dimanche 26 juillet 2015

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17ème Dimanche du T.O. 15/B


On peut faire plusieurs erreurs de perspective à propos de l’évangile d’aujourd’hui !
L'erreur première serait de crier “au miracle” et d'en être tellement irrité (c'est tellement irrationnel !) ou séduit (comme c'est beau !) que nous serions exactement dans la situation des juifs qui veulent faire de Jésus leur Roi ; un Roi thaumaturge, extraordinaire... Alors Jésus s'enfuit !
La seconde erreur - inverse et plus fréquente - est celle de ceux qui diront, deux jours plus tard : “c'est intolérable, qui peut entendre cela ?”

Et pourtant, cet épisode de la multiplication des pains est tellement important dans l'Evangile de Jean qu'il constitue le point de départ d'un long discours. C'est un signe (comme dit souvent St Jean) que Jésus accomplit. Un signe qu'il faut bien comprendre et bien lire.

Il ne s'agit pas pour Jésus de déclencher l'enthousiasme des foules. Ni de provoquer, en le heurtant, le sens pratique et technique de ses auditeurs. C’est plus important que cela ! Il veut nous amener à confesser la Foi, celle qui fait dire à Pierre : “A qui irions-nous Seigneur ? Tu as les Paroles de la Vie éternelle”.

 [Un geste de partage, né d'un regard]

Ce qui est premier - et que nous commente merveilleusement le texte à propos d'Elisée -, c'est le regard de Jésus. Il voit la foule qui le suit, qui a contourné le lac pour l'écouter et l'écouter encore. Une foule affamée, et démunie. Il lit la fatigue et la faim sur les visages !

Combien de fois regardons-nous sans voir ? Combien de fois voyons-nous sans remarquer. Car “on ne voit bien qu'avec le cœur”. Nous savons que deux tiers de l'humanité meurt de faim, et, dans notre inconscience, nous n'imaginons même pas de pouvoir porter le fardeau de la faim, du sous-développement des autres. Jésus, Lui, voit. Et il provoque ses disciples à voir comme lui. Mais comment faire pour donner à manger à cette foule ?

Et ne disons pas trop vite que les disciples ne voient pas. Il s'en trouve un, André, pour remarquer un enfant qui possède cinq pains d'orge et deux poissons. André commence à voir. Même si ce qu'il voit le désespère : “qu'est-ce que cela ? pour tant de monde ?”.
Cependant, André commence à voir, mais il ne croit pas encore à ce qu'il voit. Il n'imagine pas ce que peut donner la libéralité de Dieu quand une étincelle jaillit dans le cœur d'un enfant et surtout d'un enfant de pauvres. Il n'y a rien de plus riche que le don d'un pauvre. C'est pourquoi, de riche qu'il était, Dieu, en Jésus, s'est pauvre pour sauver les pauvres que nous sommes tous !

[Un partage né d'un enfant]

Et pourtant, Jésus l'avait bien dit : “si vous ne devenez pas semblable à un petit enfant, vous ne verrez pas le Royaume de Dieu”. Cet enfant, avec sa petite fortune alimentaire est un point de départ possible. Une espérance pour le Royaume. Il suffirait que, dans cette foule, l'enfant desserre ses mains, ouvre ses pauvres trésors. Qu'il ne garde pas pour soi : mais qu'il donne !
Et c’est ce qui se fait : Jésus prend les pains des mains de l'enfant. On ne peut imaginer Jésus prendre de force ! Lui qui dit toujours : “Si tu veux ...”. Non, ces cinq pains d'orge et ces deux poissons, l'enfant les donne. Et voilà que tout devient possible... La foule ne cesse pas de se passer de mains en mains ces éléments d'un repas de pauvres. Et il en reste.
Regardons ! Retenons bien ! Il a suffit qu'un petit, qu'un pauvre desserre ses mains, et le partage devient possible. Aux dimensions de la libéralité de Dieu. Au point, encore une fois, qu'il en reste. Car Dieu ne lésine pas quand l'homme consent à vivre la première béatitude : celle de la pauvreté qui partage.

