13e
Dim. Ord. 16/C -
Dans toute vie, il existe des moments décisifs, des moments où il
faut faire un choix qui engage l'avenir d'une manière irréversible.
Humainement, c'est
déjà vrai ! On ne peut tout savoir, et tout faire, et tout penser, et tout dire.
L'existence exige des abandons durs, des choix qui peuvent être cruels.
On ne peut avoir les avantages du loisir et ceux de la gloire ; ceux du laïc et
ceux du clerc ; ceux de la forte santé et ceux de la chétivité.
Bien davantage
et plus profondément, le chrétien, plus il
avance dans la vie, plus il doit choisir de ne pas savoir, de ne pas
faire, de ne plus accueillir, jusqu'au jour où il lui faudra choisir lui-même
d'être un corps étendu, pour être en lui-même éternellement changé ! C'est sa
vocation, son choix !
Aussi faut-il, même
sur le plan humain, se méfier des fausses maximes d'honneur : "Meure plutôt que... !". Se méfier des fausses maximes de sécurité : "Préserve-toi, afin que... !".
Etc. Aucune règle ici n'est certaine ; aucune n'est automatique. Parfois, la
valeur suprême est d'accepter de disparaître, parfois de demeurer. Parfois de
veiller jusqu'au chant du premier coq, parfois de se coucher avec le jour qui
tombe.
Ceci dit avec un
humour quelque peu désinvolte ou désabusé, il reste que pour chacun, il
existe une valeur préférable accordée à son être, à sa tâche dans le monde,
une valeur suprême qui permet de juger tout ce qui n'est pas elle comme
de nulle valeur. Et ce qui est souvent difficile, c'est de savoir ce qui jamais
ne doit être sacrifié, de décider de son réduit inexpugnable, de choisir
la valeur qui jamais ne sera subordonnée, la ligne sur laquelle on ne cédera
pas !
C'est le cas de Jésus, dans l'évangile
d'aujourd'hui, qui décide de monter résolument à Jérusalem pour accomplir sa
mission qui va aboutir à la croix et à la résurrection, à ce mystère pascal
auquel nous participons par le baptême, par l'Eucharistie. Et
à partir de cette fin du ch. 9ème de St Luc, il ne va plus être question que de cela. St Luc le
soulignera à plusieurs reprises : Jésus, en toute liberté et avec détermination, monte vers
Jérusalem pour accomplir sa mission. C'est son choix ! Sa valeur
suprême, sa mission !
Evidemment, ce
choix, cette mission ne sont pas toujours comprises. Non seulement sa mission n'a pas été comprise, mais elle suscite parfois une certaine hostilité.
St Luc nous
donne l'exemple des Samaritains. Et les exemples se multiplieront au cours des
siècles et se multiplient aujourd'hui encore. Combien de prêtres, religieuses
ou religieux, combien de chrétiens sont ridiculisés, voire persécutés ! Jésus
en souffrit; nous en souffrons parfois.
Mais cette
souffrance n'est rien en comparaison de celle qu'on éprouve en constatant que
Jésus passe et qu'il n'est pas accueilli, que Dieu passe souvent de bien des manières
dans la vie des hommes pour faire "alliance" avec eux, et qu'à chaque
fois on le refuse.
La valeur suprême - l'amour de Dieu répandu en nos cœurs grâce à son mystère
pascal - sera délaissée pour d'autres valeurs périssables !
La peine des
apôtres fut grande. Et c'est la plus grande peine d'un prêtre, d'un chrétien de constater que Dieu, que Jésus-Christ sont repoussés. Et certains d'être tentés parfois de réagir plus ou moins fortement comme les
apôtres Jacques et Jean. Il ne le faut pas. Jésus réprimanda les siens : l'amour
de Dieu ne peut être proposé qu'au moyen de la charité, de l'amour qui
laisse intacte la liberté de chacun. C'est à chacun de choisir
librement ! On ne peut que le redire !
