dimanche 20 mai 2012

La vraie vie !


7ème dimanche de Pâques 12 -  


On dirait que le chrétien est comme tiraillé entre deux mondes.
“L’Eglise connaît deux genres de vies, écrivait St Augustin. L’une est dans la foi, l’autre dans la vision. L’une pour le temps du voyage, l’autre pour la demeure d’éternité. L’une sur la route, l’autre dans la patrie. L’une dans le travail et l’action, l‘autre dans la récompense de la contemplation”…

Oui, le chrétien est comme entre deux mondes. Ce monde-ci et un autre. Et il faut parfois beaucoup d’espérance, de connivences intérieures pour aimer ce monde-ci et pouvoir parler de l'“autre monde”, encore invisible.  Et chacun s’en va répétant comme le poète Rimbaud : “La vraie vie est absente”. Qui ne le sent pas parfois ?

On peut le sentir lorsqu'une certaine forme de réussite légitime nous échappe totalement : un projet familial, social, professionnel, une relation amicale…, que sais-je ? Qui n’a pas vu un homme, une femme dont la vie était comme décolorée et le monde éteint, parce qu’une ambition légitime, une affection réconfortante, une grave maladie faisaient place brusquement à un vide abyssal ?  “La vraie vie est absente”. On a beau répéter partout qu'il faut se contenter de ce monde, ce monde ne nous contente pas. Notre cœur est plus grand que ce monde.

Pourtant l'hypothèse chrétienne, celle de Jésus, est qu'il y a une présence dans ce monde que l'homme ne perçoit pas du premier coup, qui doit lui être annoncée, révélée : “Le Royaume de Dieu est déjà là”, répétait Jésus. Et beaucoup pressentent, d’une manière ou d’une autre, que ce monde-ci n'est qu'allusion à un autre monde. 
“Allusion ou Illusion ?“, diront les railleurs ? Et certains trop meurtris par des circonstances de vie vont répétant : “La vraie vie est absente”.

Et que dire de la mort elle-même ? Elle qui a l’impudence de faire disparaître tout ce qui a précédé, de discréditer la vie actuelle : tout le passé est englouti de façon aussi rapide qu'un texte d'ordinateur par une erreur de manœuvre. Disparue... non sauvegardée. Est-ce possible ? “La vraie vie est absente”, dira-t-on encore.

Cependant, elle existe, cette vie plénière ! Je ne connais pas d'homme qui n'ait pas envie d’y croire. Même celui qui affirme ne pas croire comme cet homme embarqué par des amis pour un séjour à Lourdes et qui honnêtement reconnaissait : “Oui, j’ai écouté et bien entendu… Tout cela je le reconnais : on dirait que ces discours décrivent mon pays d’origine que je voudrais retrouver. Mais voilà, je ne crois pas”. Oui, il peut y avoir en un homme la nostalgie de Dieu en lequel il pourrait croire simplement. Mais il y a ce détersif puissant, ce virus spirituel du doute qui fait disparaître Jésus et son message, sans enquête, sans instruction, sans même un procès à la façon de Pilate.

Ceux que j'évoque ici sont tout près de nous. Nous les connaissons, les aimons… …. Et je me permettrais de leur dire : il faut toujours persévérer dans l'“attente”, dans l'attente de Dieu. Car si l’on va criant douloureusement parfois : “La vraie vie est absente”, on ne perd cependant jamais son temps à paraître “loin de Dieu”. Car si nous pensons être loin de Dieu, Lui, Dieu, nous sollicite sans cesse, nous cherche dans les méandres de notre liberté.

Et si l’on se dit - parce que croyants quand même plus ou moins et souvent moins que plus - que la vraie vie n’est pas totalement absente, c'est parce que, la plupart du temps, on a eu près de soi de vrais témoins de cette vraie vie. Peut-être déjà dans sa famille ou un ami…  Quelqu'un dont on a senti qu'il y avait dans sa vie une netteté, une droiture, un courage à vivre malgré les épreuves. Une existence qui, par sa densité, a été la découverte du mystère de l'homme, d’un sens de la vie et de son orientation vers Dieu. Sans ces témoins, on ne serait pas le même !

C’est cela l'Église. C'est ce que les apôtres ont été, tous, les uns pour les autres. Voilà pourquoi nous disons que l'Église est “apostolique”, c’est-à-dire fondée sur le témoignage des apôtres.
Peut-être avez-vous été vous-mêmes ces témoins pour d'autres. N'est-ce pas cela une communauté chrétienne ? Elle est “force de témoignage” qui semble contredire, malgré les apparences contradictoires, cette affirmation lancinante : “La vraie vie est absente !”.    
Oui, nous ressentons toujours vivement la “force d’un témoignage”.  J’ai rencontré une personne très équilibrée, peu encline à de rapides emballements. Elle avait rencontré Mère Térésa. Lorsqu’elle en parlait, sa voix changeait de ton. La “force du témoignage” !

Mais, malheureusement, nous ne savons guère nous arrêter pour laisser la “force d’un témoignage” - la force d’une présence - faire en nous son œuvre. Pourtant, nous avons la grâce d’avoir un Dieu “irréfutable”… ! Je veux dire qu'il est sans défense, “innocent” comme disait Claudel lors de sa conversion, si loin du Dieu des puissances, des hiérarchies et des démonstrations péremptoires.
Saurons-nous le reconnaître pour ne plus dire : “La vraie vie est absente !”.

Il suffit de lire le récit simple de la vie du Christ, de ses rencontres et finalement de la passion. Alors nous pourrons proclamer un Dieu à qui le dernier des derniers - je pense à ce larron tout près de Jésus en croix - peut avoir envie de dire : “Souviens-toi de moi quand tu seras dans ton paradis”la vraie vie n’est pas absente ! Un Dieu qui ne prétend à rien qu'à ouvrir un avenir pour sortir l'homme de ses contradictions. Voilà la divine présence qui contredit cette affirmation : “La vraie vie est absente !”.

“Père, priait Jésus, je ne te demande pas de les retirer du monde !“.

Alors, l'homme chrétien entre deux mondes ? Peut-être, mais il y a une présence dans ce monde que l'homme ne perçoit pas du premier coup : “Je parle ainsi, en ce monde, pour qu'ils aient en eux ma joie. Je ne demande pas que tu les retires du monde mais que tu les gardes du Mauvais”.
Alors, sachons crier, malgré les épreuves diverses : “Non, la vraie vie n’est pas absente !“.

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