25e Dimanche T.O. 19/C
Comme chacun d'entre nous, Jésus "a
eu affaire" avec l'argent !
D'abord, il
en a eu besoin : il a donc accepté d'en recevoir, est-il écrit, d'un groupe
de femmes qui le suivaient partout (Lc 8/3).
Il en a
aussi distribué en aumônes, par la
main de son intendant attitré que semble avoir été Judas (Jn
13/29).
Un jour,
il a même voulu faire un miracle pour payer l'impôt au
fisc impérial (Mt
17/26).
A ses
yeux, semble-t-il, l'argent, en soi, n'était pas le péché. Ni plus, ni moins.
Mais comme
chacun de nous aussi, Jésus a expérimenté le caractère ambigu de l'argent.
Il avait
tout de suite discerné que les deux sous que donnait une pauvre veuve pouvait
valoir infiniment plus que les espèces sonnantes de quelques riches orgueilleux
(Mc
12/43).
Bien plus,
l’annonce du Royaume de Dieu s’était, en quelque sorte, heurté au mur de
l'argent : le mur qui s’était dressé, par exemple, entre lui et le jeune homme
riche, au moment où il l'avait appelé à le suivre sans conditions (Lc
18/23).
Et Jésus
finira lui-même par succomber à cause de l'argent, victime de la cupidité de
l'un de ses propres disciples, de celui-là justement qui avait à gérer l'argent
du petit groupe des disciples, celui qui trahira par cupidité pour trente
deniers (Mt 26/15).
De cette
ambiguïté foncière de l'argent, Jésus a gardé à la fois de bons et de mauvais
souvenirs ; ces souvenirs se reflètent aujourd’hui dans l'évangile.
Il y a
d'abord la parabole de l'intendant.
Cet intendant
est plus avisé que malhonnête, Quoique, bien sûr… ! Dans sa gestion, il
avait surtout fortement exagéré, en vendant les biens de son maître, la
taxe, si je puis dire, qui lui revenait légitimement en tant que
régisseur d’un grand domaine. La réputation de factures surévaluées courait de
village en village. Et le maître du domaine avait été sans doute grandement
agacé de voir son régisseur devenir aussi riche que lui-même. Aussi
s’apprête-t-il à le congédier.
Apprenant
cela, cet intendant réduit spectaculairement sa marge de bénéfices
légitimes (il était plus voleur que malhonnête) afin de mieux assurer son avenir. Il s’assure, en quelque
sorte, les bonnes grâces de certains débiteurs, pour le moment de sa disgrâce.
Il est beaucoup plus habile, finalement, que foncièrement malhonnête.
Voilà pourquoi
Jésus loue cet intendant peu délicat certes, pour engager ses disciples à être aussi
rapides et intelligents en vue d’acquérir un autre trésor, celui du Royaume
de Dieu : “Faites-vous des amis avec
le malhonnête argent afin qu'au jour où il viendra à manquer, ceux-ci vous
reçoivent dans les tentes éternelles”.
Et Jésus
semble insister : la situation est urgente, ne restez pas assis entre deux
chaises, et dépêchez-vous de prendre les moyens pour entrer dans le Royaume de
Dieu qui est là, imminent. Soyez aussi malins et rapides que ce monsieur
-simple régisseur, sommes toutes -, dont on a tant parlé !
Et Jésus
continue par une phrase un peu pessimiste : “Les
fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière”.
Et
puisqu'il s'agit d'argent, c'est le moment de s'apercevoir qu'on n'entre pas
encombré dans le Royaume de Dieu : il faut faire le pas et partager
généreusement. C'est la vraie manière de gérer l'argent et d'être digne de
confiance pour Dieu.
Oui,
finalement, aux yeux de Jésus, il n'y a qu'une seule façon de "sauver"
l'argent : c'est de le partager. Jésus n'est dur que pour ceux qui se
font les serviteurs et les esclaves de l'argent, ceux qui l'amoncellent pour
eux seuls. Il en a tant de fois fait l'expérience : l'argent peut facilement
devenir un mur entre Dieu et les hommes. Or, “nul serviteur ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l'un et aimera
l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir
Dieu et l'argent”. Tôt ou tard, un choix s'impose, pour que l'argent puisse
fructifier en vue de Dieu et en vie éternelle : “Vendez vos biens, dit Jésus en un autre endroit, et donnez-les en aumônes. Faites-vous des
bourses qui ne s'usent pas, un trésor qui ne vous fera pas défaut dans les cieux,
où ni voleur n'approche, ni mite ne détruit”. Et Jésus ajoute : “Car, où est
votre trésor, là aussi sera votre cœur” (Mt
6/19-21).
Cette
dernière précision citée par St Matthieu lève l'embarrassante ambiguïté qui
s'attache à l'argent. Dans ce domaine, tout est finalement affaire de cœur : “Où est ton trésor, là aussi sera ton cœur”.
C'est comme si, par le biais de l'argent, de cet argent dont chacun de nous
dispose, Jésus nous interrogeait : “Mais où donc est ton vrai trésor ? Où donc
est ton cœur ? Qu'as-tu choisi en vérité ? Et si tu penses m'avoir choisi, moi,
jusqu'où va ton choix ?”.
Rien
d'étonnant alors si Jésus fait du renoncement à ce que l'on possède la
condition pour être vraiment son disciple. Tôt ou tard, Jésus nous demande ce
partage, celui de nos biens matériels ou spirituels, sous une forme ou une
autre. Tôt ou tard, mais uniquement par amour pour lui, pour Dieu ! Parce
que, en dehors de lui, nous n'aurons plus d'autre trésor.
En
rassemblant ici des paroles que Jésus a sans doute prononcées en des occasions
diverses, Luc les faufile subtilement sur les thèmes de l'argent, de la
confiance, du partage, du service exclusif d'un maître. D'où l'impression que
le régisseur est prsenté tantôt comme un modèle, tantôt comme un malhonnête
gredin. C’est que Luc veut illustrer une seule idée : pour suivre Jésus, il
faut être libre par rapport à l'argent, savoir le partager ou du moins le
faire fructifier en faveur des frères d’un même Père, celui des cieux, afin de
n'avoir pour maître que Dieu seul.
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