dimanche 26 février 2017

Riche de qui, de quoi ?

8ème  Dimanche du T.O. 17/A

Entre Suisses, dit-on - mais il y a de tels "Suisses" partout -, on parle facilement d'argent ! Mais on se garde bien de citer des chiffres précis, même s'il s'agit de les inscrire sur sa feuille d'impôts. Notre pudeur aujourd'hui n'est plus sentimentale mais bien plutôt financière !

Et à entendre les conversations d'affaires - et Dieu sait si j'en ai entendu naguère -, on a toujours l'impression qu'il y a deux catégories de citoyens :
- Certains ont trop d'argent, mais ils refusent de l'avouer. On les accuse même de gloutonnerie en ce domaine ; car de l'argent, ils en veulent toujours davantage, s'enlisant - inconsciemment parfois - dans un matérialisme épais au risque de s'étouffer sous l'édredon de leur confort matériel.
- D'autres, par contre, crient - et violemment parfois - de n'avoir pas assez de ressources, sans savoir pour autant s'ils les utilisent convenablement. Et ils sont rongés par les soucis des lendemains, obsédés par les fins de mois et les dettes à rembourser.

Bref, à écouter et à droite et à gauche, et devant et derrière, on peut se dire que nul n'est vraiment heureux avec son porte-monnaie ou parce qu'il est trop épais ou parce qu'il est trop plat !

Or Jésus nous dit aujourd'hui que pour servir Dieu - et c'est bien l'essentiel de notre vie à nous chrétiens, religieux -,
- il faut avoir une liberté intérieure - cette liberté dont parle St Paul, souvent engloutie sous nos comportements légaux, voire pharisaïques -, il faut avoir cette liberté de l'Esprit Saint, une liberté vraiment spirituelle à l'égard de tout le reste et des richesses surtout,
- et il faut surtout se souvenir que "la racine de tous les maux, comme dit St Paul, c'est l'amour de l'argent" (I Tm. 6.10).

Bien sûr, on va aller s'écriant : la leçon des oiseaux qui trouvent leur nourriture sans autre effort que d'aller picorer au hasard, et que ces fleurs qui tissent leur robe de parade en flirtant avec le soleil et la rosée, n'est-ce pas là un évangile de clochards ? N'est-ce pas transformer les hommes en cigales imprévoyantes ?

Sans doute, Jésus parle par paradoxe. Car lui-même qui vécut pauvre n'a jamais canonisé la misère ou exalté l'indigence qui sont, la plupart du temps, les fruits de l'injustice et les causes de la déshumanisation.
Et là, nous avons un devoir - un devoir strict - de lutter contre. A ce sujet, il y aurait certainement beaucoup à dire aujourd'hui, en un temps de fort chômage, en un temps où bien des hommes n'ont pas de quoi vivre honnêtement. J'ai noté naguère une réflexion de Jean Jaurès lui-même : "Ce n'est point, comme le disent souvent les déclamateurs vulgaires et les moralistes sans idées, parce que notre société a le souci des intérêts matériels qu'elle est irréligieuse. Il y a, au contraire, quelque chose de religieux dans la conquête de la nature par l'homme, dans l'appropriation des forces de l'univers aux besoins de l'humanité. Non, ce qui est irréligieux, c'est que l'homme ne conquiert la nature qu'en assujettissant les hommes" (cité dans L. Pauwels et J. Berger "La main des magiciens" Gallimard 1960, p. 405).

Mais l'évangile d'aujourd'hui s'adresse plutôt à ceux qui possèdent suffisamment en posant cette question : comment utiliser nos richesses ?
Les paroles de Jésus sont à prendre comme des coups de poings sur la table par lesquels un maître veut réveiller l'attention de ses élèves. St Paul avait bien compris la leçon, lui qui affirmait que l'important est d'être de ceux "qui usent de ce monde comme s'ils n'en usaient pas véritablement" (I Co 7.31)..

Autrement dit, il nous faut accueillir cet évangile des oiseaux et des fleurs comme une contestation de notre société de consommation qui transmet à quiconque - riche ou plus démuni - la contagion de la possession. Jésus sait trop combien est dangereux le piège qui enferme notre vie dans la cage plus ou moins dorée des propriétés et surtout de l'égoïsme, source d'inquiétude pour ce que l'on a, pour ce que l'on est, source d'accaparement, d'oppressions multiples, d'envies incessantes. Et bien des scrutateurs de la vie monastique affirment que cette attitude peut se rencontrer même dans les cloîtres à propos de conforts ou biens auxquels on tient d'autant plus qu'ils sont tout petits.

Mais alors, quel remède à tout ce matérialisme qui peut gangréner cœurs, familles, communautés et peuples entiers ? Comment soigner ceux qui ont fait de l'avoir la pire des drogues ? - Jésus nous répond : "Cherchez d'abord le Royaume des cieux et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît".

- Autrement dit, ii nous faut nous comporter avec les biens de ce monde en fils de Dieu et non en esclaves de l'argent, de l'égoïsme. Nous devons nous comporter avec les biens de ce monde comme des enfants de Dieu. Et voilà qui change tout : notre argent, notre cœur, notre conduite !

- Autrement dit, quel temps, quelle attention, quels moyens consacrons-nous à la recherche du Royaume de Dieu en comparaison de ceux que nous vouons à la quête du bien-être et de l'enrichissement matériel. Franchement, qui est mon maître ? A quel trésor notre cœur est-il attaché, qu'est-ce qui le fait battre ? Où mène mon existence ? A l'abri trompeur d'un certain bien-être ou dans la sécurité du Royaume des cieux là où nous serons pauvres de tout parce que riches de Dieu seul, le même également partagé entre tous pour la joie éternelle de chacun ?

Le Seigneur nous dit aujourd'hui : Prenez mon évangile de ce dimanche dans une main et un billet de banque dans l'autre. Lisez, méditez, priez surtout. Et peut-être que les lys des champs et les oiseaux du ciel vont-ils vous paraître finalement plus évangéliques que l'image chiffrée de notre matérialisme.

Nous allons, mercredi prochain entrer dans le temps du Carême, période de réflexion par excellence. Alors, réfléchissons :
- Combien de temps allons-nous consacrer à Dieu par la prière, la lecture de sa Parole ? Même si notre vie est organisée autour de ces activités spirituelles - comme dans un monastère -, quel sera mon appétit non celui de mes satisfactions..., mais mon appétit de Dieu, j'entends.
- Combien de temps allons-nous consacrer à nos semblables en comparaison du temps que nous réservons à notre bien-être ? Irais-je jusqu'à m'enfermer dans mes soucis quels qu'ils soient jusqu'à oublier les visages douloureux que je peux rencontrer tous les jours ? Car en ces visages, c'est toujours le Christ qui souffre de mille façons.

N'oublions surtout pas : C'est avec tous ceux que nous rencontrons que nous sommes appelés à jouir un jour d'un même Bien : Dieu et Dieu seul !

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