4e Dimanche du Temps Ordinaire 19/C
"Hymne à la charité" !
La Bible de Jérusalem, tout comme
les versions plus anciennes, emploient ce mot "charité" pour ce
passage de la lettre de St Paul aux Corinthiens.
Le Lectionnaire préfère le mot
"amour"; et c'est bien avec ce terme que ce passage est lu lorsque
des fiancés choisissent ces célèbres versets de l'Apôtre pour la célébration de
leur mariage. Parler de charité aujourd'hui équivaut à prôner une réalité bien
dévaluée.
Certes, dans les lettres de St
Jean il est bien question d'amour, et non de charité. Mais le "disciple
bien-aimé" évite toute équivoque : chaque fois qu'il parle de l'amour
du prochain il le relie à l'amour de Dieu.
Il n'en est pas tout à fait de
même dans notre texte d'aujourd'hui.
Cependant, bien que le mot "amour"
soit finalement aussi dévalué que le mot charité, et caricaturé plus encore,
acceptons-le, à condition toutefois de garder en mémoire la première phrase : "Parmi les dons de Dieu, cherchez à
obtenir ce qu'il y a de meilleur".
"Parmi les dons de Dieu"... Nous voilà fixés. C'est bien la
perspective de St Jean… et de St Paul également. Car, si nous oubliions qu'il
s'agit d'un don, et d'un don de Dieu, ce que dit St Paul nous mettrait
mal à l'aise. Patient, l'amour ? Prêt toujours à rendre service, exempt de
jalousie, faisant confiance en tout ? Allons donc ! Regardons autour de nous,
et regardons surtout en notre propre cœur.
Une expression est parfois
employée chez les jeunes couples chrétiens : "mettre son amour en état
de grâce". Elle indique parfaitement la saisie de l'amour humain par
Dieu, et le lent passage (qui dure toute la vie)
- d'un amour inévitablement
alourdi au départ, menacé par l'égoïsme
- à un amour transformé de
l'intérieur, purifié, épanoui par un don de Dieu qui engage à un véritable don
de soi à autrui.
Oui, Dieu seul peut faire de
notre amour humain, lorsqu'il s'y prête, l'amour que célèbre l'"hymne à la
charité".
Il ne s'agit donc pas d'une
simple question de traduction. On ne peut remplacer le mot "charité"
par le mot "amour" que si l'on précise la source de tout amour.
Deux êtres disent qu'ils s'aiment
: qu'est-ce que cela doit signifier ?
"L'amour est divin dans son essence, répondait St François de
Sales, il ne se profane que par une
corruption". Mais la corruption est là, et les époux qui interrogent
leur cœur, pour surmonter incompréhensions réciproques, déceptions, voire
mésententes, sont bien obligés de constater que leur amour se profane vite,
alors qu'ils le croyaient à l'abri de tout mal.
"A ceci, écrit St Jean, nous
avons connu l'Amour : celui-là a donné sa vie pour nous" (I Jn 3,16). Oui, le Christ, Dieu fait homme,
nous donne l'exemple d'un amour humain et vrai : livrer sa vie, se mettre
totalement au service de l'autre sans esprit de retour (de retour sur soi),
partager en suivant le plus possible la règle de la célèbre parole que Jésus
adressait à son Père : "Tout ce qui
est à moi est à toi", (Jn 17/10). Tel est le signe de l'amour.
Oui, Dieu seul, en Jésus-Christ,
nous apprend à nous donner et nous transmet sa force.
Notre amour a donc besoin d'être guéri.
Mais il ne s'agit pas seulement
de guérison. C'est souvent cet aspect que l'on souligne avec le plus de force,
du fait de l'expérience douloureuse, tragique parfois, de la corruption de
l’amour dont le principe est en nous.
Il y a un autre aspect, plus
important encore. En mettant l'amour en "état
de grâce", Dieu fait plus encore : il permet à l'homme d'aimer peu à peu avec son amour à lui.
Peu à peu, c'est-à-dire au rythme
où se conjuguent la volonté de l'homme avec celle de Dieu, la liberté de
l'homme avec celle de Dieu. C'est pourquoi St Paul ajoute : "L'amour ne passera pas !".
Lorsqu'il parle ainsi de l'amour, il ne songe pas à une pérennité dans le
temps, à une garantie de fidélité pour la seule durée d'ici-bas. Il regarde
par-delà la minute inimaginable où cessera pour chacun de nous la foi, et
cessera aussi l'espérance. Parce que l'amour qui nous est offert est l'amour
même qui est en Dieu, il échappe à la caducité, à la destruction de toutes
choses. Déjà, il participe à l'éternité.
Oui, déjà ! Car l'amour existe,
le vrai, celui qui déjà puise en Dieu profondeur, stabilité, épanouissement,
patience, désintéressement, confiance, joie.
Cet amour existe. Il existe dans
des foyers, et il existe au sein de nos relations humaines. Car si personne,
proclame St Paul, ne peut dire à Dieu "Père" sans que l'Esprit Saint
ne prononce en lui ce mot, personne non plus ne peut dire à un de ses semblables
"frère", sans que ce soit l'Esprit Saint qui le lui dicte.
C'est dans cette perspective
qu'il faut relire l'"hymne à la charité".
Le mot "frère" - lui
aussi malheureusement galvaudé -, le Saint-Esprit nous pousse à le dire
concrètement, avec de plus en plus de vérité et à de plus en plus de nos
semblables, grâce à l'amour de Dieu déposé en nos cœurs d'homme.
Alors : une seule question :
qu'en est-il, pour chacun de nous, de notre ouverture à l'Esprit Sain ? A qui
disons-nous "frère", et de quelle manière ?
Le pauvre Lazare, à notre porte,
s'appelle Légion. Car il représente tous les pauvres, depuis les pauvres de
pain quotidien jusqu'aux pauvres de vérité.
Puisse, au dernier jour, beaucoup
de Lazare témoigner en notre faveur auprès de Dieu.
Puisse, au dernier jour, beaucoup
de Lazare attester qu'ils ont, sinon connu, du moins pressenti l'Amour, cette
Charité de Dieu qui est à la source de tout amour comme de toute justice, parce
que nous avons, pour eux, donné quelque chose de notre vie même.
L'amour de Dieu est à la source
de tout amour... Répétons cette affirmation.
Alors : Amour ou charité ? Je dirais facilement : Amour, s'il s'agit
bien de la "charité" divine... !
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