[C'était avant la pâque...]
Et puis, vous l'avez remarqué : Jean note que cela se passe “avant la Pâque”. C'est par les mêmes mots qu'il marquera les derniers jours de Jésus, quand Il montera à Jérusalem, pour partager le pain du repas pascal avant d'accomplir ensuite sa Pâque, cette vraie Pâques qui nous permettra de partager le Pain du Royaume de Dieu.
Ainsi, au moment du partage du pain, il soulignera en lavant les pieds de ses disciples, que le partage fraternel est indispensable pour "avoir part avec lui" (Jn 13.8) au repas du Royaume de Dieu". Pour Jean, le service des frères, le partage entre frères sont les "signes" du Royaume de Dieu,  de l'Eucharistie (dont Jean ne raconte pas l'institution) ; l'Eucharistie, signe pascal du pain partagé pour le salut du monde !

Cette seule expression “c'était avant la Pâque”, annonce l'intention de Jean : il veut nous parler de l'Eucharistie que nous célébrons chaque dimanche. Il veut nous rappeler que célébrer l'Eucharistie n'est rien si tout ne commence pas, en nos vies, comme la multiplication des pains, par un regard attentif et efficace sur les besoins qui nous entourent.

Toute eucharistie débute, normalement, par cette attention, ce regard interrogatif : que pourrions-nous faire ?”

Tout commence par un geste d'enfant qui partage son goûter, ses maigres provisions. Comme si Jésus nous disait : et toi, qu'as-tu à partager avec tes frères, puisque moi, je vais partager... ma vie ?

Partage des biens matériels, évidemment !
Mais bien davantage le partage de toutes les richesses qui constituent notre vie :
- le petit bout de pouvoir que nous détenons les uns sur les autres, même dans une même famille ;
- le partage de cette qualité qui est nôtre et qui nous rend attentifs aux autres, mais que nous cachons parfois pour n'être pas dérangés ;
- le partage, c'est encore tout ce que nous savons bien et que nous gardons, serré en nous-mêmes, terré en nous-mêmes.

Comment, alors, faire Eucharistie, puisqu'elle commence par le partage ?

 [Les gens disaient...]
Nous pensons facilement que le partage prend du temps, des forces, un peu de nous mêmes ; nous pensons que ce partage va nous diminuer, nous empêcher de vivre.
Mais regardons la foule.
Elle s'émerveille de ce qu'elle a été capable de faire.
Elle s'émerveille du Christ,
Elle apprend à rendre grâce dans la joie.
Elle apprend à vivre au rythme de Dieu.
Dans le partage, par le partage, elle a fait l'expérience de ce qu'en rompant sa vie, en ne la gardant pas pour soi, on s'enrichit de la pauvreté de Dieu qui dépasse tous les biens.

Mais, évidemment, le “Malin” est toujours là pour nous tromper comme il a trompé les auditeurs de Jésus. Ils veulent l’enlever pour le faire Roi. Alors, il se dérobe et se retire, seul dans la montagne.

C'est encore là une leçon de vie, car on pourrait se croire "quelqu'un" quand on a, une fois seulement, commencé à regarder pour voir, à écouter pour entendre, à partager vraiment. On pourrait se croire chrétien bien comme il faut. Alors, il est urgent de se retirer dans la solitude et de se confronter avec la libéralité de Dieu qui donne comme il respire. Au-delà des attentes.
Car c'est cela la prière de Jésus : quand Il a provoqué à la pauvreté, quand il a enseigné à un enfant à se dessaisir de ce qu'il tient, Jésus ne cherche pas autre chose que son Père. Il ne cherche aucune gloire humaine. Il ne cherche que la gloire de Dieu... qui donne éternellement !

[L'Eucharistie : école de pauvreté]
Et c'est tout cela notre Eucharistie de chaque dimanche. Un apprentissage du don, du partage, de l'écoute tant de Dieu que des attentes des hommes. Et une école de pauvreté. Que faisons-nous, en réalité, en rendant grâce ? Nous disons au Père, en Jésus, que ce que nous avons été capables de faire vient de Lui. De Lui seul ! Et que nous lui rendons grâce de ce que son Esprit, en nous, a été plus fort que nos accaparements.

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