Toussaint
2017 Ils se sont tant aimés !
“Mon
père, je lui parle... ! Est-ce ridicule ?”. Et cette
question d'une épouse qui vient de perdre son mari s’achève parfois dans un
sanglot étouffé ! Ils se sont tant aimés !
On ne peut se faire à cette idée :
être séparé à jamais !
Quand l’esprit, buriné par les
épreuves des années, ne sait plus à quel saint... se vouer, si je puis dire
aujourd'hui, il se surprend à parler à tel ou tel défunt, un père, une mère
décédés depuis longtemps ! Comme si le seul recours à nos chagrins de grands
enfants prolongés se trouvait dans la tendresse que nous avons pu connaître
ici-bas. Tendresse qui apparaît alors comme un avant-goût de paradis.
Du sentiment, tout cela, dira le
raisonneur apparemment insensible ! Et alors ? Pourquoi en avoir honte ?
Car la Toussaint, c'est tellement humain. La Toussaint, c'est
peut-être d'abord ce besoin de toucher du doigt que l'amour ne meurt pas,
ne peut pas mourir.
Combien de gens, ne partageant pas la
foi chrétienne, ont cette conviction profondément ancrée en eux-mêmes : “Il n’est pas possible que ce qui a été le
plus extraordinaire dans la vie – aimer - puisse se terminer en poussière”. Oui, pressentiment irrépressible : “Nous nous retrouverons tous un jour !”.
Demeure cependant une sourde
angoisse que St Augustin, si délicat et compatissant tout à la fois, a bien
exprimée : “Tant qu'ils n'ont pas
trouvé en Dieu le repos, nos cœurs demeurent dans l'inquiétude”. Aussi
l'Eglise, dans sa sollicitude, veut nous rassurer en instituant cette fête de
la Toussaint qui est tellement humaine parce que tellement chrétienne aussi.
Car cette fête se fonde sur la
foi en la Résurrection qui nous ouvre les portes de la Vie... de la Vie en
plénitude. Vie éternelle qui n'est pas à concevoir sur un mode individuel - on
l’imagine trop souvent ainsi -, où chacun serait dans son coin de
bonheur ! - Oh !
Non ! La Toussaint nous propose
déjà une communion les uns avec les autres, communion qui sera tellement
forte puisqu’elle ne pourra subsister au ciel que dans la Communion que
s’échangent les trois Personnes divines, Père, Fils, Esprit-Saint, Communion si
intense qu'ils ne sont qu’un seul et unique Dieu ! Les neuf béatitudes que
proclame l’Evangile d'aujourd'hui récapitulent finalement l'unique “Béatitude”
céleste : le bonheur d’une union avec Dieu qui entraînera une parfaite
communion les uns avec les autres !
Ce n'est pas évident d'espérer ce
ravissement... Soyons honnêtes : si Dieu est théoriquement premier pour un
chrétien, il n’est pas toujours premier dans le concret de sa vie. Nous savons
plus ou moins communiquer avec Dieu ; mais nous n’en sommes pas encore à
une parfaite union, communion avec lui. Nous y aspirons à cette union avec
Dieu ; car cette union avec Dieu engendrera une totale communion les uns
avec les autres, ce que l’on appelle déjà “communion des saints”.
A notre époque, on parle beaucoup de
communication - Il faut communiquer… et encore communiquer !
Bien sûr ! Mais parfois, on
oublie que communiquer n'est pas un but, en soi. La communication doit
tendre vers la communion par nos actions, nos pensées, nos prières. Sinon
elle est inutile !
