17e Dimanche du T.O.
18/B
Nourrir
cinq mille personnes, sans compter les femmes et les enfants, avec cinq pains
et deux poissons, et cela dans un désert, c'est véritablement un exploit ! De
quoi faire chanceler les statistiques et renoncer à toute prospective
économique !
Les quatre évangélistes ont été fascinés par ce
miracle de la "multiplication des pains", le seul qu'ils ont tous
raconté. Les commentaires et les diverses œuvres d'art de tous les siècles ont
souvent braqué les projecteurs sur les corbeilles pleines, voire sur les restes
! Et c'est aussi, très souvent, notre réaction : regarder le merveilleux du
geste très humain de Notre Seigneur, hier et aujourd'hui encore !
Pourtant,
les évangélistes, et particulièrement Jean, dirigent l'attention sur Jésus. Ce
Jésus, qui est-il ? Ne vient-il pas de renouveler le miracle de la manne
pour un peuple affamé ? Alors comment ne serait-il pas pour ces foules
d'admirateurs "le prophète qui doit
venir dans le monde" ? Mais quel prophète ? Qu'attendent-elles de lui,
ces foules enthousiastes ? Du pain ? Oui, sans doute, mais quoi encore ? Et
nous-mêmes ?
A l'époque de Jésus, la Palestine était
troublée - le monde n'a guère changé ! -. Les partis s'affrontaient âprement.
Des opérations de résistance étaient menées contre l'occupant romain ; elles se
terminaient assez souvent dans le sang de la répression. Si certains
nourrissaient à l'égard de Jésus des intentions malveillantes, d'autres au
contraire essayaient de l'attirer à eux, de l'accaparer, de le récupérer
au profit de leurs idées, de leur cause et de leur parti !
Le
peuple - le plus grand nombre -, lui, suivait, toujours attentif à l'immédiat -
au pain partagé - plus qu'au sens profond de l'événement et du message.
Et
nous-mêmes, ne cherchons-nous pas à "récupérer" Jésus pour qu'il
soit caution de ce que nous pensons, de ce que nous faisons, de nos
projets d'avenir ?
Pourtant, les deux phrases qui encadrent le
récit - la première et la dernière - sont déconcertantes, mais fortement
significatives.
-
Jésus fait des miracles ; il guérit des malades..., surtout. C'est le succès. La
foule le suit... , admirative. Et cependant voilà Jésus qui se met à
l'écart. "Il s'en alla de l'autre côté de la mer de Galilée".
-
On le rejoint ; et là-bas, Jésus pose un autre signe encore : il multiplie les
poissons et les pains. Et la foule veut le faire roi. Mais l'évangéliste
note : "Il s'enfuit de
nouveau dans la montagne, seul".
Jésus
s'en va pour ne pas être rattrapé, saisi et "récupéré". Il
veut être toujours devant. Il veut qu'on le cherche, qu'on le recherche sans
cesse. Le verbe "chercher" est un mot clé de ce chapitre de Jean (ch. 6) et de toute la Bible d'ailleurs !
Jésus
renoncerait à lui-même, à ce qu'il est - "l'Envoyé du Père" -, s'il
ne provoquait pas à le chercher. Le fait de s'éloigner de la foule en dit sans
doute plus sur lui que la multiplication des pains. Ou plutôt, les deux parlent
en même temps : il dit "qui il est" à la fois
-
homme lui-même et très proche des hommes, répondant à leurs besoins
spirituels et corporels...
-
et, en même temps, très éloigné d'eux, par la distance qu'il y a entre
les hommes et lui-même, "Fils de Dieu, l'Envoyé du Père" !
La
recherche de Jésus fait aller au-delà des désirs immédiats et faciles qu'on se donne. Cette
"recherche" - la quête de Dieu", disaient les Anciens - engage
largement vers un "au delà" de ce qui est perçu !
C'est à chacun de nous de réfléchir à sa
"recherche du Seigneur" Sous des formes très variées, certains
"Mouvements spirituels", certains chrétiens engagés politiquement,
socialement ou que sais-je encore..., et d'autres... tentent de se saisir de
Jésus. "Jésus est là dans mon groupe de prière, dans mon action
politique..., sociale et dans ce que je
pense, je vis". C'est vite dit ! Oui, c'est vrai : le Christ est là !
Toujours présent ! Mais chacun de nous ne court-il pas le risque de faire de
Jésus "son Jésus à soi", de le ramener à sa petite mesure à
soi ? Un risque que tout croyant ne peut pas ne pas courir !
Le
pape François, dans sa belle lettre "Appel à la sainteté" nomme cette
déviance facile et fréquente : "le gnosticisme" ! "Le gnosticisme, dit-il, est une foi renfermée dans le subjectivisme
(en son "moi") où seule compte
une expérience déterminée..". Comme je dis facilement : "Chacun se fait sa religion, à
soi !". Et l'on oublie l'essentiel, précise le pape :
l'Incarnation..., le mystère pascal... le Christ ressuscité dont le Corps
plénier est l'Eglise. Or, c'est justement l'enseignement de l'Eglise qui
est notre sauvegarde. Notre Seigneur n'a-t-il pas dit à Pierre : "J'ai prié pour toi, afin que ta foi ne
défaille pas..." (Lc
22.32).
Comment
reconnaître vraiment Jésus si, en même temps, on ne voit pas qu'il est "au-delà"
des représentations, des prétentions et des attentes souvent trop sensibles,
humaines et qui, de plus, sont souvent très différentes, ce qui engendre parfois
des divisions plus ou moins profondes. En s'éloignant, Jésus invite à aller
au-delà des signes qu'il a fait lui-même, à sortir de nous-mêmes. Le Christ est
à la fois immédiat et lointain. Il est homme et Dieu ! Ne
l'oublions pas !
Oui,
il faut reconnaître le Christ présent, là, parmi nous, en nous, mais en sachant
combien il faut sans cesse le rechercher là-bas "au-delà", toujours
plus loin.
Oui,
en s'écartant de la foule, Jésus nous propose un équilibre qui n'est pas
toujours confortable. Je prendrais facilement une comparaison à l'actualité :
l'image de l'équilibre du cycliste du tour de France : celui-ci n'est bien assuré
sur son vélo que s'il avance en pédalant et en regardant "au-delà". Le
chrétien n'est bien avec Jésus-homme que s'il avance vers un
"au-delà", vers Jésus-Dieu !
Le
chrétien, aujourd'hui particulièrement, ne tient en équilibre que s'il est
toujours en recherche, car Jésus est toujours devant !
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