2ème
Dimanche de Pâques 17 / A
Combien de fois
ai-je entendu cette confidence : “Oh ! Vous savez ! Je me dis
chrétien ; mais, finalement, je suis comme Thomas ; je ne crois
guère à la résurrection du Christ…, et peut-être à Dieu lui-même. J’ai
beaucoup souffert dans ma vie, je souffre encore. Et je doute qu’un Dieu bon
soit au milieu de nous. Tout ce qu’on dit dans la Bible, sur Dieu, sur le
Christ, c’est peut-être une invention des hommes pour consoler les hommes”.
Ces réflexions sont
toujours d’un poids énorme d’autant qu’elles sont exprimées, la plupart du
temps, non par provocation mais dans un murmure souffrant, comme on avoue un
péché, comme si le doute était indigne du nom de chrétien.
Et l’on a beau se
répéter cette phrase du Cardinal Newman : “Mille questions ne font pas obligatoirement un doute”, on palpe
alors douloureusement l’obscurité qui règne dans les cœurs ; et on
constate que cette obscurité fut de tous les temps : depuis Moïse
jusqu’à Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus, quelques jours avant sa mort !
Alors que dire
sinon que l’évangile d’aujourd’hui a au moins l’avantage de réhabiliter le
questionnement, voire le doute comme un itinéraire normal du croyant. Et le nom
de l’apôtre Thomas est assimilé à cette incertitude intérieure si bien qu’on
l’appelle facilement : “le Sceptique” !
J’aurais pourtant
tendance à l’appeler “le Croyant”, tant il est vrai que la foi d’un homme,
d’une femme n’est jamais aussi solide que lorsqu’elle dépasse l’hésitation, le
questionnement, voire le doute. Une foi sans question, tâtonnement,
interrogation risque de sombrer dans ce qu’on appelle le “fidéisme” : “Je
n’y comprends rien, mais je crois quand même !”.
Peut-être au fond,
que la Bible, avec les affrontements qu'elle raconte tout au long des siècles,
les doutes ressentis et même les fautes commises, n'est qu'une grande "pédagogie
divine (l'"économie
divine", disent les Orientaux) qui nous fait monter, je dirais, d'échec
en échec, de question en question, pour, progressivement, mieux "voir Celui qui nous voit sans cesse".
La fulgurance soudaine de la Lumière divine nous aveuglerait. Alors, Dieu, nous
prépare peu à peu, à travers nos obscurités elles-mêmes, à le rencontrer tel
qu'il est !
Alors, aujourd’hui
tout spécialement, prions St Thomas. Car lui, il a franchement
douté ; et il a même exprimé son doute, publiquement. Et ce peut être une
grande leçon pour nous ! Sachons le regarder : on lui ressemble
tellement !
Il n’est pas
seulement triste ce jour-là ; il est révolté. Il a cru que cet
homme, Jésus, était le sauveur attendu, le Messie comme on disait. Il y avait
une telle force dans ses paroles, dans ses attitudes !
Quand il
disait : “Lève-toi et marche !”
… “Va et ne pèche plus !” … “Ne jugez pas !”, on se sentait devenir
plus vivant tout d’un coup ! Mais tout cela est terminé. Il est mort.
Pire, on l’a tué ! Pire encore, Dieu ne l’a pas épargné !
Et à lz mort, il n’y a vraiment pas de remède ! La mort ! C’est elle qui a
gagné ! Où était Dieu à ce moment-là ? Pourquoi n’a-t-il pas
épargné Jésus ?
Qui ne comprendrait
pas ces hésitations de Thomas ? Car ce sont bien parfois les nôtres,
n’est-ce pas ? Pour ne pas avoir de questions ou même des doutes, il
faudrait être comme Marie, l’Immaculée… ou alors fermer les yeux sur ce qui
nous entoure.
Car lorsque je les
ouvre, qu’est-ce que je vois ? Tant de faits, petits ou grands, douloureux
ou tragiques, des faits absolument déconcertants et qui semblent nous souffler
à l’oreille : “Mais non ! Vois ! Jésus n’est pas vivant. Tout
cela n'est que faribole.
Devant l’enfant
leucémique, par exemple, qui ne pose ces questions ? Semblables à celles
de Thomas : “Où était Dieu à ce moment-là ?”.
