3ème Dimanche de Carême 17 - A
Dans l'évangile, St Jean nous décrit la
rencontre de Jésus et de la Samaritaine avec un mouvement, une pénétration des
sentiments, une émotion discrète, qui donnent à cette page un charme
incomparable.
Le récit se divise en deux parties très
marquées centrées,
l’une sur l'eau vive
et l'autre sur le culte nouveau, l'adoration
en esprit et en vérité.
Et ces deux thèmes aboutissent à la
révélation de la personne de Jésus : "Si
tu savais le don de Dieu, et celui qui te parle", et finalement en fin
de récit : "Je suis le
Messie, moi qui te parle".
Arrêtons-nous seulement sur quelques mots.
"Jésus fatigué par la route, s'était assis près d'un puits".
“Déjà
commence le mystère,
dit St Augustin. Car
- ce
n'est pas sans raison qu'est fatigué le Fils de Dieu qui est aussi la Force de
Dieu ;
- ce
n'est pas sans raison qu'est fatigué celui qui refait la force des fatigués;
- ce
n'est pas sans raison qu'est fatigué celui dont l'abandon cause nos fatigues,
dont la présence nous réconforte.
C'est
pour nous que Jésus est fatigué par la route”.
Ainsi nous trouvons Jésus qui est la Force
même ; et nous le trouvons fatigué. Jésus faible et fort.
- Fort, car "au commencement, avait dit St Jean dès le
début, était le Verbe et le Verbe était
Dieu ; et tout, par lui, a été fait, et sans lui rien n'a été fait".
+ Faible,
car "le Verbe s'est fait chair et il
a habité parmi nous".
- La Force de Christ a donné
l'existence à ce qui n’était pas.
+ La faiblesse
du Christ a préservé de la mort ce qui était.
- Il nous a créés par sa Force.
+ Il nous a
rachetés par sa faiblesse.
Oui, Jésus est venu ; et c'est en
s'humiliant qu'il est venu au puits. Il est venu fatigué parce qu'il a porté la
faiblesse de la chair.
Car le Fils de Dieu incarné est à la
fois Dieu et homme, parfaitement Dieu et parfaitement homme. Dieu n'est pas
diminué en lui ; et l'homme qu'il est n'est pas incomplet : "Il s'est fait en tout semblable à nous hormis le péché", dira
Paul (Cf
hil 2.7 - I Co 5.21).
Et en même temps que la divinité du Christ,
St Jean aime, dans son évangile, souligner cette humanité du Christ,
semblable à la notre :
- Jésus pleure à la mort de Lazare, son
ami.
- Jésus fut tenté comme tout un chacun.
- Jésus fut fatigué, accessible à la
tristesse, au trouble.
- Jésus supporte la pauvreté de la crèche à
la croix
- Et finalement, il mourut
Et cette faiblesse, cette fatigue,
cette souffrance du Christ sont pour nous une immense leçon. Car, nous
aussi, comme Jésus, nous sommes fatigués, fatigués de notre condition de
pauvres pécheurs. La route est longue, semée d'embûches, de tentations, de
peines, de souffrances. Et pour nous aussi, elle aboutit a la mort, la mort de
notre corps et parfois la mort lente et non moins cruelle de nos aspirations
simplement humaines.
Mais ces souffrances nous font
participer aux souffrances, aux fatigues, à la passion de Jésus. Et dans
cette participation, dans l’adhésion par la foi à la passion de Jésus, nous
trouvons la vie, la vie véritable. "Nos souffrances a-t-on dit (1) nous
pouvons les offrir au Christ. Une fois offertes, elles ne nous appartiennent
plus ; elles sont siennes. Et mêlées aux souffrances du Christ, elles
participent alors à la Rédemption du monde...".
En ce temps de Carême où nous commémorons
les souffrances, les fatigues du Christ endurées pour nous, présentons lui nos
propres peines, fatigues, souffrances, épreuves - si lourdes,
soient-elles ! -. Présentons-les à son côté ouvert par la lance
du soldat d'où est sortie de l’eau, cette eau vive dont parle Jésus à la
Samaritaine. Et lui, homme et Dieu, les présentera à son Père qui, par lui,
augmentera en nous cette eau vive qui nous a déjà ressuscités, depuis le
baptême, à la vraie vie, sa vie divine.
Jésus est donc fatigué au bord du puits.
