lundi 15 juillet 2019

De Jérusalem à Jéricho !


15e Dimanche du T.O. 92/C

DE JÉRUSALEM A JÉRICHO ! Faire 35 kilomètres ! De 800 mètres d'altitude, jusqu'à 250 mètres au-dessous du niveau de la mer ! Vous passez ainsi de Jérusalem à Jéricho, une des villes les plus basses du monde.

Imaginons ! Jésus fait cette route aujourd'hui.
Il n'emprunte pas le sentier d'autrefois qui serpentait entre les dômes des monts du désert de Juda. Il prend comme tout le monde la route goudronnée, ruban noir qui se déroule dans ce désert fascinant et secret.

Il laisse derrière lui Jérusalem, fièrement campée sur les hauteurs derrière ses murs, et aussi Béthanie discrète et tendre. Il va vers Jéricho qui étale les charmes de ses bougainvillés rouges et violets. Tout à coup, il s'arrête devant une chicane : ici on fouille parfois les véhicules, on vérifie les identités. A un détour, il découvre un campement militaire : tentes et camions hérissés d'antennes. Plus loin, quelques tentes brunes de nomades semblent sommeiller paisiblement sous le soleil.

Il fait halte au lieu que l'imagination religieuse ou le sens commercial a baptisé "Auberge du Bon Samaritain". Là, des cars de pèlerins stationnent. Il entend lire sa parabole en allemand, en anglais, en français... Comme à la Pentecôte, chacun comprend le même message d'amour, dans sa propre langue.

Il écoute... Deux mille ans après, on lit encore la parabole : "Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho". Pendant deux millénaires, on l'a lue et relue. Les poètes en ont fait des poèmes et les peintres des tableaux. Mais, se demanderait Jésus, "qu'ont-ils fait de ma parabole" ? 

Certains se sont contentés de la répéter dans les églises, dans les patronages, dans les feux de camp ou autres scénettes.

D'autres l'ont prise, comprise. Ils ont compris ce tableau imagé de ma mission : "Le Samaritain, dirait Jésus, c'est moi-même, Dieu qui va vers l'homme. L'homme laissé à moitié mort par les brigands, c'est l'humanité, c'est chacun de vous, gisant terrassé par le mal ; et l'hôtellerie, c'est mon Eglise fondée sur Pierre et mes apôtres, dans laquelle je voudrais tant retrouver tous mes frères humains".

Et là, à nouveau, Jésus serait "saisi de pitié" pour tous les hommes, pour vous, pour moi. Et ce verbe qui évoque en grec les entrailles (il faudrait traduire : "pris aux entrailles") ne se rencontre jamais dans le Nouveau Testament que pour désigner les sentiments de Jésus ou d'un personnage qui représente le point de vue de Dieu ; en employant ce mot pour parler de la pitié de Jésus devant la foule en détresse ou affamée, devant les malades, les infirmes ou les affligés, les évangélistes ont voulu rappeler les textes de l'Ancien Testament qui dépeignaient la tendresse de Dieu pour les siens sous l'image des entrailles maternelles. Les sentiments de cet homme Jésus sont traduction pour nous des attitudes de Dieu lui-même : "Il est l'Image du Dieu invisible".

Oui, Jésus, Dieu fait homme est toujours pris de pitié pour tous les hommes. Et comme il voudrait nous transmettre ce sentiment qui l'a fait proche de chacun d'entre nous.

Et l'on pourrait imaginer Jésus sur cette route du Jéricho de notre temps, se mêler à la foule et prendre la parole : "Oui, comme François d'Assise, Vincent de Paul, Mère Teresa et Dom Helder Camara, qui ont écrit cette parabole avec le sang qui battait dans leurs veines, comme eux, écrivez-la encore. Écrivez-la dans l'histoire d'aujourd'hui. Réinventez-la en respectant l'esprit dans lequel elle fut racontée. Surtout en vous mettant à l'écoute de l'Esprit.

