23e Dimanche du T.O.
19/C
St Luc nous montre toujours Jésus sur la route, celle qui conduit vers Jérusalem où il va être condamné
à mort et où il ressuscitera.
On voit très bien la scène : Jésus marche en tête,
résolument, comme l'a dit St Luc précédemment. Il marche en tête puisqu'il doit
se retourner pour s'adresser à ceux qui l'accompagnent.
Ceux-ci nous sont présentés de manière un peu emphatique,
comme formant "de grandes foules". C'est que pour l'évangéliste, il
n'est plus question seulement de ceux qui, ce jour-là, cheminaient avec Jésus,
mais de tous les hommes et de toutes les femmes qui, au cours des siècles,
attirés par le Christ, se sont mis à marcher à sa suite, de nous-mêmes, par
conséquent.
Jésus est devant. Et, se retournant, il accuse la distance
qui nous sépare encore de lui. Regardant cette foule, nous regardant, il
semble nous poser cette question : "Parmi ces volontaires, combien de velléitaires ? Combien me suivront jusqu'au bout ? Combien, devant les
difficultés de la route, devant tel ou tel orage qui surviendra, seront
capables de faire face avec moi ?" Grande et actuelle question ! Et on conçoit que Jésus sente le besoin de
nous avertir des exigences que comporte l'état de disciples.
Mais est-il possible que Jésus, "l'Amour de Dieu
incarné" ait osé avancer de telles exigences qui nous sont signifiées
aujourd'hui ? "Si quelqu'un vient à
moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et ses
sœurs, jusqu'à sa propre vie, il ne peut être mon disciple".
Cette déclaration a évidemment bouleversé bien des
générations de croyants. Et les exégètes nous expliquent que le mot
"haïr" n'est pas à prendre dans le sens fort que lui donne notre
langage habituel. La langue hébraïque est une langue pauvre. En particulier, elle
ne possède pas de comparatif. "Haïr" signifie souvent "aimer
moins".
Dans notre texte, il s'agit par conséquent d'une préférence
à accorder au Christ : "Si quelqu'un vient à moi sans me
préférer à son père, sa mère, sa femme…, il ne peut être mon disciple".
Nous devons préférer le Christ à ceux que nous aimons le
plus. Et quelquefois, cet amour de préférence, cet amour exigeant du Christ
pousse à quitter la famille pour un service plus total du Seigneur. C'est le
cas de toute vocation religieuse, sacerdotale. Les exemples sont multiples et
divers : St François de Sales et Ste Jeanne de Chantal, par exemple, les
missionnaires – tel Siméon Berneux - qui, autrefois surtout, partaient pour
vingt, trente ans.
Mais si nous réfléchissons plus profondément à cette parole
de Jésus, si déconcertante à première vue, nous comprendrons que "préférer
le Christ" à nos proches nous amène, non pas à les aimer moins, mais à
les aimer mieux.
En effet, nous sommes pécheurs et le péché nous met dans
l'incapacité d'aimer comme il faut, d'établir des relations d'amour absolument
réel, vrai, sincère avec les autres. Car si le péché nous sépare de Dieu, il
nous sépare aussi de nos frères. Nous ne savons pas aimer comme il faut, parce
que notre égoïsme, notre amour propre, nos intérêts dénaturent nos amours. Trop
souvent, sous prétexte d'aimer les autres, c'est nous-mêmes que nous aimons.
Or, le Christ n'entend pas supprimer nos amours humaines. Il
veut les purifier, les transformer, les sanctifier. Lui-même n'a pas exclu
de son affection sa mère et sa parenté. Mais il a intégré ses affections dans
le mouvement global d'amour qui le portait vers le Père. Un fleuve, pour aller
vers la mer, n'exclut pas ses affluents ; au contraire, il s'en augmente. - A
condition que notre cœur soit profondément tendu vers Dieu, comme le fleuve
vers la mer, nos affections humaines peuvent agrandir et intensifier notre
amour pour Dieu.
La question est de savoir si les affections que nous donnons
ne se perdent pas dans le périssable ou si celles que nous recevons n'abîment
pas notre cœur. "Préférer le Christ", cela revient alors à
dire qu'on choisit d'accueillir dans son cœur ce que le Christ accueille dans
le sien.
Dès lors, "porter
sa croix et marcher à la suite du Christ", c'est. accepter de vivre le
mystère de mort et de résurrection du Christ, en s'arrachant à sa mauvaise manière d'aimer pour apprendre du Seigneur,
par une transformation de soi-même, à aimer véritablement.
Et nous avons, dans la lettre de Paul à Philémon (2e lect.), un exemple de la
transformation dans les relations,
opérée par la foi au Christ
Onésime, un esclave de Philémon, s'est enfui. Il a rencontré
Paul qui l'a initié à la foi. Onésime
croit ! Et Paul le considère comme son frère et il écrit en ce sens à Philémon.
Il lui demande de pardonner à Onésime et même de le libérer au nom d'une nouvelle
relation qui doit s'instaurer entre eux à cause de la foi commune qui les anime
désormais. Les circonstances nouvelles doivent leur faire découvrir que, dans
le passé, ils se haïssaient… et que, grâce à l'action du Christ en eux, ils doivent
s'aimer profondément !
Pour nous, les applications sont constantes. L'une des plus
profondément humaines est l'amour entre époux. Le Sacrement de mariage établit
entre les époux un centre d'échange, le Christ lui-même, à partir duquel part
la qualité de leurs échanges d'amour ; et ces échanges leur permettent de mieux
réaliser ce qu'est l'amour du Christ pour eux, et, par conséquent, de mieux
s'aimer.
Pour eux aussi, il y a une manière de vivre leur amour en
"préférant" le Christ, en étant "disciples". C'est au cœur
de cet amour qu'ils sont invités à consentir au Christ avec la totalité de leur
être. L'amour conjugal devient de plus en plus charité, grâce à l'amour du
Christ en eux.
Au fond, l'évangile d'aujourd'hui nous invite à faire cette
prière : "Seigneur, unifie mon cœur, de sorte que nous mettions en ton
cœur tous ceux que nous aimons. Ainsi, nos affections ne seront pas diminuées
ou rabaissées par notre amour propre, mais grandies à la dimension de ton amour
divin".
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