Tel est le sens chrétien de la
Toussaint qui nous permet de communiquer pour mieux affirmer, dans la joie, que
la communion est possible et qu’elle sera parfaite au jour éternel ! Nous
proclamons, nous chantons, nous nous communiquons, nous nous félicitons - verbe qui
signifie “être heureux” -, de pouvoir célébrer - je dirais - “nos
premiers communiants” du ciel, tous ceux, célèbres ou non, qui nous précèdent
dans cette “communion des saints”. Par cette fête, nous pouvons communiquer
avec eux, nous pouvons les prier, afin de creuser en nous le désir de Dieu,
pour mieux évangéliser notre imagination en recherche de cette jubilation
d'être “avec Dieu pour toujours”,
disait St Paul, au cœur de cette “Communion des saints”.
Peut resurgir alors la question de
cette épouse légitimement meurtrie par la mort de son mari : Quelle trace
d'amour retrouverons-nous de ce que nous avons communiqué ici-bas, semé sur
terre? Que restera-t-il de nos affections, de nos amours… humaines ?
Rappelez-vous le piège que l’on tend
à Jésus au sujet de cette femme qui avait eu sept maris. “De qui, lui demande-t-on,
sera-t-elle l'épouse?”. Jésus, comme toujours, élève le débat. La solution
n'est pas humaine, mais divine. “Dans le
Royaume des Cieux, il n'y a ni époux, ni épouse. Vous serez comme des Anges”.
Que veut dire Jésus, souvent quelque peu provocateur ?
Jésus veut éclairer le mode de
relation que nous aurons dans le Royaume de Dieu. Certes, nous nous
retrouverons parfaitement, oui, mais transfigurés. Comme Jésus lui-même lors de
sa résurrection ! Nous nous reconnaîtrons, nous serons bien les mêmes et,
en même temps, tout autres. Comme des anges.
L'ancien monde aura disparu, dit St
Jean. C’est-à-dire : ici-bas nos rapports avec autrui passent inévitablement
par la médiation de nos corps souvent fatigués, de nos intelligences souvent
embuées, de nos sensibilités parfois exacerbées ; là-haut, toutes nos
limites éclateront.
Jamais notre prochain ne sera aussi
proche,
car notre vie ne sera plus embrumée par ce qui la rend souvent opaque. Cette
“communion des saints” sera le lieu par excellence de la transparence. “Comme pour les anges !”.
Et Jésus de nous rassurer par
ailleurs : “Il y a plusieurs demeures
dans la maison du Père” ! N'est-ce pas nous faire comprendre que
chacun, chacune seront reconnus dans leur originalité, leur différence, leur
personnalité unique, irréductible aux autres ?
Peut-être allez-vous rétorquer :
qu'en savez-vous, vous qui semblez vous présenter en spécialiste des choses
jamais vues ? Comment parler de ce que personne n'a pu constater ? C’est vrai.
Mais Jésus, lui, sait de
quoi il parle. Et ses paroles sont
des indices qui ne trompent pas. Outre ses paroles sur le mariage, il y a cette
phrase lapidaire et lumineuse : “Il n'y a rien de secret qui, un jour, ne
doive être dévoilé”. Autrement dit, chacun sera vu comme Dieu le voit de
toute éternité ; et il sera vu dans sa sainte originalité voulue par Dieu
Créateur ! En pleine lumière ! C’est l’un des grands leitmotivs de toute la
Bible : “Serais-je donc déjà vue par
celui qui me voit sans cesse ?”, demandait déjà Agar, la servante
d’Abraham.
Et St Jean de la croix de répondre
pour nous :
“Cela
aura lieu... en la communion des
diversités d'un chacun -
“Cela
aura lieu quand vous m’aurez transformé, Seigneur, en votre beauté ;
Alors,
je me verrai en vous en votre beauté.
En
votre beauté, je serrai vous.
En
votre beauté, vous serez moi,
parce que votre beauté même sera
mienne”.
En célébrant la Toussaint, l'Eglise
nous appelle à l’union avec Dieu.
Alors, elle peut chanter son
Cantique des cantiques : “L'Amour est
plus fort que la mort.”.
Et elle envoie au monde entier son
faire-part des noces éternelles dans la “communion des saints”.
Nous y sommes tous invités !
TOUS !
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