Et devant un
tremblement de terre aveugle… ?
Et devant
l’escalade de la violence… ? Et que sais-je encore ?
Bien sûr, on peut
regarder la beauté du monde, un matin ensoleillé de printemps… Mais quand on
s’interroge non pas sur la beauté du monde, mais sur sa cruauté, non pas sur le
sens, mais sur le non-sens, non pas sur la grandeur de l’homme, mais sur sa
misère, on peut se poser des questions, on peut se demander s’il est possible
de croire !
Quand la mort et
les souffrances sèment leurs ravages… dans le silence apparent de Dieu : A
qui, A quoi se raccrocher ?
Ce que j'ose
répondre est mystérieux. Mais c'est l'essentiel de la foi des chrétiens. A qui
se raccrocher ?
A qui ? A Dieu
qui a ressuscité Jésus.
Oui, si nous
doutons pour les mêmes raisons que Thomas, nous sommes appelés, comme lui, à
croire au-delà de nos doutes... Ce n'est pas le doute OU la foi, mais le doute ET
la foi.
La Foi !. L'apôtre
Thomas a cru... Pourquoi ? Parce qu'il a mis ses mains dans les plaies de
Jésus, et il s'est prosterné en disant : “Mon
Seigneur et mon Dieu !”.
Il y a dans ce
geste de Thomas quelque chose d'une portée symbolique inouïe qui nous aide à
comprendre que l'on puisse passer du doute à la foi... Je m'explique :
Sincèrement,
sachant ce que je sais - vous aussi sûrement - de la misère, de la souffrance,
du mal et du malheur, jamais je ne croirais en Dieu, s'il n'était celui qui
a gardé les traces de ses plaies de crucifié !
C'est parce que
Dieu, par les mains de Jésus, n'a pas touché seulement le charme de la vie, la
joie des noces, les belles amitiés... C'est parce que ses mains ont été clouées
sur une croix ... C'est parce qu'il est descendu ainsi au fond de notre misère
inépuisable... C'est pour cela que je crois en lui... C'est pour cela
que j'ose vous proposer de dire, à la suite de Thomas : “Mon Seigneur et mon Dieu !"
.
- “Mon Seigneur et mon Dieu”, c'est celui qui prend parti
pour les hommes en détresse, quelles que soient leurs détresses, celles du
corps ou celles du cœur
- “Mon Seigneur et
mon Dieu”, c'est celui qui nous certifie - par la Résurrection de Jésus - que
la souffrance et la mort n'auront pas le dernier mot, que c'est l'amour qui
gagne... L'amour conduit toujours à plus de vie.
Et ce ne sont pas
seulement, là, des mots…, même s'ils sont des mots d'amour, de compassion. Car,
comme l'on dit, les mots s’envolent… Non ! Mais Jésus, par amour pour nous,
en a fait l'expérience des souffrances humaines et de la mort elle-même...
Ce sont des actes posés par Dieu lui-même en Jésus, mort et toujours vivant.
Oui, c'est à ce
Dieu là que je crois. Et on peut y croire passionnément, puisqu'il porte
irrémédiablement les cicatrices des plaies de la souffrance humaine qui ne l'a
pas épargné.
Voilà le Dieu
auquel les chrétiens croient, au-delà de leurs questions, au-delà de leur doute
même.
Peut-être, au fond,
que la Bible, avec tous les malheurs qu'elle raconte, les trahisons et
violences humaines qu'elle ne cache pas, révèle finalement une grande pédagogie
de Dieu à l'égard des hommes, une pédagogie qui nous fait monter d'échec en
échec, de faute en faute, de question en question afin de pouvoir voir
pleinement le Christ en gloire avec ses plaies humaines, et nous faire
communier à "Celui qui nous voit
sans cesse". Les plaies du Christ sont éternellement la signature
de l'Amour miséricordieux de Dieu. Puisse l'Esprit Saint qu'il nous envoie
nous faire comprendre que la miséricorde de Dieu s'est manifestée jusque dans
les souffrances de l'homme, jusque dans nos souffrances !
Je ne sais si ces
quelques mots vous auront mis à l’aise avec ce que l’on nomme le doute.
J’espère qu’ils vous auront mis plus à l’aise avec la foi !
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