12ème
Dimanche du T.O. 17/A
“Par un
seul, Adam, le péché est entré dans le monde”
Paroles
difficiles à comprendre ! Mais une difficulté cache souvent une
grande vérité. "Cette parole est
dure à entendre", disait-on du discours de Jésus après la multiplication
des pains (Jn
6.60).
Ainsi, c’est en ce texte difficile
de St Paul que, depuis St Augustin, l’Eglise a vu le fondement de la doctrine
du péché originel : “En Adam,
tous ont péché” (v/12). Comme il
est difficile d’admettre quand même que Dieu condamne tous les hommes par “la faute d’un seul” (v/15) ! De
plus, c’est trop facile de se servir de ce “péché
d’un seul” pour expliquer la présence du mal et de la souffrance.
Alors nous contestons ! Soit ! Mais
alors, ne contestons pas en conservant le même critère de lecture qui a poussé
certains à une difficile interprétation du péché originel.
Et ce mauvais critère de lecture,
c’est d’appréhender la vérité divine d’un point de vue purement historique,
en plaçant notre regard à partir du passé vers le présent, à partir du premier
homme, Adam, vers le Christ, comme si le péché d’Adam était la donnée
principale, immédiate, absolue. - Et bien non ! C’est Dieu qui est toujours
premier, c’est le Christ qui est toujours premier. Et c’est à partir
de lui qu’il faut tout voir, tout penser, tout comprendre ! Ne faisons
jamais ce que j’appelle facilement “une inversion sacrilège” pleine de
suffisance humaine : mettre l’homme avant Dieu ; expliquer le mystère de
Dieu à partir de l’homme ; considérer la grâce à partir du péché ! quelle
abomination ! Non ! C’est Dieu qui est premier.
Et, à y regarder de près, ce
difficile texte de St Paul exige ce total renversement de perspective : il ne
faut pas considérer ce que la Bible dit de l’homme et de la femme comme un
point de départ pour approfondir notre foi ; il faut le recevoir comme le point
d’arrivée d’une réflexion dont la donnée première, essentielle, absolue est le
salut de Dieu en Jésus, mort et ressuscité.
En somme, notre intelligence de la
foi ne doit pas aller d’Adam pécheur vers le Christ Sauveur, mais, à
l’inverse, du Christ, “Seigneur des
morts et des vivants” (Rm
14.9),
vers Adam sauvé ; il faut, comme le fait l’Apocalypse, partir du “monde nouveau” éclos à Pâques vers le “monde ancien” qui s’est alors effondré.
Une bonne compréhension du texte de
St Paul impose ce retournement du regard ; et ce retournement, s’il n’explique
pas tout, dissout les difficultés qui nous rebutent.
On pourrait prendre cette
comparaison : Tous savent que, la nuit, personne ne peut voir les objets qui
l’entourent ; on peut même dire, paradoxalement, que, sans le moindre filet de
lumière, la nuit elle-même ne peut être vue : elle devient le vide du
néant !
Et bien, sans la lumière du
Christ, le péché lui-même n’est pas révélé.
Le Christ est notre Lumière, la “Lumière
du monde” jusqu’à l’intime de nos cœurs. Quand nous nous tournons
vers lui, lui “qui a été injustement
transpercé” comme le dit St Jean à la suite du prophète Zacharie (Jn 19/37 ; Za 12.10), nous
découvrons peu à peu, en même temps, et la gravité du péché et le pardon de
notre Seigneur qui va “au-delà et plus
qu’au-delà” (Eph
3/20)
de toute faute, de tout mal.
Plus nous accueillons la lumière du
Christ Sauveur, plus nous découvrons le mystère du mal, du péché… qui ne
peut être bien appréhendé que dans la lumière de la grâce… Et plus nous
apercevons soudainement le poids du péché, plus nous accueillons le poids de la
miséricorde du Christ toujours plus important, si grand que soit le
péché… ! Voilà ce que veut dire St Paul. Et l’hymne pascal le chante avec
provocation : “Heureuse faute qui nous valut un tel Rédempteur !”.
Ce témoignage de St Paul est
peut-être difficile mais important. Comprenons du moins que la Pâques du
Christ est toujours première et qu’il est impossible de voir ou de décrire
le mécanisme du péché hors de cette lumière qui jaillit de la croix.
Sachons reconnaître avec grande
humilité nos propres difficultés à penser selon le mouvement de la Révélation
divine. Sachons reconnaître nos résistances à quitter tout savoir dominateur du
temps pour nous mettre à l’école du Fils de Dieu, antérieur à tous les temps, à
l’école du Christ donné, offert "à l'accomplissement
du temps" comme le dit encore St Paul (Gal 4.4 ; Eph. 1.10). Alors,
plus le temps passe, plus l’Esprit vient à notre secours pour nous enseigner et
l’harmonie des œuvres de Dieu et la pédagogie miséricordieuse de notre Père des
cieux à l’égard de ses enfants pécheurs et atteints par le mal !
Et c’est dans cette harmonie
lumineuse que nous pouvons entendre, au milieu du mal qui parfois nous accable,
à l’approche de ce mal par excellence qu’est la mort, entendre la parole
du Seigneur, dans l’évangile : “N’ayez
pas peur !”. J’ai vaincu le mal, j'ai vaincu le péché et la mort elle-même
!
Que de fois Jésus a dit : “N’ayez pas peur !” Pourquoi pareille
insistance ? Serait-ce que la peur ronge
sans cesse nos cœurs ? C’est vrai, nous avons peur ! Et nous vivons dans une
société qui a peur. Qui n’est pas inquiet pour ses enfants, pour ceux qu’il
aime et pour lui-même ?
Mais pour les chrétiens, par-delà la
peur, il y a la foi en l’amour de Dieu dont rien ne peut nous séparer, il
y a le Christ qui, en éclairant le mal, le péché, l’a vaincu avec sa mort.
Au cœur même de toute crainte, le
chrétien reçoit du Christ le courage le plus pauvre et le plus inébranlable :
il sait qu’à donner chaque jour sa vie, à l’abandonner même, il se jette en Jésus
Sauveur.
Un pasteur allemand (Bonhoeffer) qui
résistât au nazisme et qui fut exécuté écrivait de sa prison que la vie du
chrétien doit être une “polyphonie” : nous souffrons avec ceux qui souffrent,
nous sommes joyeux avec ceux qui sont joyeux, nous avons peur avec ceux qui ont
peur.
Mais en même temps une force plus
forte que notre fragilité assure et précède nos pas, comme un petit sentier de
crête posé à même le roc. En cette saison incertaine de nos sociétés, nous ne
serons chrétiens, à la suite de Jésus Sauveur, que si nous avançons
courageusement, les uns avec les autres, passionnés de ce chemin de crête
pascale, ouvert par celui qui illumine nos ténèbres de péchés.
Et pour terminer, je dirais : J’aime
bien l’humour de Jésus : à l’heure où la mort se fait menaçante pour lui et ses
compagnons, il regarde les moineaux… A l’homme et au chrétien d’aujourd’hui,
Jésus continue de montrer les moineaux…
L’Evangile, plein de compassion,
adresse l’homme peureux aux lys des champs et aux moineaux du ciel. Près de ces
maîtres peu coûteux qu’on ne paie ni en argent ni en humiliations, nulle
méprise n’est possible… : “Le don
gratuit de Dieu et la faute n’ont pas la même mesure”. Si la lumière
révèle les ténèbres, nous affirmons alors que la lumière brillera pour toujours,
brillera jusqu'en l’éternité…
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