17 T.O. - Mardi - (Jer. 14.17-22)
Il y a, me semble-t-il, dans la lecture
d’aujourd’hui, une révélation
importante, étonnante, émouvante… !
Déjà le prophète Jérémie, à la pensée des malheurs
qui vont fondre, qui fondent sur le peuple élu de Dieu, en conséquence de ses
infidélités à son égard, à l’égard de Dieu, de son Dieu, de son Dieu Sauveur,
du Dieu de l’Alliance, ce prophète était lui-même en très grande souffrance :
“Seigneur, as-tu rejeté Juda, es-tu
dégoûté de Sion ? Pourquoi nous frapper d’un mal incurable… ?“
Et cette prière d’intercession est précédée d’une évocation des malheurs
qui s’abattent tant “en ville qu’en
campagne“ (v/18), une évocation qui
est présentée comme un oracle venant du Seigneur lui-même : ce n’est
plus seulement le prophète qui se lamente. C’est Dieu lui-même qui
crie sa douleur : “Mes yeux
fondent en larmes, nuit et jour, sans trêve : un grand désastre a brisé la
Vierge, mon peuple, un coup meurtrier“ (v/17).
“Si vous n’arrêtez pas, s’était déjà
lamenté le Seigneur, je vais me désoler
dans mon coin… ; mes yeux vont pleurer…, mes yeux vont pleurer, pleurer,
fondre en larmes : le troupeau du Seigneur part en captivité… !“ (13.17).
On dirait que le Seigneur, le Dieu de toute
miséricorde - et ce mot évoque les émotions profondes d’une mère - souffre de
la souffrance de son peuple, souffre de voir son peuple aller vers son
anéantissement.
Dieu souffrirait-il de la souffrance de l’homme ?
Ezéchiel sera plus explicite en quelque sorte : lorsque le peuple va en
exil, il voit la gloire de Dieu quitter Jérusalem et rejoindre les exilés dans
la vallée de l’ombre et de la mort. Autrement dit, Dieu va vers le lieu d’exil
pour souffrir avec les exilés !
Commentant le verset de Jérémie selon lequel Dieu
dit : “Je pleurerai dans mon coin,
je pleurerai en secret…“ (13.17), un
midrash remarque qu’il existe un lieu nommé “secret“ ; et, lorsque
Dieu est triste, il s’y réfugie pour pleurer… Un autre midrash ajoute : “lorsque Dieu voit la souffrance de ses
enfants, il verse deux larmes dans l’océan ; en tombant, les larmes font
un tel bruit qu’on l’entend d’un bout du
monde à l’autre…“. J’aime penser à cette légende en reprenant cette
extraordinaire annonce du prophète Zacharie qui présente Dieu souffrant de la
souffrance de l’homme, de la souffrance causée par l’homme. Car Dieu dit lui-même : “Ils regarderont vers moi, Celui qu’ils ont
transpercé… !“ (Za 12.10) … Et
ils seront sauvés !
Oh ! Certes ! Cela n’explique pas le mal.
Loin de là ! Et on peut toujours comprendre le cri du révolté, car il y a
devant nous, sans cesse et en même temps, et “Don Juan plongés aux enfers et la mort d’un enfant“. Et “s’il est juste que le libertin soit
foudroyé, on ne comprend pas la souffrance de l’enfant“ (Camus) - Et
certains, bien sûr, de refuser jusqu’à la mort d’aimer cette création où des
enfants son torturés… Bien sûr !
Mais il reste ces prophéties de Jérémie, d’Ezéchiel…
et celle de Zacharie : “Ils
regarderont vers moi, Celui qu’ils ont transpercé… !“
Et le Verbe s’est fait chair !
Dieu, en Jésus, a pleuré sur Jérusalem. “En son coin, en secret“, il a pleuré
sur le monde au jardin de Gethsémani. Il a pleuré des larmes de sang au
Golgotha. Et St Jean a raison de reprendre la prophétie du prophète : “Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé !“
(Jn 19.37).
Oh ! Bien sûr, ces pensées n’expliquent pas le
mystère du mal en nous et autour de nous. Mais comme l’a si bien dit Paul
Claudel : “Dieu, en Jésus, n’est pas
venu expliquer le mal ; il est venu l’assumer !“ – Oui, Dieu ne
démontre pas le mal de façon rationnelle. Il démontre seulement que pour un
excès du mal, il faut un excès d’amour.
Tel doit être, me semble-t-il, le message chrétien…
et le sens de toute vie consacrée au Seigneur. Notre vie de baptisé, de
consacré ne vise d’abord ni le mal, ni même le péché de l’homme (comme on l’a affirmé parfois, de façon trop doloriste).
Notre vie de chrétien annonce, doit prophétiser concrètement, la libération du
mal et du péché. Toute notre vie doit être une exclamation osée, comparable à
celle d’Ezéchiel : Le Fils de Dieu lui-même est venu prendre sur lui toute
la réalité du mal…, par un engagement visible et total, par une solidarité avec
l’homme volontairement assumée.
Et cette puissance divine manifestée dans une
impuissance humaine (“Mon Dieu, mon Dieu,
pourquoi m’as-tu abandonné ?, dira le Christ lui-même) se manifeste
encore aujourd’hui, doit se manifester en tous ceux qui, particulièrement, forment
le “Corps du Christ“. N’est-ce pas cette intelligence du cœur qui nous est
demandé, à la suite du Christ, qui dépasse toute forme de vie, tout ritualisme
et habitudes de vie qui asphyxient ! Cette intelligence du cœur nous
permet de reprendre, avec le Christ, mort et ressuscité, la prophétie de
Zacharie : “Ils regarderont vers
moi, Celui qu’ils ont transpercé… !“ Et ils seront sauvés ! N’est-ce pas la réalité de toute Eucharistie ?
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