6e
Dimanche de Pâques 18.B
"Ce que
je vous demande, c'est de vous aimer les uns les autres".
Il y a des formules dont il faudrait n'user
qu'avec modération. Elles deviennent insipides à force d'être galvaudées. Ce sont
des formules passe-partout. On les chante, on les affiche. Et même, on les
porte comme une croix autour du cou.
Quelle est donc cette demande de Jésus ? Son sens, son ton,
sa couleur, sa force ? Et d'abord sa place ?
Elle vient après le lavement des pieds, avant
l'arrestation de Jésus. Judas vient de sortir, et Jésus prend la parole.
Il sait où en est la situation. Et ce
message qu'il délivre à ses apôtres est le dernier avant le grand passage : sa mort
et sa résurrection.
Ce moment a une couleur : celui du
sang qu’il va verser : “Il n’y a pas
de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime”.
Et le ton est pressant, pressé, comme
haletant.
C'est ainsi qu'il faut lire ce texte. Il y a
urgence. Jésus donne à la fois des consignes, des explications, une mission,
comme jetées à la volée, sans presque souci de les lier ensemble. Mais
encadrées par ce commandement : “aimez-vous
les uns les autres”.
Un amour exigeant
Ce commandement de l'amour est en effet
exprimé deux fois. La première fois, il est accompagné de la précision : "Aimez-vous ( ... ) comme je
vous ai aimés".
Or c'est tout un programme. S'il y a des
amours, de fausses amours, qui anesthésient sous prétexte de prévenances et de
petits soins, l'amour de Jésus est tout autre : il réveille et révèle à
eux-mêmes ceux qu'il a choisis. Il les fait sortir d'eux-mêmes.
- Jésus a fait sortir ses disciples de
leur situation sociale et professionnelle : adieu maisons, adieu filets, adieu
vie balisée.
- Il les a fait sortir de leurs
préjugés, de leurs égoïsmes, de leur racisme : bonjour les lépreux, les
aveugles, les pécheresses, les solliciteurs de toutes sortes et les petits
enfants.
- Il les a fait sortir d'une religion
toute faite pour une aventure religieuse qui paraissait sacrilège aux yeux de
beaucoup.
- Il les a fait sortir du petit groupe
chaud qu'ils formaient pour s'aventurer en pays de mission et annoncer que le Royaume
de Dieu était arrivé.
On peut ajouter à cette liste d'autres
changements radicaux. A chacun de le faire dans sa méditation pour soi-même. Jésus
veut toujours nous faire sortir pour nous libérer.
Or si Jésus a "décoiffé" ainsi les
apôtres, ce n'est pas par goût du pouvoir et de la séduction. Il les a emportés
loin de leurs habitudes parce qu'il les aimait : rude et tendre amour.
Quand on aime véritablement, on veut le
meilleur de celui et pour celui qu'on aime. Et quand on aime, on donne le
meilleur de soi à l'autre : juste et tendre retour. C'est de cet amour-là que
Jésus veut que nous nous aimions, ajoutant même : "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses
amis", et "vous êtes mes
amis", ajoute-t-il en substance. Cette amitié se signe par le sang.
Amis de Jésus
"Amis", dit-il ! Mais à qui Jésus
s'adresse-t-il quand il déclare : "Vous
êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande " ? ou encore : "Maintenant je vous appelle mes
amis", ? S’adresse-t-il aux seuls apôtres restés autour de lui à la
table du Jeudi Saint ?
Nous aurions alors tendance à nous retirer en
nous excusant : ce que j'entends ne s'adresse pas à moi ; je vous laisse entre
amis.
Or Jésus donne la clef, la clef de son
amitié, la clef de son discours : "Je
vous appelle mes amis, car tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai
fait connaître ".
C'est donc la connaissance, la reconnaissance
de Dieu-Père, par l'entremise de Jésus, qui fonde notre amitié avec
Jésus. Par l'Evangile, connu et vécu, nous sommes, nous aussi, amis de
Jésus, parce que fils d’un même Père…
Et c'est ainsi que le cercle des amis de
Jésus s'élargit. Formé d'abord de seuls juifs, il s'étend ensuite à des
non-juifs tels que Corneille. Il faut d'ailleurs que l'Esprit-Saint apporte un
puissant renfort à Pierre pour que les juifs chrétiens acceptent que des
"païens" se joignent à eux ! L'amitié de Jésus se répand donc sans
exclusivité.
Amis des hommes
Mais de la part de Jésus, l'amitié est un
sentiment exigeant : "Faites ce
que je commande". Ce que Jésus a demandé aux apôtres, il nous le
demande à nous aussi : se laisser déranger dans son mode de vie et de pensée.
Aller au-delà de ses frontières naturelles, ce qui n'est pas forcément aller
très loin :
- de l'autre côté de la rue pour s'enquérir
d'un voisin âgé ou solitaire ;
- donner de soi, de son temps, visiter des
malades, réconforter celui, celle qui n’en peut plus… ;
- écouter celui que personne n'entend ;
- dire oui, dire non, selon les cas, à haute
et claire voix ;
- sacrifier de son superflu, partager de son
nécessaire.
A chacun de faire l'inventaire et de choisir.
Qui n'entend pas dans sa conscience cette voix ? Cette voix qui dit : tu aimes
chichement ; tu es moins bon que tu en as l'air ; va plus loin. Et cette voix
est celle de Jésus, notre ami.
Et en retour de ce don de soi ? Le don de
Dieu : "tout ce que vous demanderez
au Père en mon nom, il vous l'accordera". Si j'ose dire, avec Jésus,
l'amitié est un superbe placement.
Aimer, c'est aimer Dieu
Et pourtant la situation peut laisser
insatisfait : car enfin les autres, tous ceux qui ne connaissent ni le Père, ni
le Fils, ni l’Esprit-Saint, sont-ils tenus à l'écart des dons de Dieu ?
La réponse vient de Jean : "Tous ceux qui aiment sont enfants de
Dieu, et ils connaissent Dieu. Celui qui n'aime pas ne connaît pas Dieu, car
Dieu est amour".
Cette parole inspirée par l'Esprit renverse
bien des murs. C’est dans et par l’amour véritable que Dieu est connu. Jésus
nous conduit à Dieu. Or Dieu est Amour ! Et ceux qui s’exercent à cet amour
connaissent Dieu.
Mais comment témoigner d'un amour invisible
si, visiblement, nous ne nous aimons pas entre chrétiens ? Jésus sait ce qui
menace à la fois son Eglise et le message qu'elle a mission de porter. C'est
pourquoi, dans la hâte des derniers moments, il nous supplie !
Prière ultime : "Aimez-vous les uns les autres".
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