23e
Dimanche du T.O. 16/C
St Luc nous montre toujours Jésus sur la
route, celle qui conduit vers Jérusalem où il va être condamné à mort.
On voit très bien la scène : Jésus marche
en tête, résolument, comme l'a dit St Luc précédemment. Il marche en tête
puisqu'il doit se retourner pour s'adresser à ceux qui l'accompagnent. Ceux-ci
nous sont présentés de manière un peu emphatique, comme formant "de grandes foules". C'est que
pour l'évangéliste, il n'est plus question seulement de ceux qui, ce jour-là,
cheminaient avec Jésus, mais de tous les hommes et de toutes les femmes qui, au
cours des siècles, attirés par le Christ, se sont mis à marcher à sa suite, de
nous-mêmes par conséquent.
Jésus est devant. Et, se retournant, il
accuse la distance qui nous sépare encore de lui. Regardant cette foule, nous
regardant, il semble nous poser cette question : "Parmi ces
volontaires, combien de velléitaires ? Combien me suivront jusqu'au bout ?
Combien, devant les difficultés de la route, devant tel ou tel orage qui surviendra,
seront capables de faire véritablement face avec moi ?" Et on conçoit
qu'il sente le besoin de nous avertir des exigences que comporte l'état de
disciples.
Mais est-il possible que Jésus,
"l'Amour de Dieu incarné" ait osé avancer de telles exigences qui nous
sont signifiées aujourd'hui ? "Si
quelqu'un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses
frères et ses sœurs, jusqu'à sa propre vie, il ne peut être mon disciple".
Cette déclaration a évidemment bouleversé
bien des générations de croyants. Et les exégètes nous expliquent que le mot
"haïr" n'est pas à prendre dans le sens fort que lui donne notre
langage habituel. La langue hébraïque est une langue pauvre. En particulier,
elle ne possède pas de comparatif. "Haïr" signifie souvent "aimer
moins". Dans notre texte, il s'agit par conséquent d'une préférence
à accorder au Christ : "Si
quelqu'un vient à moi sans me préférer à son père, à sa mère, à sa femme…, il
ne peut être mon disciple". Nous devons préférer le Christ à
ceux que nous aimons le plus. Et quelquefois, cet amour de préférence, cet
amour exigeant du Christ pousse à quitter la famille pour un service plus total
du Seigneur. C'est le cas de toute vocation religieuse ou sacerdotale. Les
exemples sont multiples et divers : Ne seraient-ce que les missionnaires de
tous les temps - tel, chez nous, Mgr Siméon Berneux - ces missionnaires qui,
autrefois surtout, partaient pour vingt, trente ans, voire sans jamais revenir.
Mais si nous réfléchissons plus
profondément à cette parole de Jésus, si déconcertante à première vue, nous
comprendrons que "préférer le
Christ" à nos proches nous amène, non pas à les aimer moins, mais
à les aimer mieux.
En effet, nous sommes pécheurs et le péché
nous met dans l'incapacité d'aimer comme il faut, d'établir des relations
d'amour absolument réel, vrai, sincère avec les autres. Car si le péché nous
sépare de Dieu, il nous sépare aussi de nos frères. Nous ne savons pas aimer
comme il faut, parce que notre égoïsme, notre amour propre, nos intérêts
dénaturent nos amours. Trop souvent, sous prétexte d'aimer les autres, c'est
nous-mêmes que nous aimons.
Or, le Christ n'entend pas supprimer nos
amours humaines. Il veut les purifier, les transformer, les sanctifier.
Lui-même n'a pas exclu de son affection sa mère et sa parenté. Mais il a
intégré ses affections dans le mouvement global d'amour qui le portait vers le
Père. Un fleuve, pour aller vers la mer, n'exclut pas ses affluents ; au
contraire, il s'en augmente. - A condition que notre cœur soit profondément tendu
vers Dieu, comme le fleuve vers la mer, nos affections humaines peuvent
agrandir et intensifier notre amour pour Dieu.
La question est de savoir si les affections
que nous donnons ne se perdent pas dans le périssable ou si celles que nous
recevons n'abîment pas notre cœur.
Dès lors, "préférer le Christ", c'est accepter de vivre le mystère
de mort et de résurrection du Christ, en s'arrachant à sa mauvaise manière
d'aimer pour apprendre du Seigneur, par une transformation de soi-même, à aimer
véritablement, à aimer comme Dieu aime, à aimer comme le Christ !.
Et nous avons, dans la lettre de Paul à
Philémon (2e
lect.),
un exemple de la transformation dans les relations, opérée par la foi au Christ
- Onésime, un esclave de Philémon, s'est enfui. Selon le droit en vigueur,
Philémon a droit de mort sur son esclave en fuite ! Mais ce dernier a rencontré
Paul qui l'a initié à la foi. Onésime croit ! Paul le considère comme son frère
et il écrit en ce sens à Philémon. Il lui demande de pardonner à Onésime, et
même de le libérer au nom d'une relation qui doit s'instaurer entre eux à cause
de la foi commune qui les anime désormais. Les circonstances nouvelles leur
font découvrir que, dans le passé, ils se haïssaient… et que, grâce à l'action
du Christ en eux, il leur faut changer ! Ils doivent aimer en Dieu... !
Pour nous, les applications sont
constantes. L'une des plus profondément humaines est l'amour entre époux. Le
Sacrement de mariage établit entre les époux un centre d'échange, le Christ
lui-même, à partir duquel part la qualité de leurs échanges d'amour ; et ces
échanges leur permettent de mieux réaliser ce qu'est l'amour du Christ pour
eux, et, par conséquent, de mieux s'aimer. Pour eux aussi, il y a une manière
de vivre leur amour en "préférant" le Christ, en étant
"disciples". C'est au cœur de cet amour qu'ils sont invités à
consentir au Christ avec la totalité de leur être. L'amour conjugal devient de
plus en plus charité, grâce à l'amour du Christ en eux.
Au fond, l'évangile d'aujourd'hui nous invite
à faire cette prière : "Seigneur, unifie mon cœur, de sorte que nous
mettions en ton cœur tous ceux que nous aimons. Ainsi, nos affections ne seront
pas diminuées ou rabaissées par notre amour propre, mais grandies à la
dimension de ton amour divin".
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