5e Dimanche de Pâques 18/B -
“Je suis
chrétien”, disait-on facilement autrefois. On le chantait même. Et le Concile
Vatican II nous a engagés à reconnaître cette "identité chrétienne"
pour mieux en vivre.
Or, les
trois lectures d'aujourd'hui nous décrivent les empreintes du chrétien, ce qui
le caractérise :
-Il doit
être sans cesse "émondé" comme un sarment pour porter de
magnifiques fruits, dit Notre Seigneur.
- Ainsi,
dit St Jean, il appartiendra à la vérité par des actes et non seulement par des
discours, en aimant comme le Christ lui-même a aimé.
- Et fort
de cet amour, il annoncera, comme Paul, la "Bonne Nouvelle"
du Christ, avec assurance, avec hardiesse.
Bref, le
chrétien éprouve un attachement vital au Christ par une foi vive et par
un amour qui engage à témoigner. Voilà la carte d'identité du
chrétien.
Ainsi St
Paul se sait Apôtre ;
St Jean
déclare que nous somme faits pour aimer.
Et pour
cela, Jésus nous propose sa vie de Ressuscité.
Or, on ne
peut annoncer le Christ, on ne peut aimer selon la vérité, ni se laisser
travailler, purifier en vue des récoltes à venir, que si l'on a bien reconnu
cette vie du Christ en nous : “Vous êtes, dit le Christ, les fils de la
Résurrection”.
Si -
pour un quart, voire pour un dixième seulement - nous sachions reconnaître cette
vie du Christ ressuscité en nous, il y aurait dans nos comportements une
extraordinaire, une incalculable force explosive. -
Depuis
notre baptême, il y a en chacun de nous un être chrétien dont la vocation est
de ressembler au Christ, de servir comme lui, de témoigner de lui : "En
Lui, par Lui, avec Lui".
La
Résurrection du Christ doit nourrir constamment de ses énergies notre vie, de
telle façon que, dans la joie ou dans la peine, nos mœurs soient toujours des
mœurs de ressuscités. Cela, nous le croyons. Nous le disons dans notre
"Credo", en confessant l'Esprit-Saint qui donne la vie. Mais
contemplons nos visages : portent-ils quelque chose de cette lumière qui fit
s'ouvrir les yeux des pèlerins d'Emmaüs ? Interrogeons
nos actes, écoutons nos propos ; est-ce qu'ils révèlent que nos
cœurs sont brûlants parce que nous avons accepté que le Christ soit, à l'intime
de nous-mêmes, notre compagnon de vie sur notre route d'Emmaüs ?
A chaque
instant, nous devons réaliser cette identité
chrétienne.
St Bernard invitait
ses moines à se demander
souvent, selon une vieille tradition : "Pourquoi es-tu là ? Qu'est-ce que tu fais là ?"
Il
faudrait en ce moment - j'allais
dire : d'ici la Pentecôte, pour la préparer, en imitant quelque peu les
Apôtres rassemblés au Cénacle -, il
faudrait non pas suspendre nos activités de toutes sortes, mais, ayant mis de
côté celles qui sont secondaires, il faudrait nous interpeller : "Qui es-tu ? Fils de la
Résurrection, est-ce bien là ton identité ?"
Pour
sortir de l'inconsistance chrétienne où nous végétons souvent, il nous faut
reprendre conscience de ce qui nous fait exister.
L'Evangile,
dit-on parfois, n'apparaît plus aux yeux de beaucoup comme une "Bonne
Nouvelle".
Il le
deviendra dans la mesure où cette "Bonne Nouvelle" sera réellement la
source, la joie, en même temps que l'interpellation permanente de nos propres
vies.
Interpellation
et pour nous-mêmes et pour les autres. C'est là une particularité de l'identité
chrétienne que soulignait St Paul avec son assurance, sa hardiesse pour
annoncer l'Evangile. Car le courage d'être ce que l'on est s'accompagne
toujours et obligatoirement du courage d'aider ses frères à se demander, à
devenir ce qu'ils sont.
L'avez-vous
remarqué ? Le premier geste des pèlerins d'Emmaüs, après qu'ils aient reconnu
Jésus, a été (“à
l'instant même”, précise St Luc) de
rebrousser chemin pour crier aux onze Apôtres et à leurs familiers : “C'est
vrai ! Le Seigneur est ressuscité !”.
L'"être
chrétien" se communique obligatoirement.
On emploie
aujourd'hui un terme
quelque peu barbare : on parle de
"conscientiser". il s'agit par là de mettre les gens au fait de leur
vraie situation de vie. N'est-ce pas le service qu'ont rendu aux Apôtres ces
deux hommes qui venaient de découvrir que le Christ était vivant ? Ils les ont
aidés à reconnaître, à prendre conscience qu'ils n'étaient pas des enfants
perdus, ensevelis avec leur Maître dans le linceul du Vendredi-Saint, mais les
prémices de l'Eglise sur qui allait passer le souffle de l'Esprit.
C'est évident : le moindre progrès dans
l'attachement au Christ ressuscité suscite une plus grande attention aux
autres.
Et, ce
matin, je voudrais signaler une attitude à laquelle trop souvent nous ne
pensons pas, et qui est peut-être à la base de toute action chrétienne. Pour
aider ses frères à découvrir ce qu'ils sont, il faut d'abord porter sur eux un
certain regard. Pour qu'ils prennent conscience de ce qu'ils sont, il faut avant toute parole, tout enseignement,
prendre conscience et faire prendre conscience qu'ils existent en tant que
chrétiens, “fils de la Résurrection”.
Et comme
cela est rare ! N'avez-vous pas rencontré parfois des regards qui ne
s'arrêtaient pas à vous, qui vous traversaient comme si vous n'étiez pas là.
Comme sans intérêt, sans utilité. Qui donc est regardé pour ce qu'il est ?
“Jésus, l'ayant regardé, l'aima”. Le jeune homme riche n'a pas totalement répondu à l'appel
de ce regard. Du moins, par ce regard, fut-il révélé à lui-même.
Imaginons
ce qui se passerait autour de nous si, connaissant enfin ce que nous sommes,
nous saisissions en chacun de nos semblables ce qui fait pareillement son prix,
pour maintenant et pour l'éternité.
Imaginons
que nous ouvrions sur chacun ce que l'Apôtre Paul nomme “les yeux illuminés du cœur”. Que d'êtres, que de pauvres êtres (car nous souffrons tous de quelque
pauvreté) commenceraient alors à exister.
On l’a dit
(la philosophe Simone
Weil) :
l'amour qu'un tel regard produit, a le pouvoir de tirer
quelqu'un de sa solitude, de son désespoir, du mépris dont il était entouré,
de l'insignifiance à laquelle il se croyait condamné. Ce regard-là s'apparente
au geste créateur de Dieu.
Peut-être
nous demandera-t-on : "Pourquoi me regardez-vous ainsi ?" - Qu'on nous pose donc cette question. Elle
sera la preuve que l'Evangile est devenu pour nous, en nous, la “Bonne
Nouvelle”. -
Pourquoi je vous regarde ainsi ? Parce que,
c'est vrai, le Seigneur est resuscité, et que nous sommes tous fils
de la Résurrection.
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