jeudi 13 avril 2017

Dire un véritable "AMEN"

Jeudi Saint  17 - A 

« Le Corps du Christ ! - Amen ! ».
Comme il est bref ce dialogue lors de la communion sacramentelle, si bref que notre attention, - celle de notre cœur, de notre foi -, risque avec le temps de s'émousser. Péguy, autrefois, mettait en garde contre cet effet corrosif de l'habitude : "Il y a quelque chose de pire que d'avoir une âme perverse, c'est d'avoir une âme habituée, car on n'a jamais vu mouiller ce qui était verni, ... ce qui était imperméable ; on n'a jamais vu tremper ce qui était habitué ; les gens habitués ne mouillent pas à la grâce !"..

Aussi, St Paul nous exhorte : "Que chacun s'éprouve soi-même avant de manger ce pain et de boire à cette coupe" (2 Co. 11/28). Oui, il nous faut bien appréhender le sens, la portée de notre "Amen", lors de notre communion.
Et restons toujours étonnés - à la manière de St Augustin -, de l'invitation de Jésus à la table de Dieu ? "Il a mangé avec toi ce qui se trouvait en abondance dans la pauvre maison de ton malheur. Il a bu du vinaigre. Il y fut nourri de fiel. Voilà ce qu'il a trouvé dans ta propre maison. Mais il t'a invité à sa magnifique table où il est lui-même le pain. Descendant chez toi, dans ta pauvre maison, il n'a pas dédaigné de s'asseoir à ta table telle qu'elle était et il t'a promis la sienne".

« Le Corps du Christ ! - Amen ! ».
"Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang". Ces paroles de Jésus, le prêtre les prononce sur le pain et sur le vin. - "Supprime cette parole, commente encore St Augustin, tu n'as que tu pain et du vin. Ajoute cette parole : tu as le Corps et le Sang du Christ. Ton "Amen" veut dire que tu accueilles le mystère avec foi !".

Dire "Amen", c'est reconnaître aujourd'hui la présence de ce Dieu
qui a pris notre route d'homme par son incarnation dans le sein de la Vierge Marie,
qui a révélé par sa vie, ses œuvres, sa parole, le visage du Père,
qui a marché résolument vers sa passion à travers toutes les résistances rencontrées par son amour et en a triomphé par sa mort et sa résurrection.

Dire "Amen", ce n'est pas seulement se souvenir d'un événement, c'est, dans nos vies, accueillir quelqu'un qui, désormais, nous précède sur toutes nos routes pour nous en dévoiler le sens et nous donner accès auprès du Père. - C'est Jésus-Christ lui-même qui prend l'initiative de se rendre réellement présent, par le ministère apostolique, pour actualiser dans nos vies et dans le monde sa Pâque libératrice. "Chaque fois que vous mangez ce pain et buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne" (2 Cor 11/26).

« Le Corps du Christ ! - Amen ! ».
"Prenez et mangez", dit Jésus-Christ par la médiation du prêtre.
Il se donne en nourriture. Tout au long de sa vie terrestre, il n'a fait que cela. Chacun des mots et des gestes du Christ - l'Evangile en témoigne - étaient pour tous ceux qui le rencontraient, le touchaient, source de lumière, de force, pain vivant. En se présentant sous le signe eucharistique, il universalise ce don de lui-même pour la vie de tous les hommes.
              
Dire "Amen" à ce geste prévenant du Christ, c'est se nourrir de la vie même de Dieu qu'il est venu partager avec l'homme. - Nous disons que la plante se nourrit de la terre, que l'intelligence de l'élève se nourrit de l'enseignement du maître, que la vie des époux est nourrie de leur amour réciproque. - Par le sacrement de l'Eucharistie, le croyant se nourrit de la vie même du Christ.
"Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. Et comme le Père qui est vivant m'a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi" (Jn 11/56-57).
              
Dire "Amen" au Corps du Christ, c'est apprendre avec lui à ne plus vivre pour nous, mais à vivre en lui et par lui, en relation filiale avec le Père et en communion fraternelle.
Nous savons par expérience qu'il s'agit d'un long apprentissage de la vie éternelle, et si le Christ a choisi comme signe de son action transformante l'aliment le plus quotidien de nos tables humaines, n'est-ce pas pour que son amour transforme et divinise notre vie de tous les jours ?

« Le Corps du Christ ! Amen ! ».
L'amour transformant que nous recevons du Christ sous le signe du pain et du vin est un amour qui nous rassemble et nous unit.

Dire "Amen", "Oui" au Corps du Christ dans le sacrement de l'Eucharistie, c'est aussi dire "Amen", "Oui" à son Corps qu'est l'Eglise. Le sacrement de l'Eucharistie et le sacrement de l'Eglise sont indissociables, car c'est « pour réunir dans l'unité les enfants de Dieu qui sont dispersés" (Jn 11/52) que Jésus-Christ a offert sa vie.
Communier, c'est accepter de faire Eglise, de vivre ensemble comme les membres d'un seul et même corps, mais c'est aussi et surtout en recevoir la grâce.

"C'est votre mystère à vous qui est posé sur la table du Seigneur, écrit encore St Augustin, c'est votre mystère que vous recevez. C'est à l'affirmation de ce que vous êtes que vous répondez "Amen", et votre réponse est comme votre signature. Sois membre du Corps du Christ pour que soit vrai ton "Amen"..

Oui, communier, c'est accepter d'être membre du Corps du Christ et recevoir la grâce d'en être un membre conscient, actif, responsable.
              
Dire "Amen", "Oui" au Christ sans dire "Amen", "Oui" à l'Eglise, à ce dessein d'amour qu'elle a mission d'annoncer et de rendre visible dans l'histoire, c'est aller à l'encontre de la vérité de l'Eucharistie.

Communier, c'est accueillir les frères que Dieu me donne à aimer comme il les aime. Or Dieu n'aime pas d'une manière sélective. Refuser d'aller à l'Eucharistie pour ne pas rencontrer des hommes que j'exclus de mes relations, c'est fermer mon cœur à cet amour nouveau dont le Christ veut me rendre capable par son Esprit : "je vous donne un commandement nouveau… Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres" (Jn 13/34).

Dire "Amen", "Oui" au Christ sans porter le souci des membres souffrants de son Corps, c'est oublier que l'Eucharistie est indissociable du sacrement du pauvre : "Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te donner à boire ? Quand nous est-il arrivé de te voir étranger et de te recueillir, nu et de te vêtir ? Quand nous est-t-il arrivé de te voir malade ou en prison, et de venir à toi ?… En vérité, je vous le dis, chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits, c'est à moi que vous l'avez fait" (Mt  25/37-40).

Puisse la célébration du Jeudi-Saint réveiller dans  nos cœurs de croyants l'émerveillement de la foi devant cette trouvaille de l'amour divin, ce grand signe de l'alliance qu'est l'Eucharistie.

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