8ème Dimanche du T.O. 17/A
Entre Suisses, dit-on - mais il y a de tels
"Suisses" partout -, on parle facilement d'argent ! Mais on se
garde bien de citer des chiffres précis, même s'il s'agit de les inscrire sur
sa feuille d'impôts. Notre pudeur aujourd'hui n'est plus sentimentale mais bien
plutôt financière !
Et à entendre les conversations d'affaires
- et Dieu sait si j'en ai entendu naguère -, on a toujours l'impression qu'il y
a deux catégories de citoyens :
- Certains ont trop d'argent, mais ils refusent
de l'avouer. On les accuse même de gloutonnerie en ce domaine ; car de
l'argent, ils en veulent toujours davantage, s'enlisant - inconsciemment
parfois - dans un matérialisme épais au risque de s'étouffer sous l'édredon de
leur confort matériel.
- D'autres, par contre, crient - et
violemment parfois - de n'avoir pas assez de ressources, sans savoir pour
autant s'ils les utilisent convenablement. Et ils sont rongés par les soucis
des lendemains, obsédés par les fins de mois et les dettes à rembourser.
Bref, à écouter et à droite et à gauche, et
devant et derrière, on peut se dire que nul n'est vraiment heureux avec son
porte-monnaie ou parce qu'il est trop épais ou parce qu'il est trop plat !
Or Jésus nous dit aujourd'hui que pour
servir Dieu - et c'est bien l'essentiel de notre vie à nous chrétiens,
religieux -,
- il faut avoir une liberté intérieure
- cette liberté dont parle St Paul, souvent engloutie sous nos comportements
légaux, voire pharisaïques -, il faut avoir cette liberté de l'Esprit Saint,
une liberté vraiment spirituelle à l'égard de tout le reste et des richesses
surtout,
- et il faut surtout se souvenir que
"la racine de tous les maux,
comme dit St Paul, c'est l'amour de
l'argent" (I
Tm. 6.10).
Bien sûr, on va aller s'écriant : la leçon
des oiseaux qui trouvent leur nourriture sans autre effort que d'aller picorer
au hasard, et que ces fleurs qui tissent leur robe de parade en flirtant avec
le soleil et la rosée, n'est-ce pas là un évangile de clochards ? N'est-ce pas
transformer les hommes en cigales imprévoyantes ?
Sans doute, Jésus parle par paradoxe.
Car lui-même qui vécut pauvre n'a jamais canonisé la misère ou exalté
l'indigence qui sont, la plupart du temps, les fruits de l'injustice et les
causes de la déshumanisation.
Et là, nous avons un devoir - un devoir
strict - de lutter contre. A ce sujet, il y aurait certainement beaucoup à dire
aujourd'hui, en un temps de fort chômage, en un temps où bien des hommes n'ont
pas de quoi vivre honnêtement. J'ai noté naguère une réflexion de Jean
Jaurès lui-même : "Ce n'est
point, comme le disent souvent les déclamateurs vulgaires et les moralistes
sans idées, parce que notre société a le souci des intérêts matériels qu'elle
est irréligieuse. Il y a, au contraire, quelque chose de religieux dans la
conquête de la nature par l'homme, dans l'appropriation des forces de l'univers
aux besoins de l'humanité. Non, ce qui est irréligieux, c'est que l'homme ne
conquiert la nature qu'en assujettissant les hommes" (cité dans L.
Pauwels et J. Berger "La main des magiciens" Gallimard 1960, p. 405).
Mais l'évangile d'aujourd'hui s'adresse
plutôt à ceux qui possèdent suffisamment en posant cette question : comment
utiliser nos richesses ?
Les paroles de Jésus sont à prendre comme
des coups de poings sur la table par lesquels un maître veut réveiller
l'attention de ses élèves. St Paul avait bien compris la leçon, lui qui
affirmait que l'important est d'être de ceux "qui usent de ce monde comme s'ils n'en usaient pas
véritablement" (I
Co 7.31)..
Autrement dit, il nous faut accueillir cet
évangile des oiseaux et des fleurs comme une contestation de notre société de
consommation qui transmet à quiconque - riche ou plus démuni - la contagion
de la possession. Jésus sait trop combien est dangereux le piège qui enferme
notre vie dans la cage plus ou moins dorée des propriétés et surtout de
l'égoïsme, source d'inquiétude pour ce que l'on a, pour ce que l'on est, source
d'accaparement, d'oppressions multiples, d'envies incessantes. Et bien des
scrutateurs de la vie monastique affirment que cette attitude peut se
rencontrer même dans les cloîtres à propos de conforts ou biens auxquels on
tient d'autant plus qu'ils sont tout petits.
Mais alors, quel remède à tout ce
matérialisme qui peut gangréner cœurs, familles, communautés et peuples entiers
? Comment soigner ceux qui ont fait de l'avoir la pire des drogues ? - Jésus
nous répond : "Cherchez d'abord
le Royaume des cieux et sa justice et tout le reste vous sera donné par
surcroît".
- Autrement dit, ii
nous faut nous comporter avec les biens de ce monde en fils de Dieu et non
en esclaves de l'argent, de l'égoïsme. Nous devons nous comporter avec les
biens de ce monde comme des enfants de Dieu. Et voilà qui change tout : notre
argent, notre cœur, notre conduite !
- Autrement dit, quel temps, quelle
attention, quels moyens consacrons-nous à la recherche du Royaume de Dieu
en comparaison de ceux que nous vouons à la quête du bien-être et de
l'enrichissement matériel. Franchement, qui est mon maître ? A quel trésor
notre cœur est-il attaché, qu'est-ce qui le fait battre ? Où mène mon existence
? A l'abri trompeur d'un certain bien-être ou dans la sécurité du Royaume des
cieux là où nous serons pauvres de tout parce que riches de Dieu seul, le même
également partagé entre tous pour la joie éternelle de chacun ?
Le Seigneur nous dit aujourd'hui : Prenez
mon évangile de ce dimanche dans une main et un billet de banque dans l'autre.
Lisez, méditez, priez surtout. Et peut-être que les lys des champs et les
oiseaux du ciel vont-ils vous paraître finalement plus évangéliques que l'image
chiffrée de notre matérialisme.
Nous allons, mercredi prochain entrer dans
le temps du Carême, période de réflexion par excellence. Alors,
réfléchissons :
- Combien de temps allons-nous consacrer
à Dieu par la prière, la lecture de sa Parole ? Même si notre vie est
organisée autour de ces activités spirituelles - comme dans un monastère -,
quel sera mon appétit non celui de mes satisfactions..., mais mon appétit de
Dieu, j'entends.
- Combien de temps allons-nous consacrer
à nos semblables en comparaison du temps que nous réservons à notre
bien-être ? Irais-je jusqu'à m'enfermer dans mes soucis quels qu'ils soient
jusqu'à oublier les visages douloureux que je peux rencontrer tous les jours ?
Car en ces visages, c'est toujours le Christ qui souffre de mille façons.
N'oublions surtout pas :
C'est avec tous ceux que nous rencontrons que nous sommes appelés à jouir un
jour d'un même Bien : Dieu et Dieu seul !
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