17 T.O. - Mercredi - (Jer. 15.10sv)
Devant les contradictions qu’il ne cesse de
rencontrer en sa vie, Jérémie exprime sa souffrance, son découragement. “Pourquoi ma souffrance est-elle sans fin,
ma blessure incurable, rebelle aux remèdes ?“. N’est-ce pas notre cri
à nous aussi, parfois ? Je crois que Jérémie est le patron des dépressifs.
Et nous le sommes tous plus ou moins. Il faut donc savoir le prier !
Car, finalement, son remède à lui, Jérémie, c’est la Parole de Dieu qui, malgré
tout, le remplit de ravissement ! “Quant
tes paroles venaient à moi, Seigneur, je les dévorais ; ta parole faisait
ma joie, les délices de mon cœur !“.
Il faut le dire et le redire - les psaumes
l’attestent suffisamment - : dès l’A.T., la Parole divine n’est pas un
objet de spéculation abstraite (comme le
“Logos“ chez les Grecs). Quand
Dieu parle, il s’agit d’une véritable expérience de vie.
Certes, cette expérience peut varier : Isaïe,
cet homme de grande foi qui fréquente les grands de ce monde ne ressemble pas à
Ezéchiel à l’imagination si fertile, quasi caractérielle. Aux uns, est-il dit,
Dieu parle “en visions et en songes“ (Nb 12.6) ; aux autres, par une inspiration
intérieure plus indéfinissable. Ainsi en est-il pour Jérémie : “Dieu me toucha la bouche, dira-t-il ; et il me dit : Voici que j'ai placé mes paroles en ta bouche“ (1.9). A
Moïse, Dieu parle “bouche à bouche“ (Nb 12.8), de sorte que lui-même pouvait parler au
peuple “al pi Adonaï“, “sur la bouche de
Dieu“ !
Mais ce ne sont pas ces différences
d’expression qui comptent. Ce qui est à retenir, c’est que tous les prophètes
ont clairement conscience que Dieu leur parle, que sa Parole les envahit en
quelque sorte jusqu’à leur faire violence : “Tu m'as séduit, Seigneur, dira encore Jérémie, et je me
suis laissé séduire ; tu m'as maîtrisé, tu as été le plus fort… La Parole du
Seigneur a été pour moi source
d'opprobre et de moquerie tout le jour. Je me disais : Je ne penserai plus à lui, je ne
parlerai plus en son Nom ; mais c'était en mon cœur comme un feu dévorant, enfermé dans mes os. Je m'épuisais à le contenir,
mais je n'ai pas pu“.(20.7sv).
De plus, la Parole de Dieu n’est pas donnée à
un petit cercle d’hommes privilégiés, comme à des mystiques. La Parole de
Dieu est toujours à transmettre. Tout le peuple est appelé à reconnaître
que Dieu lui parle par la bouche de ses envoyés. Ainsi, tous, nous sommes appelés
à accueillir la Parole de Dieu non seulement avec notre tête, mais avec tout
notre être, à mastiquer la Parole de Dieu, disaient les Pères de l’Eglise, à la
ruminer sans cesse afin qu’elle puisse alimenter tout notre être, toute notre
vie !
Au temps de Notre Seigneur, et bien plus encore
par la suite, les synagogues étaient des lieux d’études. Et actuellement, pour
nous, il y a une multitude de livres, de cercles de réflexion qui décrivent comment aborder la Parole de
Dieu, qui proposent des méthodes de recueillement, de méditation, et que
sais-je encore. C’est très bien. Cela peut être une aide. Dans la vie moderne
d’aujourd’hui, souvent artificielle, ces explications, ces méthodes diverses
peuvent aider à retrouver la concentration, le recueillement. Mais ceci dit, aussi
parfaitement que soit labourée la terre, si on ne sème pas, il ne pousse rien.
