20e
Dimanche du T.O. 16/C
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Singulière parole que celle que Notre
Seigneur nous adresse aujourd'hui. Une parole en forme de glaive. Comme le
souligne l'auteur de notre 2ème lecture, la Parole de Dieu descend
en nous jusqu'à la jointure de l'âme et du corps (Heb 4.12) : Non pas la
paix, mais la division, dit Jésus ! Non pas l'unanimité, mais la contradiction.
Avec Jérémie (1ère
lecture),
osons regarder d'abord cette contradiction dont il faut encore oser dire la
source : les rapports entre la foi au Dieu unique et Sauveur et la
politique au sens général du mot, c'est-à-dire l'organisation de notre
humanité, l'organisation du monde où nous vivons.
On peut lire la parole des prophètes de
manière désincarnée : comme une parole spirituelle totalement dégagée des
luttes humaines de leur temps.
L'ennui, c'est que les hommes qui tenaient
Jérémie dans une citerne pleine de boue n'étaient pas des êtres imaginaires. Le
prophète de Dieu était bel et bien dans des luttes politiques ; et sa
parole était risquée. Tout autant que la nôtre aujourd'hui quand nous prenons
parti d'une manière ou d'une autre à cause de notre foi au Christ. Jérémie
ne "plane pas" au-dessus de son temps. Il ne s'évade pas. Il est
enraciné dans son temps, dans l'histoire de son peuple, dans ses choix
historiques.
Lesquels ? Ils sont relativement simples.
Une fois de plus dans l'histoire du peuple de Dieu, il s'agit de choisir entre
deux politiques : la soumission à Babylone ou l'alliance avec l'Egypte contre
Babylone.
Comme aujourd'hui, des clans, alors, se
forment, se déchirent. Et, malgré lui, Jérémie est sommé de prendre parti. Et
il le fait à sa manière et sans ambiguïté : il faut accepter la suprématie de
Babylone, non pas pour des raisons douteuses, politicardes ou florentines, mais
parce qu'il met dans cette décision toute sa foi au Dieu qui va sauver son
peuple, malgré les apparences.
Et c'est bien cela qui est difficile : faire
la place de Dieu au milieu de nos tensions humaines, que ces tensions
soient à l'intérieur de notre propre cœur ou qu'elles nous agressent de
l'extérieur !
Et, à Jérémie, il arrive naturellement ce
qui doit arriver : il est arrêté, jeté dans une fosse. Et on peut noter que ce
qui lui arrive vient des chefs spirituels qui confondent leur foi et la
"Loi" de Dieu, avec leurs intérêts du moment.
Aujourd'hui encore, combien de prêtres, de
religieux, de religieuses, de chrétiens sont jetés en prison pour avoir osé
dire les droits imprescriptibles de Dieu et de l'homme ! Combien
d'hommes, de femmes sont malmenés pour oser dire la Vérité. Combien de
cœurs sont déchirés parce qu'ils croient au primat de l'Amour, tant il
est vrai que, toujours et partout, l'Amour - le vrai - n'est pas reconnu. "L'"Amour n'est pas aimé",
comme le sait si bien St François au sultan d'Egypte.
Et pourtant, nous avons été avertis : Le
disciple n'est pas au-dessus de son Maître ; ce qu'ils lui ont fait, ils
nous le feront !
Aussi, Jérémie, finalement, n'est pas un
prophète d'avant-hier : c'est, comme on dit, un archétype, une figure du Christ
et, par là, de tout homme qui ose se risquer, au nom de la vérité,
au nom de l'Amour, dans la complexité des débats de l'heure.
Et contre Jérémie, voici les chefs
d'accusation : il démoralise la population en ne répétant pas les
slogans à la mode des pouvoirs et des malins. De la même manière, contre le
Christ et pour obtenir sa condamnation, on dira : "Il soulève le peuple contre César". Toujours les mêmes
motifs : quand on ose dire la vérité, quand on ose appeler torture une torture,
quand on ose appeler "violation des droits de l'homme"
l'emprisonnement arbitraire, la déportation... etc., on risque d'être accusé "de démoraliser le peuple".
Quand on se risque à "aimer comme
Dieu aime", on dérange toujours.
