dimanche 18 mars 2018

Désirer... pour voir !


 5e Dimanche de Carême 18/B

Quelques Grecs, sympathisants à l'égard de la religion juive, étaient montés à Jérusalem pour participer au pèlerinage pascal.
Ils demandent à "voir Jésus".  
C'était la démarche des Mages : "Nous voudrions voir le Messie" (Cf. Mth 2).  Ce sera celle de Zachée qui monte sur un arbre pour mieux "voir Jésus qui allait passer" (Cf Lc 19).
Et celui qui a vu - "ce que nous avons vu, ce que nous avons contemplé du Verbe de vie…", dira St Jean (I Jn 1.1-4) - invite toujours son frère à venir voir : "Viens et vois" (Jn 1.46), dira Philippe à Nathanaël auquel Jésus fera cette promesse : "Tu verras des choses bien plus grandes encore" (Jn 1.50).
           
"Voir", "Voir Jésus" !
Pour St Jean, ce n'est pas simplement "regarder" une personne.
C'est, pour lui, une perception plus profonde : parvenir, sous les apparences changeantes de l'existence, à une communion profonde avec Dieu, qui, un jour, sera parfaite : "Ce que nous serons n'a pas encore été manifesté, dira-t-il : nous serons semblables à Dieu puisque nous le verrons tel qu'il est" (I Jn 3.2).
           
Mais comment verrons-nous ?
Ecoutez St Paul : "Aujourd'hui, nous voyons comme dans un miroir… Mais alors, je connaîtrai comme je suis connu" (I Co. 13.12).
Quand on sait comment Dieu nous connait, au dedans, à l'intérieur de notre être - parce qu'il est le Créateur - ...,
quand on sait que Lui seul voit au plus profond de nous, beaucoup mieux que nous - car Lui seul sait ce qu'il y a dans le cœur de l'homme - (Cf. Prov 19.21 - Lc 16.15)..., a
lors nous imaginons ce que St Paul veut dire : Je connaîtrai Dieu "au dedans même" de Dieu, comme lui-même me connaît au plus profond de moi-même.

Je verrai Dieu comme il se voit !
Dieu se voit éternellement en son Fils. Et déjà, il nous donne le pouvoir de le recevoir en nous-mêmes : "Ce n'est plus moi qui vis, disait l'Apôtre, c'est le Christ qui vit en moi" (Gal 2.20).
Le Père engendre son Fils éternellement. Et ce "Fils nous a été donné" ! (Cf. Is 9.6 ; Lc 2.11).
Ainsi, nous participons, déjà et un jour parfaitement, à la génération du Fils de Dieu en nous-mêmes. "Je veux, dira Jésus, qu'ils soient avec moi, pour qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée, parce tu m'as aimé avant la création du monde" (Jn 17.24).
 Dès notre baptême, Dieu brille déjà dans nos cœurs de la gloire qui est sur la face de son Fils… !

Aussi, dès que l'on entrevoit cette lumière divine, on comprend ce cri de Ste Thérèse d'Avila : "Je veux voir Dieu".
On comprend cet envie du paradis que St Augustin voulait communiquer : "Nous verrons un spectacle, frères, que l'œil n'a pas vu, que l'oreille n'a pas entendu, qui n'est pas monté au cœur de l'homme… , un spectacle qui surpasse tout ce qu'il a de beau sur la terre."
           
Et tous les Saints exulteront à cette phrase de St Jean : "Le voyant, nous lui serons semblables" ! -
"Nous le reconnaîtrons, méditera St Jean de la Croix, et en le reconnaissant, nous connaîtrons en même temps ce qu'il a fait de nous. Nous saurons que nous sommes en Dieu :
Allons nous voir en votre beauté, Seigneur.
Efforçons-nous de nous voir en vous, en votre beauté.
Cela aura parfaitement lieu quand vous m'aurez transformé en votre beauté.
Alors, je vous verrai vous-même en votre beauté; et vous me verrez en votre beauté. La mienne sera la vôtre; et la  vôtre sera la mienne.
En elle, je serai vous ; et en elle, vous serez moi, parce que votre beauté même sera mienne.
Telle est l'adoption des enfants de Dieu qui diront ce que le Fils lui-même déclare à son Père : « Père, tout ce qui est à moi est à toi, et tout ce qui est à toi est à moi »".
           
Pour le moment, nous ne pouvons voir : que toute notre fonction soit donc de désirer ! La vie entière du véritable chrétien est un saint désir : le désir de voir Dieu.
Ce que nous désirons, nous ne le voyons pas encore parfaitement. Mais le désir nous rend capables, lorsque viendra la vision, d'être comblés. Dieu, en différent le moment de la vision, tend le désir ; et, par le désir, étire l'âme, et, en étirant le désir, agrandit sa capacité.
Voyez St Paul : oubliant le chemin parcouru, dira-t-il, il va droit de l'avant, tendu de tout son être ; et il court vers le but en vue du prix de la vocation céleste (Cf Phil 3.13). C'est qu'il se sent encore trop petit pour contenir ce que l'œil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, ce qui n'est pas monté au cœur de l'homme !
           
Voilà notre vie : nous exercer par le désir. Et le désir nous exerce dans la mesure où nous élaguons nos désirs en y retranchant notre amour propre, notre amour de nous-mêmes.
 Nous devons être remplis de Dieu ; alors, il nous faut nous vider de tout ce qui n'est pas Dieu !
           
"S'aimer soi-même, c'est se perdre", nous dit Jésus aujourd'hui, "se détacher de soi-même en ce monde, c'est se garder pour la vie éternelle".  Se détacher de soi-même, c'est se sacrifier pour Dieu et pour ses frères.
C'est suivre l'exemple du Christ. Aussi, aux Grecs qui désirent le voir, Jésus répond : "Elle est venue l'heure où le Fils de l'homme doit être glorifié". Jésus signifie qu'il entre dans sa Passion, dans cette "heure qui fait voir" : On ne saurait véritablement "voir Jésus" qu'à la lumière de cette heure !
           
Tout chrétien est appelé à vivre l'heure de Jésus. Nous le ferons plus intensément et avec amour, dans les jours qui vont venir : le chrétien ne saurait se dispenser de faire mourir en lui ce qui s'oppose à la vraie vie. Son baptême l'engage dans un mystère de mort. "Nous sommes ensevelis avec le Christ", nous dit St Paul (Col 2.12).
Le disciple n'est pas au-dessus de son Maître. Il est voué à une mort physique, mais surtout à une certaine mort spirituelle qui se nomme le renoncement à soi-même en vue d'un don de nous-mêmes à Dieu et à nos frères : "Si le grain tombé en terre meurt, il donne beaucoup de fruits !" (Jn 12.24).

C'est ainsi que nous tendrons nous aussi vers la glorification : "l'heure est venue pour le Fils de l'Homme d'être glorifié".
C'est dans cette mesure qu'au jour de Pâques, nous serons unis au Christ, il vivra en nous ; nous lui serons semblables, et alors - nous en avons la certitude -, un jour, nous le verrons tel qu'il est, toute notre vie, vécue dans le Christ, ayant exprimé ce cri de St Thérèse : "je veux voir Dieu".

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