dimanche 26 janvier 2020

A tout homme !


3ème dimanche du T.O. 20 /A


Jean-Baptiste a achevé sa mission. Il est entré dans l'ombre. Il a même été mis à l'ombre : le voici dans les prisons d'Hérode dont il ne sortira que par le sang.

L'heure de Jésus vient.  Il prend la suite de Jean qui d’ailleurs l’avait désigné comme celui qui venait après lui.
Quittant Nazareth, il entre dans la phase publique de sa vie, choisissant comme base de sa mission le site de Capharnaüm, “ville située au bord du lac, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali”, précise St Matthieu.

Jésus commence donc son ministère aux limites de son pays. Capharnaüm était une cité frontière et les évangiles mentionnent nombre de ses habitants :
depuis le centurion commandant la garnison
jusqu'au douanier Lévy qui deviendra St Matthieu,
en passant par Jaïre, chef de la Synagogue dont Jésus ressuscitera la fille,
et tous ces hommes de la pêche parmi lesquels les premiers disciples

Jésus a donc commencé l'annonce de la “Bonne Nouvelle” parmi une population fortement marquée d'influences païennes et considérée comme marginale du peuple de Dieu. Il faut le souligner : les débuts de Jésus se déroulent dans un lieu peu recommandable, vraiment très loin du “Saint des Saints” de Jérusalem, lieu de la présence divine.
Cette Galilée, abhorrée des Juifs de Judée, est décidément bien typique de l’évangile de Matthieu.

Aussi prend-t-il soin de reproduire le tableau qu'Isaïe avait déjà brossé de la région : “Pays de Zabulon et de Nephtali, pays au-delà du Jourdain, Galilée, toi, le carrefour des païens”.
Pourtant, le prophète avait parlé de cette région ténébreuse comme la première appelée à recevoir le message de lumière. “Le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière. Sur ceux qui habitaient dans le pays de l'ombre et de la mort, une lumière s'est levée”.

Le peuple des petits, des païens, de tous ceux qui n’ont rien et sont considérés comme rien, va être le premier attentif à la parole de Jésus.
Des membres de la classe dirigeante (officiers et publicains) aux boiteux, aux aveugles et lépreux,
des pieux de la Synagogue aux "péripatéticiennes" telle que Marie Magdeleine,
des foules affamées aux pêcheurs du lac,
nul n'échappait à la parole libératrice de Jésus, à ses gestes guérisseurs des corps et des consciences.
Quelle leçon pour notre élan missionnaire !…

Pour le moment, il semble que Jésus n’ait d’autre message à transmettre que celui du prophète Jean, le baptiste : "Convertissez-vous"… Allons-nous entendre nous-mêmes cet appel aussi bien que ces gens de Capharnaüm facilement méprisés ?

A la première surprise de voir Jésus aborder le peuple d'Israël dans sa part la plus lointaine, la moins reluisante, s'ajoute une seconde : le choix des premiers disciples parmi les hommes de la pêche, personnes simples, souvent rudes et frustes.
St Matthieu livre un raccourci de ce choix : “Il vit deux frères, Simon appelé Pierre, et son frère André, qui jetaient leurs filets dans le lac. Il leur dit : "Venez, je vous ferai pêcheurs d'hommes". Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent.” Ils le suivirent, non parce qu’il les avait vus, mais sans doute parce qu’il avait posé sur eux ce regard qui les a pénétrés, bouleversés, révélés à eux-mêmes et appelés.
Et puis c'est le tour de Jacques et de son frère Jean, et de même les autres... Un jour ces humbles artisans, sans relief et sans culture, constitueront, sous la houlette de Simon, devenu Pierre, la première cellule de l'Eglise que l'Esprit de Pentecôte lancera dans les nations et les siècles.

Cette double surprise des commencements de l'Evangile est une leçon à ne pas oublier. Les choix que Jésus fit du pays de l'Evangile et de ses disciples, nous avertissent que Dieu ne fait acception de personne, qu'il est le Père de tous et que la ségrégation, quelle qu’elle soit, lui est aussi étrangère qu'insupportable la division qu'elle engendre. Le risque est permanent !