Il faut sans cesse se laisser ensemencer
par la Parole de Dieu pour porter alors du fruit ; être de ces arbres,
selon les espèces, selon les temps, qui donnent du fruit, de la fécondité…,
devenir de bonnes terres qui produisent 30, 50, 100 pour un !
La Parole de Dieu doit être tout d’abord
écoutée “avec un cœur noble et généreux“, dit St Luc (8.15). Le P. Courroyer (de l’Ecole
biblique de Jérusalem) a expliqué naguère que le contraire de
“prêter l’oreille“, c’est avoir la “nuque raide“. Un peu comme l’aspic qui
est parfois représenté comme se bouchant une oreille contre terre et qui se
raidit afin que sa queue vienne boucher l’autre ! Et il ajoutait : on
peut être très savant et ne pas écouter véritablement !
Le peuple de Dieu fut souvent accusé d’“avoir
la nuque raide“ : ne pas savoir écouter. Finalement, l’oreille est un
organe très important. Les rabbins aimaient à dire (Mais Aristote le remarquait déjà dans son “De natura
rerum“) que nous avons deux oreilles et une seule bouche !
Vous pourrez en tirer pas mal de conclusions. En tous cas, on devrait écouter
plus que l’on ne parle. On passe beaucoup de temps parfois, me semble-t-il, à
discuter et discuter encore de certains problèmes… Et si on commençait par écouter
la Parole de Dieu : la prière ! Un jour, le Cardinal Suhard que vous
affectionnez légitimement est arrivé au sein d’un groupe de prêtres qui
discutaient, discutaient avec un sérieux imperturbable… Au bout d’un moment, le
saint homme leur dit avec le sourire : “Messieurs,
et si on faisait comme si Dieu existait… ?“.
Oui, on doit écouter plus que l’on ne parle. Car il faut le reconnaître : la bouche peut être fermée deux fois,
une fois avec les dents et une fois avec les lèvres. Mais on ne peut fermer les
oreilles. Chez Isaïe, ce qui est important ce n’est pas tant la bouche que les
oreilles : “Le Seigneur m'a donné une langue de disciple pour que je sache apporter à
l'épuisé une parole de réconfort. Il éveille chaque matin, il éveille mon
oreille pour que j'écoute comme un disciple. Le Seigneur m'a ouvert l'oreille, et moi je
n'ai pas résisté, je ne me suis pas dérobé“. (Is. 50.4).
Et il y a cette célèbre parole du psaume 40ème : “Tu ne voulais ni sacrifice ni oblation, tu
m’as ouvert l’oreille“. C’est très curieux - et je terminerai par là - : dans les Septante et dans la
lettre aux Hébreux, là où il est écrit “ tu
m’as ouvert l’oreille“, on lit : “Tu
m’as formé un corps !“ : “C'est
pourquoi, en entrant dans le monde, le Christ dit : Tu n'as voulu ni sacrifice
ni oblation ; mais tu m'as façonné un corps“ (Sept. “Alors je viens !“)
Alors une question à laquelle vous répondrez certainement avec la
sensibilité féminine que je n’ai pas : comment est-on passé de l’oreille
au corps ? Comment cela ? Je sais bien que le premier organe sensible
qui vient à l’éclosion dans l’embryon, c’est l’oreille ! Est-ce une
explication ? Je ne sais ! Mais une chose est certaine : la
Parole de Dieu qui entre par les oreilles et qui doit descendre jusqu’au fond
des entrailles, doit entraîner comme un rebondissement de tout l’être dans l’action
de grâce : Tu n'as voulu ni
sacrifice ni oblation ; mais tu m'as façonné un corps“.
Autrement dit, depuis que Dieu s’est fait homme, la Parole de Dieu demande
à être appropriée jusqu’à l’incarnation. N’est pas une façon de poursuivre ce
grand mystère de Dieu parmi les hommes qui va me permettre de dire dans un
instant : “Prenez, ceci est mon Corps !“.
Ce n’est sans doute pas une explication, mais une simple indication… Vous
me le direz certainement en temps opportun.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire