dimanche 7 août 2016

Veiller ! Espérer !

19ème T.O. 16/C 

Très souvent, il y a, en nous, deux attitudes qui ne font pas toujours très bon ménage, du moins en un premier temps : être en attente et être heureux.

Il est vrai que l'attente rend impatient, nerveux, irritable au point qu’il nous arrive parfois de nous passer de quelque chose plutôt que d'attendre cinq minutes ! Autrement dit, l'attente n’est ni paisible ni heureuse. Au contraire, ce qui fait notre bonheur, c'est, surtout en notre époque, d'arriver au but sans délai, sans obstacle, de mener une affaire rapidement, rondement.

Avec de telles dispositions, on entre difficilement dans l'esprit des lectures qui nous sont proposées aujourd'hui. En effet, dans chacune, on retrouve des traces de cet alliage réussi entre bonheur et attente. Et il est bon pour nous, si souvent impatients, de les méditer !

“Restez en état de service”, affirme l'Évangile. Restez en disponibilité...
comme une infirmière soucieuse de son malade, en alerte d'un malaise possible,
comme un technicien qui toujours surveille en vue d’une panne éventuelle !
Et que sais-je encore ?
“Heureux les serviteurs trouvés en train de veiller !” Quelle drôle de situation de bonheur ! Quand même !

Pourtant, l'auteur du Livre de la Sagesse prête à ses ancêtres des sentiments de joie alors même qu'ils n'ont reçu que des promesses : “assurés des promesses auxquelles ils avaient cru, nos Pères étaient dans la joie”.

Et l'auteur de la lettre aux Hébreux, dans l'éloge de la foi qu'il fait, rappelle que “la foi est la manière de posséder déjà ce qu'on espère”, ce qu’on attend.

Oui, mais allez dire cela à un jeune garçon que croire à sa bicyclette à dix vitesses, c'est déjà la posséder ! Allez dire à un malade atteint d'un cancer généralisé que les promesses du Christ suffisent à sa joie ! On voit bien qu'en plus de nos difficiles problèmes quotidiens qui énervent notre patience quotidienne, il est difficile de vivre heureux dans l'attente et la promesse.

Pourtant, pourtant..., les textes de la Parole de Dieu sont clairs : le chrétien est appelé à vivre en état d'attente, il est invité à la foi, il a reçu la vocation de l'espérance. Et à travers tout cela, le bonheur et la joie lui sont accordés, un peu comme cela se passe quelques fois. On peut quand même citer quelques exemples !
- Avant un pèlerinage, on trouve souvent une grande excitation et une grande joie à préparer l'itinéraire, faire les réservations, écouter les amis qui racontent leurs découvertes.
Oui, le chrétien sait qu'il est un voyageur, et déjà il met sa joie à se mettre en route.
- Avant une réunion de famille, pendant qu'on fait les préparatifs, on a le temps de penser à tous ceux qui vont nous rejoindre. Par la pensée, on prend le temps de s'arrêter à chacun des invités. Et déjà, la joie remplit le cœur.
Oui, le chrétien sait qu'il est l'hôte du Seigneur, et il met sa fierté à bien l'accueillir.
- Et bien d’autres exemples pourraient être présentés comme celui de l’attente joyeuse d’une naissance

Oui, le parcours de tout chrétien, un jour ou l’autre, est marqué par l'expérience d’une attente, d'un manque, d'une frustration ; et une frustration qui peut se tourner en joie ou en souffrance tentatrice.

Une telle frustration n'arrive que rarement dans les débuts d’une découverte du Seigneur. Au contraire, au commencement dominent la joie, la consolation intérieure, l'impression heureuse d'avoir enfin trouvé le Seigneur. Surtout si, à un moment de notre vie, une grâce de conversion nous a été faite, ou encore si la première rencontre avec le Seigneur fut éblouissante, bouleversante. Ou encore dans le sentiment très fort d’une présence divine à telle ou telle occasion.
Dans ces cas, le choc est profond, et notre vie semble basculer dans un océan de bonheur.

La frustration... - car le démon est toujours là, lui, en attente, lui aussi -, ... la frustration n’apparaît qu'au bout d'un certain temps. Au fur et à mesure des jours, des semaines, des années, l'événement radieux de la découverte du Seigneur s'estompe. Bientôt, ce n’est plus qu'un souvenir, un doux souvenir certes ; mais nous n'arrivons plus, comme on dit, à en ressentir quoi que ce soit.

