22e Dim. T.O. 19.C
Sans doute aurez-vous ce midi une place à une table. Pas seulement
un sandwich que l’on accorde à un mendiant de passage ! Pas seulement, je
l’espère, l’assiette d’un solitaire ! Pas seulement un plateau, fut-il
copieux, composé au libre-service !
Mais une vraie place à table : Quelque
chose à manger et quelqu'un avec qui manger !
Jésus ne refusait pas les
invitations à dîner, qu'elles viennent de publicains ou de pharisiens, au
point que certains s'en scandalisaient ; on le traitait parfois de
glouton et d'ivrogne !
Et remarquons bien : il
commence sa vie publique à Cana par un repas de noces et la finit par le repas douloureux,
certes, mais étonnamment fraternel du Jeudi Saint.
Plus d'une fois, dans les
paraboles principalement, il évoque le Royaume de Dieu comme un banquet où nous
serons tous à ses côtés.Et l’un des auditeurs d s’exclamer ! "Heureux celui qui prendra part au festin
du Royaume de Dieu !". Il en avait "l »eau à la
bouche", si je puis dire !
La table d’un vrai repas est le
lieu où la parole accompagne le pain, où les relations entre les personnes sont
au moins aussi importantes que le menu qu'on y sert.
C'est un des lieux principaux où
l'humanité se révèle en prenant ses distances avec l'animalité. Combien de
fois, dans l’enfance et la jeunesse, ne nous a-t-on pas dit : “Tiens-toi
bien à table”, c’est-à-dire : tiens-toi comme un homme, une femme et non
comme un animal. Et si c'est là qu'on apprend à devenir des hommes, il n'est
pas étonnant que Dieu s'y intéresse.
Aussi, Dieu pourrait nous
demander : "Quelle sera
votre table tout à l'heure ?"
- Il y a le repas “habitué” des
gens enfermés dans leur silence ou désormais fascinés par la télévision.
- Il y a le repas “tendu” où,
pour éviter les heurts, on s'interdit toute allusion à la politique ou à
d’autres sujets
- Il y a le repas “blessé” parce
que certains qui auraient pu y trouver place ne sont finalement pas présents.
- Il y a le repas “calculé” où la
gentillesse est affectée, la générosité intéressée, l'amitié hypocritement
jouée.
Il n'échappe pas au regard de
Jésus le manège de celui qui tente d'approcher les places d'honneur ou celui
qui fuit la proximité d'un
importun. C’est bien connu !
Lorsque, pour un repas de noces,
la maîtresse de maison passe des heures pour établir un plan de table, elle
saisit la complexité du tissu humain où l'âge, le sexe, la culture, la
situation, les opinions tissent les multiples fils de l'humanité.
Très souvent, avant même que ne
soit dit un mot, autour de la table, le respect et le mépris, l'ambition et la
timidité, l'amour et la jalousie ont fait leur œuvre. Comme sous une loupe, la
réalité de la société des hommes se révèle souvent dans les mondanités d'un
repas.
Mais si le repas révèle la
petitesse des hommes, il peut aussi révéler la grandeur du projet de Dieu.
Il ne faut surtout pas oublier que c'est à un repas que, par le Christ
lui-même, nous sommes invités en ce moment. C'est au cours d'un repas qu'il
a donné sens à sa vie et à sa mort et, dans chaque repas eucharistique, il
nous entraîne dans le don qu'il fait de lui-même. Il nous invite à sa table
comme on invite des amis. Il nous invite à partager sa Parole et son Pain.
Divinement, il est lui-même l'hôte et la nourriture. Un repas paradoxal : on
semble manger une bouchée de pain et c'est Dieu qu'on rencontre ! C’est Dieu qui
vient à nous, en nous, comme si Dieu voulait encore "s’humaniser" par
nous !
Certes, chaque dimanche, autour
de la messe paroissiale, on retrouve plus ou moins le jeu des repas humains :
la quête de certaines places, le choix des voisins, l'invitation refusée,
l’étranger remarqué. Certains sont bien présents, mais sans un mot, sans un
regard, sans un sourire pour les autres convives ; celui-ci vient avec son
ambition ; celui-là avec sa timidité…
Eh oui ! c'est bien, en ce sens, un repas comme un autre.