Aussi, Notre Seigneur d'expliquer que nous aussi; nous avons des choix à faire, que nous aussi, nous sommes appelés à
poursuivre d'une manière ou d'une autre, sa mission. Et devant ces choix, nous
restons libres. Cette liberté est à la base de tous les appels que le
Christ a adressés dans l'évangile : souvenons-nous de l'appel des Douze, du jeune homme riche qui répond négativement, de
Zachée, des dix lépreux... L'appel du Seigneur laisse à l'homme une pleine et
entière liberté avec toutes les conséquences et toutes
les déceptions qui en découlent. Si tu veux, viens ; suis-moi
! Déjà l'Ancien Testament le répétait souvent ! "Vois, je mets devant toi la vie et le bonheur, la mort et le
malheur !". A toi de choisir ! (Dt. 30.15).
Alors, de quelle manière faut-il répondre ? Notre Seigneur nous le précise à l'occasion de trois rencontres..
Un premier candidat se porte volontaire
pour suivre Jésus. Au lieu de répondre tout de suite positivement, Jésus le met
en garde : il ne veut pas que l'homme s'engage à la légère et soit tenté
ensuite de faire demi-tour. Aussi, il l'avertit que sa vie sera précaire, sans
sécurité d'une demeure fixe, avec certaines hostilités, comme celles qu'il
vient de connaître en Samarie. C'est un peu comme s'il disait à cet homme : tu
abandonneras toutes les sécurités humaines, tout ce qui était pour toi refuge
dans ta vie, pour t'attacher au Fils de l'Homme et à la construction de son Royaume.
St Benoît, me semble-t-il, n'a pas d'autre
langage !
Et aujourd'hui encore,
le Christ, en nous appelant nous met en garde :
ne vous appuyez pas trop sur certaines techniques, sur certains moyens
matériels : ce ne sont que des moyens, parfois utiles mais non indispensables à
l'annonce de l'évangile. La seule sécurité, le seul refuge, c'est le Seigneur. Lui seul doit être notre appui.
Le deuxième interlocuteur ne se présente pas de
lui-même, mais c'est Jésus qui l'appelle : il ne dit pas non, mais il demande
un délai, car il a une obligation familiale urgente. L'excuse nous paraît très
normale : reconnaissons même que nous traiterions cet homme de mauvais fils
s'il avait agi autrement. Et pourtant, Jésus lui montre qu'il n'a pas le temps
d'aller enterrer son père : l'urgence de la mission ne doit souffrir aucun
retard.
En fait, Jésus
veut nous faire comprendre deux choses importantes : d'abord qu'en cas de conflit
de devoirs, ce sont toujours les exigences du Royaume qui doivent passer en
premier. C'est cette priorité qu'il a toujours rappelés dans l'évangile ; la mission à laquelle Dieu nous appelle est tellement urgente qu'elle ne
doit souffrir aucun retard.
Mais il veut
aussi nous faire comprendre que notre attention doit être tournée vers les
vivants, vers ce qui naît et non pas vers ce qui est mort. (Et profitons-en pour
affirmer que, dans la foi, nos défunts eux-mêmes doivent être considérés
comme des vivants !). L'appel du Christ est un appel à la vie, non un regard vers le passé qui
est mort et qui nous entraîne parfois vers des regrets inutiles.
Le troisième interlocuteur ressemble fortement à
Elisée. Il demande de prendre congé des siens avant de suivre Jésus. Mais dans
les deux cas, il nous est signalé qu'il nous faut regarder en avant et ne pas
nous enfermer dans ce que nous avons déjà fait. Notre conversion, notre marche
à la suite de Jésus marquera toujours une rupture avec notre vie passée : c'est
à une vie nouvelle que nous avons été appelés.
De tout cela,
nous en sommes convaincus. Mais il faut bien avouer que nous en éprouvons parfois de
la lassitude. L'Eglise d'aujourd'hui se heurte à
l'indifférence, l'incompréhension ou même au refus catégorique comme la fin de
non-recevoir des Samaritains au temps de Jésus.
Cependant,
notre mission sera toujours d'annoncer la "Bonne Nouvelle", de
montrer dans notre vie que cette "Bonne Nouvelle" est libération et
vie nouvelle.
Mais nous ne
pourrons jamais l'imposer, et nous ne devrons jamais céder à la tentation de
puissance ou de pouvoir pour essayer de contraindre. Il nous faut accepter la
méthode de Jésus : notre seule arme sera la force du Ressuscité, capable de
changer le cœur des hommes, lui qui a dit à ses disciples: "Courage, j'ai vaincu le monde".
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