20ème Dimanche du T.O. 17/A
L'algarade avait été vive. Les suites
pouvaient être très graves. Aussi Jésus, avec ses amis, quitte les bords du lac
de Tibériade et passe vers le pays de Tyr et de Sidon, l'actuel Liban ; La
frontière était proche.
En effet, il avait durement affronté les
Pharisiens. Ceux-ci avaient reproché à ses disciples de ne pas observer la
“tradition” : ils allaient à table sans se laver les mains...etc. Jésus avait
répliqué, les accusant d'utiliser des astuces juridiques pour échapper au
devoir d'aider père et mère. Bien plus, il les avait interpellés : “Vous annulez la Parole de Dieu au nom de
votre tradition. Hypocrites... aveugles qui guidez des aveugles !”
Accusations quand même très vives et incisives !
Toujours, Jésus appelle les hommes à
l'intérieur d'eux-mêmes, vers l'essentiel. Or l'essentiel, ce n'est
pas le “qu'en-dira-t-on”, ni les belles manières, ni les coutumes raisonnables
: l'essentiel, c'est le cœur de l'homme.
Jésus n'accepte pas que l'on confonde les
hommes avec leur comportement. Les usages ou traditions ne sont pas des
“absolus”. Seule est sacrée la Parole de Dieu, et c'est dans le cœur que
l'homme l'accueille. Il faut franchir la frontière des exigences sociales ou
des idées reçues : la vie avec Dieu est plus profonde ; elle est au cœur des
hommes.
Ainsi donc, Jésus entraîne ses disciples à
passer cette première frontière. Il ne veut pas qu’on “utilise” Dieu - c'est
fréquent, inconsciemment sans doute - au service des idées reçues,
philosophiques, sociales, politiques et même religieuses. On ne dispose pas
de Dieu. On l'accueille.
En hélant les hommes au-delà des frontières
que sécrétait la société de son temps, Jésus devenait un danger public (c'est
toujours d'actualité!).
Et pour ne pas être arrêté, il ne lui
restait plus qu'à franchir une autre frontière, celle du territoire, vers
l'étranger.
Mais là, Jésus va rencontrer une troisième
frontière. Et lui-même semble hésiter, avant de franchir cette frontière qui se
dresse devant lui pour la première fois.
Il se retire donc "vers la région de Tyr et de Sidon". La précision
géographique n'est pas sans importance : ces cités ont une solide réputation
d'impiété, de résistance orgueilleuse à Dieu ; et les Prophètes s'étaient
répandus en anathèmes à leur égard (Is. 23; Ez. 26-28; Am. 1-9 etc).
Aussi, en Israël, Peuple qui a répondu à
Dieu, on n'aime pas les Cananéens qui refusent Dieu. On va même jusqu'à les
traiter de "chiens". D'ailleurs Jésus ne pénètre pas dans ces villes
maudites. Il reste dans les environs. - Or c'est de là que va sortir cette
Cananéenne qui se met à crier : "Aie
pitié de moi, Seigneur, Fils de David".
Cette femme lance un appel pressent : c'est
une mère qui demande secours à propos de sa fille malade : "aie pitié de moi, Seigneur''… ;
et Jésus ne lui répond pas un mot. - Mieux disposés, semble-t-il, les disciples
insistent auprès du Maître : "Fais
lui grâce ...". C'est un refus catégorique. Prosternée, la femme
revient à la charge : "Seigneur,
viens à mon secours...". La réaction est plutôt cinglante : "Il n'est pas bien de prendre le pain
des enfants pour le donner aux petits chiens".
Mais la suite va nous prouver qu'il ne faut
pas se fier aux apparences de Jésus. Il est d'abord venu pour chercher,
sauver les brebis perdues de la Maison d'Israël ! Il veut affirmer cela
avant tout et il l’affirmera souvent.
Ce qui veut dire qu'Israël avait été
choisi pour accomplir une mission de foi : faire alliance avec Dieu, de
sorte que cette alliance soit un exemple pour toutes les nations. Oui, Israël était
choisi pour être le “missionnaire” du Dieu Unique auprès de tous les
peuples. Et Notre Seigneur rappelle cette élection de choix du Peuple Juif.
