, notre profession, nos occupations quotidiennes, ce que
nous possédons... Mais on dira : “Tout
cela n'est pas un mal !”. Non,
certes ! Au jour de la création - jour permanent -, Dieu dit, en regardant
son œuvre faite pour l’homme, que “tout
était bon… et même très bon !”. Alors où est la tentation ? Jésus le
rappelle simplement : “L'homme ne
vit pas seulement de pain”.
Notre tentation, c'est de vivre seulement
de ce pain-là, et de n'avoir plus ni le temps ni le goût pour toute parole qui
sort de la bouche de Dieu.
Quelques exemples bien connus :
- Pour les Jeunes... après le
collège ou le lycée, après le sport, les jeux et la télévision..., y-a-t-il un
petit reste de temps pour réfléchir, pour prier ?
- Pour les étudiants..., après les
partiels, les révisions, les examens… - choses si importantes évidemment -
y-a-t-il un tout petit reste de temps et de goût pour la prière, la réflexion
spirituelle afin de mieux insérer tout savoir dans la science même de Dieu en
vue d’un avenir meilleur.
- Et pour nous, adultes : tout
nous sollicite, le travail, la promotion professionnelle, la construction d'une
maison, la réalisation d’une retraite pour mieux “profiter de la vie” (quel mot affreux !)… etc… Et tout cela est important ! Bien
sûr ! Mais Jésus nous dit qu’un chrétien, une chrétienne… ne mangent pas seulement de ce pain-là !
- Et pour nous prêtres, religieux,
religieuses, nous ne sommes pas à l'abri de ces mêmes tentations. Même une
activité très spirituelle - préparer et prononcer une homélie, par exemple -
peut être occasion de possession, alors qu'il s'agit non pas de se prévaloir de
son savoir, mais de faire prévaloir la connaissance de Dieu lui-même, son
alliance, sa bonté, sa présence... !
Oui, tous, riches ou pauvres, jeunes ou
anciens, prêtres ou laïcs, nous avons à tirer avantage de cette parole de
Jésus : “L'homme ne vit pas
seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu”. Car
tous (même dans la vie monastique), nous sommes tentés de vivre au ras de nos
occupations quotidiennes, de nos désirs immédiats, sans jamais relever la
tête... ou joindre les mains. Et le carême est un rappel.
La tentation du pain quotidien ou l'appétit
de posséder ; et il y a cette deuxième tentation du Christ : la tentation de
la réussite ou le goût de paraître. Pourtant, réussir, ça n'est pas un mal.
Celui qui ne réussit pas... qui ne réussit rien est très malheureux. C'est
vrai, ce n'est pas un mal. Alors, où est la tentation ?
La tentation c'est de ne vivre que pour
réussir, réussir à tout prix, courir après son petit succès, briller, “agir pour la galerie”, jouer son
personnage…
Jésus nous dit au début de ce carême : “Otez vos masques... n'agissez pas pour
paraître ; n’ayez aucune hypocrisie... Que votre main droite ignore ce que
donne votre main gauche... Dieu voit dans le secret”.
Le carême nous donne occasion de jeûner de
cet appétit de toujours paraître… de briller d'une manière ou d'une autre aux
yeux des hommes et non sous le regard de Dieu seul !
Enfin, la tentation du pouvoir ou
l'ambition de dominer. On dit que c'est la plus redoutable. Tous, nous exerçons
un pouvoir. Oh ! Pas “sur tous les
royaumes de la terre” ! En ce domaine, on a l’impression plutôt de subir
que de dominer ! Et il est vrai que le pouvoir est plus évident en
l’exercice de certaines professions…
Cependant, les parents exercent un pouvoir
sur leurs enfants. Moi, qui suis prêtre, j'exerce un certain pouvoir. Et les
jeunes qui poursuivent de longues études... exerceront demain - et ils le
savent - un pouvoir dans la société. Là encore, le pouvoir, avoir des
responsabilités, ce n'est pas un mal...
Alors, où est la tentation ?
La tentation, c'est de confondre le pouvoir
avec l'ambition de dominer ; la tentation, c'est oublier que le pouvoir
donne le devoir de servir. Que de choses seraient changées si tous ceux qui
exercent un pouvoir l'exerçaient, non pas en volonté de puissance, mais comme
un service ! Il y a un jeu de mot en hébreu - "advout - avoda" -
que l'on retrouve en français : non pas "servitude", mais
"service" ! Nous qui exerçons un pouvoir, nous sommes tentés de nous
en servir pour asservir, au lieu simplement de servir. Au cours de ce carême,
saurons-nous jeûner de cet appétit du pouvoir, de l'ambition de dominer, ne
serait-ce simplement qu'auprès de ceux qui nous entourent ?
Voilà... où peut nous conduire le récit des
trois tentations de Jésus... Tentations de tout homme.
L’abondance, l'apparence,
la puissance, ce sont des maladies mortelles pour nous et pour le
monde... Le Christ en a été victorieux... ! Il nous propose de participer à sa
victoire, en le suivant sur son chemin...
Et n'est-ce pas cela, avant tout, le Carême
?
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