dimanche 7 juillet 2019

Règne de Dieu déjà la !


14e dimanche ordinaire 19/C            

De la page que nous lisons en ce dimanche nous risquons peut-être de ne retenir que la phrase concernant l'abondance de la moisson et le petit nombre des ouvriers, comme une invitation à prier pour les vocations sacerdotales !
C'est très louable et à encourager ! C'est certain !

Mais c'est pourtant de tout autre chose qu'il est question pour St Luc qui est le seul à nous rapporter la mission des soixante-douze messagers complètement ignorée des autres évangélistes.
Et il faut noter aussi que Luc présente cet épisode au début de la montée de Jésus vers Jérusalem, de la montée vers la réalisation du mystère pascal de mort à Vie ! (Quand Luc écrit, ce mystère est accompli !)
             
Un tel contexte et un certain nombre de détails nous permettent de deviner davantage le message de St Luc.

Et d'abord le nombre des envoyés : soixante-douze ! C'était, dans la tradition juive le nombre des peuples répartis à la surface de la terre (cf. Gn 10; Dt 32/8-9). Alors que le chiffre douze, régulièrement lié au groupe des apôtres, évoquait seulement les tribus d'Israël, l'envoi de soixante-douze messagers ouvre une perspective sur la totalité des nations.

D'ailleurs, lorsque Jésus prend le chemin de Jérusalem, nous sommes en Samarie (cf. 9/52), un pays auquel St Luc s'intéresse beaucoup dans son premier livre (Evangile), parce que dans le second (Actes des Apôtres) il nous racontera comment c'est là que débuta l'évangélisation du monde (Ac 1/8; 8/5-25) – avec les apôtres (Pierre) ; avec les diacres (Philippe) -.

De toute évidence, c'est à l'universalisme de la mission chrétienne après Pâques que notre évangéliste pense en rédigeant cette page. 
Première question que pose St Luc : Quel est notre ouverture réelle à l'évangélisation du monde entier ? Est-ce notre préoccupation ?

Jésus les envoie deux par deux ! Sans doute cet envoi deux par deux était-il justifié par le nombre de témoins qu'exigeait la Loi (Dt 19/15), mais ce sera aussi la pratique courante des missionnaires chrétiens : - Barnabé et Paul, - Barnabé et Marc, - Paul et Silas... Nul n'est chrétien, nul n'est témoin, missionnaire, tout seul ! C'est à souligner, cela !

Et si Jésus les envoie devant sa face,  n'allons pas croire que ce soit pour lui préparer le gîte ("un point de chute", comme on dit). C'est à la venue  finale du Seigneur  (il lui donne ici ce titre) que Luc veut nous faire penser ; c'est au monde entier que sont envoyés les messagers du Christ, jusqu'au jour où lui-même viendra dans sa gloire.  
Quelle est la perspective de notre action apostolique ? Pensons-nous suffisamment au règne de Dieu qui vient… C'est déjà actuel, souligne St Kuc !

La même perspective de fin des temps est évoquée encore par le thème de la moisson, image classique dans la Bible pour désigner le rassemblement des hommes en vue du jugement dernier (Jl 4/13; Mt 13/39).
La nouveauté est qu'ici les moissonneurs ne sont plus la foule des anges, mais un petit nombre d'ouvriers terrestres,
(les 72 ! Le jugement   final est déjà actuel parce que le Règne de Dieu est déjà actuel) ;
C'est ce que doivent annoncer les 72, éparpillés dans un vaste monde qui leur sera souvent hostile, "agneaux au milieu des loups", mais à qui Jésus déclare aussi : "Priez" !  C'est le moyen de leur action.

On sait l'importance de la prière dans la pensée de St Luc, comme de son ami St Paul ; il sert ici à rappeler - certitude rassurante - que l'initiative de la mission appartient à Celui qui est "le Maître de la Moisson".   
La prière (c'est-à-dire notre relation avec Dieu  qui doit coïncider avec notre élan missionnaire)  est-elle vraiment liée à notre action, en vue du Règne de Dieu… actuel ?

 Les exigences de cet envoi sont ensuite précisées : il s'agit de renoncer aux moyens et assurances de ce monde.
C'est ce qu'expriment les images excluant bourse, sac ou sandales, qui ne sont évidemment pas à prendre à la lettre, mais images qui veulent définir une attitude intérieure de détachement dont l'apôtre devra inventer la traduction concrète en chaque situation particulière. C'est ainsi qu'il sera libre de toute entrave pour accomplir sa tâche et qu'il pourra-t également témoigner contre les fausses valeurs et les vaines sécurités qui aliènent si facilement l'homme.
             
Dans le même sens va l'interdiction de saluer les gens en chemin : quand on pense aux interminables "salamalecs" orientaux, on comprend qu'il s'agit d'exprimer, là, l'urgence de la mission ; mais peut-être aussi l'absence d'attaches personnelles qui retiendraient le messager dans sa course.
C'est une très longue réflexion qu'ouvre ici St Luc, réflexion qui sera menée tout au long des siècles et qui aboutira au célibat des prêtres en Occident et au vœu de chasteté des religieux.

Dans toute maison, dites "Paix !" - "Paix" (shalom), c'est bien sûr le "bonjour" hébraïque ; mais c'est aussi et beaucoup plus : un souhait d'une plénitude de vie et d'harmonie entre les hommes qu'on ne peut attendre que de Dieu, et qui, selon la foi chrétienne, est le don du Christ ressuscité (Lc 24,/36), - "Je vous laisse la paix , je vous donne MA paix", avait dit Jésus ressuscité !   . (Ce doit être le sens du "signe de la paix", lors de toute Eucharistie). La tâche du missionnaire, c'est d'annoncer le Christ dont on peut dire avec St Paul: "C'est lui qui est notre paix"  (Ep 2/14), notre plénitude de vie.

Et dites aux gens :"Le Règne de Dieu est arrivé jusqu'à vous".
C'est le message de Jésus lui-même et, comme leur Maître, les disciples devront non seulement l'annoncer mais en donner des signes concrets dans des gestes de guérison, de restauration de l'homme : "Si c'est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, disait Jésus, alors le Règne de Dieu vient de vous atteindre" (11/20).  

Mais, comme leur Seigneur encore, les apôtres doivent être prêts à rencontrer l'opposition et l'échec ; de même que Jésus fut signe contesté ainsi que l'avait annoncé le vieillard Syméon, de même le reste-t-il en la personne de ses envoyés.

En quelques lignes, Luc trace à notre intention le portrait du chrétien, et du chrétien obligatoirement missionnaire puisqu'il fait partie des soixante-douze envoyés dans le monde entier.

Autant que les apôtres eux-mêmes, il doit annoncer, lui aussi, la venue du Règne de Dieu, la venue du Christ. Il doit l'annoncer par une vie de prière qui unit fortement au Seigneur et par un certain détachement des moyens purement humains.

C'est ainsi qu'il sera signe d'une plénitude de vie que seul le Christ peut donner.
Ce trésor de la vie divine, nous le portons en nous-mêmes ; mais, à cause de notre faiblesse, dira St Paul, nous le portons comme dans des vases d'argile afin que cette incomparable puissance soit de Dieu et non de nous" (2 Co 4, 7).

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