Et une femme de Samarie vint pour tirer de
l’eau. Et Jésus lui dit : "Donne-moi
à boire". Et la conversation se poursuit. C'est l'exemple du dialogue
éternel entre Dieu et l'homme !
Remarquons bien que c’est Jésus qui
commence le dialogue. Parce que, comme son Père, il est celui qui aime le
premier, il prend l'initiative d'un dialogue de salut. Il aurait pu
attendre que cette femme lui parle ; mais son amour le "presse".
Prenons conscience que toutes les démarches que nous pouvons faire pour
rencontrer Dieu ne sont qu’une réponse a une première démarche de Dieu
lui-même. C’est toujours Dieu qui vient chercher l'homme, parce qu'il est celui
qui aime le premier. Toute la Bible porte ce témoignage.
Dieu nous connaît ! Toujours, il nous aime,
"tel que l'on est et là où l'on en
est", a-t-on dit ! "Il m'a
dit tout ce que j'avais fait", dira la Samaritaine. Elle avoue que sa
vie n'a pas été, sans doute, très morale avec ses cinq maris. Mais Jésus, lui
en premier, l'a regardée et aimée telle qu'elle était !
A propos, ces cinq maris dont il est
question dans le récit font probablement allusion aux cinq divinités
dont les Assyriens avaient introduit le culte en venant remplacer les Hébreux
du Royaume du Nord déportés en 722. Ces divinités sont nommées au 2ème
livre des Rois (17,29). Et ce peuple
nouveau composé d'Assyriens qui devint "peuple Samaritain" adoptera
également le culte au Dieu d'Israël. Ce syncrétisme - honni par les croyants de
Jérusalem - est aussi et même plus épouvantable que les infidélités conjugales
de la Samaritaine. - Ne sourions pas, car nous aussi, nous avons nos
syncrétismes : une foi en Dieu qui tolère le culte de l'argent, du pouvoir, du
plaisir et que sais-je encore, le culte de soi-même ! Mais Jésus, lui en
premier, nous regarde et nous aime comme il a regardé et aimé la Samaritaine. C'est
lui qui fait toujours le premier pas !
Et de même, lorsque nous portons en nous
le désir du salut de nos frères, c’est à nous également de faire le
premier pas. N’attendons jamais que l'on vienne à nous ; mais allons vers
nos frères. Comme le Christ, nous sommes des envoyés. "L'amour du Christ nous presse, dira St Paul. Car il est
mort pour tous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour
celui qui est mort et ressuscité pour eux". (2 Co. 5.14).
Et remarquons bien que ce doit être le Christ lui-même qui doit nous pousser vers
nos frères. Tant que la démarche vient de nous seuls, nous qui sommes pécheurs,
elle n’a pas toute sa perfection. C'est le Christ qui doit agir en nous et que
nous devons laisser agir. St Augustin avait raison en déclarant : "Moi, je ne suis que le répétiteur
extérieur (et
parfois pécheur)
du Maître intérieur qui seul instruit les
cœurs" !
L’apostolat, comme l'on dit, c'est laisser
transparaître le Christ en nos pensées, nos paroles, nos actes, laisser
transparaître le Christ qui, malgré nos fatigues, nos faiblesses, nos limites,
voire nos fautes, veut et peut s'adresser à chacun de ceux que nous
rencontrons, comme lui-même a rencontré la Samaritaine. C'est l'humble
condition de tout apostolat !
Retenons surtout : Jésus vînt au puits ; et
il y vint fatigué. C’est dans la faiblesse que le Fils de Dieu qui est la
Force de Dieu engage la conversation avec la Samaritaine.
Que cette attitude de Notre Seigneur soit
pour nous une leçon et un encouragement. Car, nous dit St Paul, "ce qui est faible dans le monde, Dieu
l'a choisi pour confondre ce qui est fort" (I CO. 1.27). "Ma grâce te suffit, lui avait dit
le Christ, ma puissance donne toute sa
mesure dans la faiblesse" (2 Co. 12.9). Aussi Paul ira jusqu’à dire :
"Lorsque je suis faible, c'est alors
que je suis fort" (Id v/10).
Nous aussi, c'est dans la faiblesse de
notre condition d'homme et de pécheur, que notre foi peut soulever des
montagnes.
Et ne cessons pas d’implorer Notre-Dame, la
très humble servante du Seigneur de nous obtenir cette force divine
qui nous fera engendrer nos frères à la vie divine.
(1) Mgr Vladimir Ghika, prêtre et prince
roumain, mort martyrisé par les Nazis durant la dernière guerre
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