C’est en ce sens que St Paul écrit aux Corinthiens. Il réagit vigoureusement contre la tentation de ceux qui se réclament respectivement de lui, Paul, ou de Pierre ou d'Apollos, alors que tous appartiennent indistinctement au Christ, Fils du Dieu vivant, venu parmi nous en passant par la Galilée des païens et en s'entourant de disciples qui ne connaissaient que la pêche.
L’Apôtre semble même se fâcher, tant la chose est grave. Il s’agit de la vie ou de la mort de toute communauté : son unité. La division engendre une opposition paralysante et provoque des manques d’amour.

Corinthe est une ville exubérante ; aussi la désunion risque de naître de cette exubérance de vie. Les chrétiens, “tout neufs”, adorent discuter, discutailler, approfondir, faire cliqueter les idées… et les noms aussi ! – “Moi, je suis pour Paul ! Moi pour Pierre. Moi pour Apollos !…”. Eternel problème des leaders : et on prend parti ! – Pour qui ?, demande rudement St Paul. Pour des hommes ! Vous appartenez à des hommes alors qu’il faut appartenir au Christ !

C’est bien la question : une communauté chrétienne ne se construit pas sur des hommes, elle se construit sur le Christ, “pierre angulaire”, dira-t-il par ailleurs. Il y aura toujours des chefs, des fondateurs, des créatifs. Mais dès qu’ils empêchent de voir le Christ, dès qu’ils arrêtent les regards sur eux-mêmes, il faut le répéter : ce ne sont que des hommes !

Mais alors, dira-t-on, s’il n’y a pas de chefs, de leaders, de meneurs ou même de contestataires, il n’y a pas de vie ! Oh bien sûr que si, répondra St Paul. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a toujours du Satan en chacun de nous. Et le Satan est le “diviseur”, par excellence. Il y a du “Satan”, en nous, quand nous passons de la discussion objective (idées, projets, difficultés diverses) à la passion subjective (procès de tendances, engouements ou détestations).
Malheur aux groupes qui n'ont pas de contestataires ! Et malheur aussi s'ils n'ont pas des conservateurs et des "pacifiants". Vive l'unité quand elle est vivante, quand elle est riche !
Mais que cette unité est difficile ! N’en soyons pas étonnés !


Tous les chrétiens appartiennent au Christ, mais quel Christ ? Il n'est pas divisé, dit St Paul, et cela veut dire qu'on ne peut opposer le Christ de Pierre à celui d'Apollos…
Oui, vivons du Christ, du Christ de Matthieu, de Jean, de Paul, d'Irénée et de tant d’autres au long des siècles, du Christ du pape François comme celui de Jean-Paul II, de Benoît XVI, de Mère Térésa et de tant d’autres aujourd’hui !
Oui, l’unité sera toujours difficile ; pourquoi ne pas l’avouer ? Mais elle doit être vivante, elle n'est pas la paix d'un cimetière.

Et puis n’oublions surtout pas – St Paul le rappellera souvent – que le Christ s’est d’abord adressé aux gens de Capharnaüm, c’est-à-dire aux petits aux pauvres, aux païens, à tous ceux qui n’ont rien et qui sont considérés comme rien. L’Apôtre Paul, le théologien, insistera : “J’ai été faible avec les faibles” (I Co 9/22). Aussi “accueillez celui qui est faible dans la foi, sans critiquer ses scrupules”. “Que le faible ne périsse pas grâce à ta connaissance. Car en blessant sa conscience qui est faible, c’est contre le Christ que vous péchez” (I Co. 8/10sv).

Et que l’on soit faible ou fort, c’est à tous que le Christ nous dit aujourd’hui : “Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est là”.  Oui, l’Esprit de Dieu est en nous. Lui seul peut nous libérer !

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