Mais en même temps submergé par un amour
sans frontière, Notre Seigneur ne peut s'empêcher de faire des exceptions à ce
principe, comme pour mieux annoncer la prédication évangélique à toutes les
nations qui sera la mission principale des Apôtres – (Paul surtout)
Ainsi, entre cette Cananéenne et Jésus, il
se passe d'étranges évènements. De l'extérieur, c'est le rejet, presque le
mépris. Mais au dedans, c'est le souffle puissant de l'Esprit qui gonfle la foi
et la fait déborder en prière.
On pourrait dire, de façon imagée, que la
dureté de Jésus est comme un barrage, qui provoque la montée des eaux jusqu'à constituer
un lac capable de produire des prodiges de confiance, de persévérance, de foi.
Aussi la femme réplique à Jésus : C'est
vrai : elle n'est pas digne de manger le pain de Dieu promis au peuple élu,
mais "les petits chiens mangent
les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres !"
Et Jésus ne peut retenir son admiration : "Femme ta foi est grande".
C'est bien là qu'il voulait la conduire en dressant des obstacles sur sa route.
Il souligne sa grande foi et accorde la faveur demandée : "que tout se passe pour toi comme tu le veux".
Et, de plus, il y a là comme une accusation
féroce de la part de Jésus vis-à-vis des pharisiens qui ont assisté au signe de
la multiplication des pains que Jésus vient d'accomplir, mais qui ont refusé
d'en comprendre le sens. Au contraire, pour la Cananéenne, il suffit de "quelques miettes" !
Contraste qui peut nous faire réfléchir
nous-mêmes à qui Jésus se donne sous le signe du "Pain de vie" !
Aussi, cet épisode évangélique devrait
produire en nous une double réflexion.
D'une part, savons-nous reconnaître et
contempler les trésors de grâce que l'Esprit-Saint suscite dans la vie de nos
frères différents de nous ? Nous n'avons pas le monopole de la foi et de
l'amour. Au lieu d'élever des barrières entre les hommes, en les enfermant dans
des catégories superficielles, pourquoi ne pas avoir le regard assez profond,
le cœur assez large pour louer Dieu à cause de tout ce qu'il fait fleurir en ce
monde, y compris dans le jardin de ceux qui paraissent très loin de lui ? J'en
suis parfois témoin !
Nul ne peut se dire chrétien s'il méconnaît
la consigne du Christ Ressuscité : "Allez,
de toutes les nations, faites des disciples". On n’est pas chrétien en
voulant maintenir non des différences légitimes, mais des barrières entre les
hommes. La miséricorde de Dieu est offerte à tous, hommes et femmes de
toutes races, langues, cultures, aux pauvres mais aussi aux riches appelés à la
pauvreté évangélique. L'Esprit du Seigneur souffle où il veut et il accomplit
partout des merveilles !
D'autre part comment interprétons-nous
les épreuves que subit notre vie ou qu'endure notre foi ? Bien sûr, il nous
arrive de traverser des zones de souffrance, de ténèbres. Et parfois nous
sommes bouleversés par le cours des évènements, déconcertés par l'attitude de
Dieu à notre égard.
Souvent on entend dire : "Je ne comprends pas ce qui m'arrive ;
Dieu m'aurait-il abandonné ?"
En réalité, l'épreuve est souvent un
moyen, une occasion de faire grandir notre foi. Une foi éprouvée intensifie
la communion avec Dieu. Oh ! Certes, c’est plus facile à dire qu’à
réaliser. Car nous ne comprenons pas. C'est vrai. Mais ne portons pas de
mauvais jugements sur Dieu lorsque nous sommes dans l'épreuve. Dieu ne veut pas
le mal, ni les épreuves (Fais que nous ne soyons pas soumis aux tentations des
épreuves, disons-nous dans le “Notre Père”). Mais si ces épreuves arrivent, il
attend de nous une plus grande confiance. Pourquoi imaginer aussitôt que son
visage s'est détourné de nous?
La Cananéenne, cette païenne de l'Evangile,
cette femme n'a pas de nom propre dans le récit.
Mais désormais près du Seigneur en qui elle
a totalement crû, qu'elle nous aide, nous aussi, à cheminer dans la foi,
surtout dans les épreuves diverses que nous pouvons rencontrer.
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