mardi 31 octobre 2017

Ils se sont tant aimés !

Toussaint 2017                        Ils se sont tant aimés !

“Mon père, je lui parle... ! Est-ce ridicule ?”. Et cette question d'une épouse qui vient de perdre son mari s’achève parfois dans un sanglot étouffé ! Ils se sont tant aimés !
On ne peut se faire à cette idée : être séparé à jamais !
Quand l’esprit, buriné par les épreuves des années, ne sait plus à quel saint... se vouer, si je puis dire aujourd'hui, il se surprend à parler à tel ou tel défunt, un père, une mère décédés depuis longtemps ! Comme si le seul recours à nos chagrins de grands enfants prolongés se trouvait dans la tendresse que nous avons pu connaître ici-bas. Tendresse qui apparaît alors comme un avant-goût de paradis.
Du sentiment, tout cela, dira le raisonneur apparemment insensible ! Et alors ? Pourquoi en avoir honte ?

Car la Toussaint, c'est tellement humain. La Toussaint, c'est peut-être d'abord ce besoin de toucher du doigt que l'amour ne meurt pas, ne peut pas mourir.
Combien de gens, ne partageant pas la foi chrétienne, ont cette conviction profondément ancrée en eux-mêmes : “Il n’est pas possible que ce qui a été le plus extraordinaire dans la vie – aimer - puisse se terminer en poussière”.   Oui, pressentiment irrépressible : “Nous nous retrouverons tous un jour !”.

Demeure cependant une sourde angoisse que St Augustin, si délicat et compatissant tout à la fois, a bien exprimée : “Tant qu'ils n'ont pas trouvé en Dieu le repos, nos cœurs demeurent dans l'inquiétude”. Aussi l'Eglise, dans sa sollicitude, veut nous rassurer en instituant cette fête de la Toussaint qui est tellement humaine parce que tellement chrétienne aussi.

Car cette fête se fonde sur la foi en la Résurrection qui nous ouvre les portes de la Vie... de la Vie en plénitude. Vie éternelle qui n'est pas à concevoir sur un mode individuel - on l’imagine trop souvent ainsi -, où chacun serait dans son coin de bonheur !   -  Oh ! Non !  La Toussaint nous propose déjà une communion les uns avec les autres, communion qui sera tellement forte puisqu’elle ne pourra subsister au ciel que dans la Communion que s’échangent les trois Personnes divines, Père, Fils, Esprit-Saint, Communion si intense qu'ils ne sont qu’un seul et unique Dieu ! Les neuf béatitudes que proclame l’Evangile d'aujourd'hui récapitulent finalement l'unique “Béatitude” céleste : le bonheur d’une union avec Dieu qui entraînera une parfaite communion les uns avec les autres !

Ce n'est pas évident d'espérer ce ravissement... Soyons honnêtes : si Dieu est théoriquement premier pour un chrétien, il n’est pas toujours premier dans le concret de sa vie. Nous savons plus ou moins communiquer avec Dieu ; mais nous n’en sommes pas encore à une parfaite union, communion avec lui. Nous y aspirons à cette union avec Dieu ; car cette union avec Dieu engendrera une totale communion les uns avec les autres, ce que l’on appelle déjà “communion des saints”.

A notre époque, on parle beaucoup de communication - Il faut communiquer… et encore communiquer ! 
Bien sûr ! Mais parfois, on oublie que communiquer n'est pas un but, en soi. La communication doit tendre vers la communion par nos actions, nos pensées, nos prières. Sinon elle est inutile !

Tel est le sens chrétien de la Toussaint qui nous permet de communiquer pour mieux affirmer, dans la joie, que la communion est possible et qu’elle sera parfaite au jour éternel ! Nous proclamons, nous chantons, nous nous communiquons, nous nous félicitons - verbe qui signifie “être heureux” -, de pouvoir célébrer - je dirais - “nos premiers communiants” du ciel, tous ceux, célèbres ou non, qui nous précèdent dans cette “communion des saints”. Par cette fête, nous pouvons communiquer avec eux, nous pouvons les prier, afin de creuser en nous le désir de Dieu, pour mieux évangéliser notre imagination en recherche de cette jubilation d'être “avec Dieu pour toujours”, disait St Paul, au cœur de cette “Communion des saints”.

Peut resurgir alors la question de cette épouse légitimement meurtrie par la mort de son mari : Quelle trace d'amour retrouverons-nous de ce que nous avons communiqué ici-bas, semé sur terre? Que restera-t-il de nos affections, de nos amours… humaines ?
Rappelez-vous le piège que l’on tend à Jésus au sujet de cette femme qui avait eu sept maris. “De qui, lui demande-t-on, sera-t-elle l'épouse?”. Jésus, comme toujours, élève le débat. La solution n'est pas humaine, mais divine. “Dans le Royaume des Cieux, il n'y a ni époux, ni épouse. Vous serez comme des Anges”. Que veut dire Jésus, souvent quelque peu provocateur ?

Jésus veut éclairer le mode de relation que nous aurons dans le Royaume de Dieu. Certes, nous nous retrouverons parfaitement, oui, mais transfigurés. Comme Jésus lui-même lors de sa résurrection ! Nous nous reconnaîtrons, nous serons bien les mêmes et, en même temps, tout autres. Comme des anges.

L'ancien monde aura disparu, dit St Jean. C’est-à-dire : ici-bas nos rapports avec autrui passent inévitablement par la médiation de nos corps souvent fatigués, de nos intelligences souvent embuées, de nos sensibilités parfois exacerbées ; là-haut, toutes nos limites éclateront.
Jamais notre prochain ne sera aussi proche, car notre vie ne sera plus embrumée par ce qui la rend souvent opaque. Cette “communion des saints” sera le lieu par excellence de la transparence. “Comme pour les anges !”.
Et Jésus de nous rassurer par ailleurs : “Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père” ! N'est-ce pas nous faire comprendre que chacun, chacune seront reconnus dans leur originalité, leur différence, leur personnalité unique, irréductible aux autres ?

Peut-être allez-vous rétorquer : qu'en savez-vous, vous qui semblez vous présenter en spécialiste des choses jamais vues ? Comment parler de ce que personne n'a pu constater ? C’est vrai.
Mais Jésus, lui, sait de quoi  il parle. Et ses paroles sont des indices qui ne trompent pas. Outre ses paroles sur le mariage, il y a cette phrase lapidaire et lumineuse : “Il n'y a rien de secret qui, un jour, ne doive être dévoilé”. Autrement dit, chacun sera vu comme Dieu le voit de toute éternité ; et il sera vu dans sa sainte originalité voulue par Dieu Créateur ! En pleine lumière ! C’est l’un des grands leitmotivs de toute la Bible : “Serais-je donc déjà vue par celui qui me voit sans cesse ?”, demandait déjà Agar, la servante d’Abraham.

Et St Jean de la croix de répondre pour nous :
“Cela aura lieu... en la communion des diversités d'un chacun -
“Cela aura lieu quand vous m’aurez transformé, Seigneur, en votre beauté ;
Alors, je me verrai en vous en votre beauté.
En votre beauté, je serrai vous.
En votre beauté, vous serez moi,
            parce que votre beauté même sera mienne”.

En célébrant la Toussaint, l'Eglise nous appelle à l’union avec Dieu.
Alors, elle peut chanter son Cantique des cantiques : “L'Amour est plus fort que la mort.”.
Et elle envoie au monde entier son faire-part des noces éternelles dans la “communion des saints”.

Nous y sommes tous invités ! TOUS !

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