Jérémie ou Jésus sont pourtant des
hommes qui ont fait un choix : non pas celui de leur quiétude, de notre
quiétude ; ils ont choisi, quoi qu'il advienne, le parti de Dieu qui est
"Dieu-Amour".
Alors ils crient ce qu'ils croient. Ils dénoncent
le mal qui sévit partout : la corruption, le mensonge, l'égoïsme. Ainsi,
Jean-Paul II aimait à répéter : Parce que disciples du Christ qui est Vérité,
Amour, "ne permettez à personne de
vous mentir ; ne vous permettez jamais de mentir à personne". Le
Christ ne nous a pas demandé d'être "gentils" à tout prix - c'est
quand même mieux, si c'est possible - ; Il nous a demandé de chercher la Vérité
et l'Amour qu'il est lui-même, chercher la vérité dans l'amour, et l'amour dans
la vérité. Alors, il ne faut pas confondre "gentillesse" et "charité"
!
Cette attitude abrupte, exigeante pour soi,
délivre de tout mensonge et slogan. C'est la foi au Dieu de Jésus Christ qui
juge de toutes les décisions. Jamais la fin ne pourra justifier les moyens.
Seule la conscience éclairée par la foi - cette relation avec Dieu - pourra en
décider. Quel que soit le prix.
Telles furent les attitudes de Jérémie, du
Christ lui-même et de nombre de chrétiens aujourd'hui encore !
Aujourd'hui des hommes, des femmes, des
enfants, en arrivent, comme dit la seconde lecture, à "résister jusqu'au sang" pour témoigner de leur fidélité
à Dieu. Comme Jérémie, comme Jean Baptiste, comme Jésus lui-même.
Et nous ?
Là, il faut se poser une double question :
- nos choix spirituels ont-ils ou
n'ont-ils pas une incidence particulière sur l'histoire en train de s'écrire,
sur notre propre histoire, sur notre vie et celle de ceux qui nous entourent ?
- nos choix politiques (au sens
large et noble du mot) ont-ils ou n'ont-ils pas été éclairés par cette même foi
?
Et aujourd'hui, posons-nous également cette
question : prions-nous pour ceux et celles dont le choix engage jusqu'à leur
existence concrète au nom de la foi au Seigneur Jésus ? Leur vie est parfois
un martyre comme celle de Jérémie ! Prions en ce sens pour notre pays, pour
la France, comme il nous été suggéré de le faire spécialement demain en la fête
de Notre Dame.
Jésus lui-même dit : "Je suis venu apporter plutôt la division que la paix".
Et il insiste presque lourdement : deux contre trois, trois contre deux ; le
père contre le fils… Ce doit être sérieux pour qu'il insiste autant.
C'est qu'en effet l'unanimité n'est pas
de dernier mot qui permette de se décider. Le dernier mot, c'est
la vérité, l'Amour. La Vérité, l'Amour de Dieu. C'est une sorte de
buttoir où viennent cogner nos désirs de paix tranquille. Pour avoir la paix, que
ne ferait-on pas parfois ? On en rabattrait volontiers des droits de la vérité ;
on mentirait même un peu, par omission simplement. Mais Jésus, lui, lutte
contre cette démission intérieure : ce qui est, est. Ou comme il dit lui-même :
"Que votre oui soit oui ; que votre
non soit non".
Et c'est en nous-mêmes que se joue cette
partie serrée entre complaisance et exigence, entre accommodement et vérité, Amour,
quoi qu'il arrive. C'est en nous-mêmes que se joue le combat entre l'esprit
malin et l'Esprit de Jésus. Nous craignons tellement ce que les
autres diront de nous ; ce qu'ils penseront de nous ; et parfois même ce qu'ils
feront de nous.
Un jour, j'ai entendu cette réflexion : "Mon corps, on peut le prendre ; ma vie
on peut en user et en abuser. Mais mon âme, mon esprit seront toujours à
Dieu". Celui-là avait comme Jérémie, comme Jésus, réussi ce combat,
remporté cette victoire d'abord en lui-même : que faut-il être au nom de
la foi, au nom de l'Amour de Dieu ? Quand, à la lumière du Christ, on a pu répondre
à cette question, tout le reste n'est que conséquence. La vie devient toute
claire et devant Dieu et devant les hommes.
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