Pendant un temps, ce simple souvenir suffira à nous contenter. Mais bientôt, un autre sentiment s'installe dans notre cœur, avant même que nous soyons capables de nous l'avouer.
Au fond, nous sommes quelque peu déçus, frustrés, et d'autant plus douloureusement, que nous sommes des “déçus de Dieu” ! Comment est-ce possible ? Tout semblait s'annoncer si différemment. Nous avancions à pas de géant, nous courions, nous volions à la rencontre du Seigneur. Et maintenant, alors que nous nous pensions si près de lui, le voilà qui semble s'évanouir. Comment avons-nous pu nous étourdir à ce point ?

Précisément, l'évangile nous parle de cette déception, et comment elle fait nécessairement partie de l'expérience du croyant. Jésus nous avait séduits aussi longtemps que nous le sentions près de nous. Mais le voilà parti comme pour un long voyage... Et personne ne sait au juste quand il reviendra. Ni ses représentants parmi nous, ni les Écritures qu'il nous a laissées. Au début, on ne cesse de l'attendre, mais à la longue, nos espoirs faiblissent. Et puis, de Jésus, d’ailleurs, on ne parle plus guère autour de nous, et encore moins de la divine surprise de son possible retour. Reviendra-t-il vraiment, demandent certains ? Et si le doux souvenir que j'ai gardé de la première rencontre avec lui n'était finalement que pure illusion, comme certaines voix me le susurrent insidieusement ?

C'est alors que la frustration éprouvée risque de tourner en vraie tentation. Certes, on ne peut oublier Jésus. Mais il y a des tentations plus subtiles, plus insidieuses. Se distraire... - cette "distraction" dont parle facilement le prophète Isaïe, et, chez nous, notre grand Pascal -. Se distraire, faire passer le temps, agiter mille choses, s'accrocher au premier venu, et essayer désespérément de combler ainsi le vide que Jésus, momentanément disparu, a laissé se creuser en moi… Voilà bien la tentation du démon, de sorte..., de sorte que je me retrouverai stupidement ailleurs, à l'heure où le Seigneur reviendra, et qui sera aussi l'heure - Jésus vient de nous en avertir - où je n'y penserai pas. Cette tentation-là nous guette tous.

Aussi, l’évangile nous rappelle cette béatitude première : “Heureux les serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller”. Seul le véritable amour persévère ainsi, au-delà de la déception, au-delà de tout sentiment, amour blotti au plus profond d'un cœur que le retour à peine différé de celui qu'il aime ne désespère pas, mais ne cesse de creuser comme une joie indicible.

Cette ambivalence : joie certaine de la rencontre prochaine de Dieu au-delà de la déception de ne pas sentir sa présence actuelle, surtout au moment des difficultés, l’Eucharistie nous la fait vivre dans la foi.
L’Eucharistie nous initie, nous invite à la joie, à l’action de grâce pour la présence invisible du Seigneur sous les apparences du pain et du vin ;
et, en même temps, elle nous projette vers le futur, vers le retour certain du Seigneur… : “jusqu’à ce qu’il revienne” !
Oui, l’Eucharistie dominicale est un rappel à être “en état de service” pour prendre ensemble le pain du Seigneur, le pain de sa Parole, le pain de son Corps, le pain du partage fraternel. C’est ce partage qui, au-delà de notre “soif de Dieu”, de sa rencontre définitive, nous fait vivre dans une attente joyeuse. Aussi nous est-il dit avec justesse : “heureux les invités au repas du Seigneur” !

Et pour terminer, je vous transmettrai un seul mot que St Paul a forgé pour décrire l'homme en attente, l'homme d'espérance.
Il parle d'apo-kara-dokia (Cf. Rom 8.19 - Phil 1.20) : Ce mot veut évoquer l'homme d'espérance qui est comme un guetteur, observant attentivement et se tenant prêt pour le moment favorable.
Il dresse la tête (kara) pour épier (dokia - dokein) et tâcher de découvrir au loin (apo) ce à quoi il s'attend.
Apokaradokia ! Se redresser de tout son être pour essayer de mieux voir Celui qui va venir !
Ayons, chacun et tous ensemble, cette attitude : se dresser pour apercevoir au loin le Seigneur qui vient !

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