Et pourtant, ce repas, déjà, est
signe du Royaume de Dieu. Non pas repas funèbre, vigile du Golgotha, mais repas
de fête, un repas de noces célébrant, avec le Fils de Dieu fait chair, l'entrée
de l'Homme dans la famille de Dieu. La lettre aux Hébreux (2ème
lecture) nous le disait : “Vous
êtes venus vers Dieu... Vous êtes venus vers Jésus, le Médiateur d'une Alliance
nouvelle”. La médiocrité de nos
comportements ne doit donc pas gâcher la splendeur de l'événement
Tous les hommes sont
attendus ! Ce n'est pas un repas de privilégiés. Tous, malgré leurs
péchés, y ont leur place s'ils ne désespèrent pas de la miséricorde de Dieu.
Tous sont espérés, mais qui ira leur porter l'invitation ? Qui leur dira la route ? Qui les accueil
Tous sont invités à entrer
dans la fête : alors, qui peut oser faire l’orgueilleux dans cette foule
bigarrée ? Qui peut refuser une parole, un sourire, un signe amical au voisin
inconnu ?
Jésus l’a fortement
affirmé : la place d'honneur n'est pas celle de celui qui préside mais
celle du serviteur qui lave les pieds des hôtes. C'est le maître qui sert et le
serviteur qui passe à table. Qui peut se plaindre comme un client mécontent ?
Qui oserait réclamer des honneurs ?
C'est son Esprit que Dieu nous
partage en même temps que le Corps de son Fils. C'est une Jérusalem nouvelle de
Justice et de Paix que Dieu a le projet de bâtir à partir du repas d'amour de
Jésus.
Certes, la messe de chaque
dimanche est encore dans l'histoire et le temps : elle ne rassemble que
quelques croyants encombrés de leurs limites. Mais elle dessine et déjà
esquisse le Banquet Éternel où nul ne restera sur sa faim, où le vin de la Joie
ne sera refusé à quiconque, où toutes les générations de l'histoire portées par
la grâce de Dieu s'arrêteront émerveillées devant le chef d'œuvre qu'elles
ont réalisé : le Corps du Christ ! "Si nous savions ce qu’est la messe !",
disait le Curé d’Ars. Soyons fidèles à l’invitation du Seigneur.
Et, pour terminer, une dernière
réflexion : au cours de ce repas eucharistique,
c’est le Christ qui vient à nous, qui veut prolonger réellement son incarnation.
Il vient bien réellement !
Cela étonne au point que certains
mettent en doute cette présence du Christ. Pourtant, "rien n’est impossible à Dieu" (Lc 1.37), affirmait l’ange Gabriel à la Vierge Marie au moment
de l’annonce de la venue de Dieu en elle. "Y-a-‘t-il
rien de trop merveilleux pour Dieu ?" (Gen. 18.14),
demandaient les visiteurs divins à Sara (la
femme d’Abraham) qui doutait de sa future maternité qu’ils annonçaient.
Dieu continue ses
merveilles :
+ Dieu s’est fait homme, homme
comme nous "excepté le péché",
homme que l’on pouvait voir, toucher, entendre…
+ Arès sa résurrection, il s’est
bien montré moult fois, mais il était moins perceptible à nos facultés
humaines : il était présent subitement, traversant les murs du cénacle où
se trouvaient les apôtres… Et on ne
reconnaissait pas toujours (disciples d’Emmaüs). Bien plus, très nettement, il dira à
Marie-Madeleine : "Ne me touche
pas !", c’est-à-dire : tu n’es plus capable de m’atteindre
désormais comme tu le faisais naguère.
+ Et désormais, il se rend
toujours présent à nous, humblement mais non visiblement, sous les apparences
du pain et du vin. Les explications théologiques (celle
de la "transsubstantiation", par exemple) peuvent aider la
raison à appréhender cette présence du Christ. Mais c’est bien davantage la foi
qui perce ce mystère, car "rien
n’est impossible à Dieu" et "Y-a-‘t-il
rien de trop merveilleux pour Dieu ?"
Et, en attendant le banquet
éternel, si j’ose dire, passons à table ! Et que notre appétit de Dieu soit
grand !
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