Les blessés sur le bord du chemin, qui sont-ils ? Qui sont-ils, ceux qui restent sur les bas-côtés de la route du progrès, de la croissance ? Marginalisés, exclus, gens du tiers et du quart et… du sixième monde, c'est ainsi que vous les appelez. Et ceux qui passent sans voir, pour goûter aux plaisirs, pour admirer les paysages et les monuments, pour apprécier le folklore, qui sont-ils ? "

A ces paroles de Jésus, peut-être que les pèlerins de toutes les langues, de toutes les races se sont regardés. Les fronts se sont penchés. Et les têtes se sont remplies de pensées et d'images : camions militaires, tentes de nomades, prisonniers, pauvres. Et le visage du voisin, et celui de l'étranger, et celui de la bonne vieille qui est morte seule. Et les visages des exclus, des vieillards isolés, des gens du tiers, du quart, du… sixième monde. La tête pleine de tous ces gens-là.  "Sont-ils mes proches ?".

De Jérusalem à Jéricho, route des égoïsmes et de l'amour.
Si les hommes, et les chrétiens d'abord, s'arrêtaient quelques instants sur toutes les routes et dans toutes les rues, sur tous les chemins et dans tous les sentiers pour relire la parabole afin de la ré-écrire ! Sur toutes les routes, celles des vacances et des voyages d'affaires, celles de la politique et de la diplomatie, celles du progrès et de la croissance ! Toutes les routes, alors, deviendraient les routes de tout le monde, sans personne sur les bas-côtés.

Il n'y aurait plus qu'une route aux innombrables ramifications. La route de l'Amour. De Jérusalem à Jéricho. De Jéricho à la Jérusalem céleste



P.S.
La parabole du Bon Samaritain !  Est-ce que Jésus a inventé cette parabole ? Ce n'est pas certain. Du moins en sa totalité !
La BdJ renvoie à un récit du 2e livre des Chroniques (28,9sv)  que Jésus connaissait !

C’est au temps du roi Achaz,
Les gens du Royaume du Nord font une expédition au sud. Ils ramènent butin et prisonniers… !
Et un prophète, qui s’appelle Oded, le leur reproche vivement. Ils sont très impressionnés… ; et l’armée abandonna les prisonniers et le butin, en présence des officiers et de toute l’assemblée.
"Des hommes, qui avaient été désignés, se mirent à réconforter les prisonniers.
Prélevant sur le butin, ils habillèrent ceux qui étaient nus ; ils les vêtirent, les chaussèrent, les nourrirent, les désaltérèrent, les abritèrent.
Puis ils les reconduisirent - les éclopés montés sur des ânes - les amenèrent auprès de leurs frères à Jéricho, la ville des palmiers. Puis ils rentrèrent à Samarie".

Le récit de Luc s’inscrit donc dans ce cadre.
Les Samaritains étaient les "derniers des derniers", en ce temps-là. On ne frayait pas avec eux.
On est très étonné de voir Jésus parler avec une femme, une femme samaritaine ; elle-même est la première à s’en étonner. 

Sur ce point, Jésus marque une désinvolture formidable ; il a une personnalité d’une consistance extraordinaire par rapport aux préjugés de son temps.
On voit un homme libre qui a des amis partout.
Un  homme libre qui s’adresse au cœur, au "nom propre" de chaque homme et femme qu’il rencontre et
qui est "à l’image et ressemblance de Dieu",
qui est dans le cœur de Dieu.
 Il faudrait essayer de vivre cela chrétiennement…

Voyez comment Jésus retourne la question posée. 
On lui demande : "Qui est mon prochain ?"...
Et il répond : "Lequel s’est montré proche ?"...  Ce n'est à l'autre de se montrer proche de moi… C’est à moi, à nous de nous montrer proches, prochains de l’autre ! …de  "l'homme tombé aux mains des brigands ?"

Je crois que dans la tradition juive, on trouverait des rabbins qui raisonnent comme Jésus, formidablement.
Un païen s’adressait un jour à Hillel
1er siècle. Il est le fondateur, d'après le Talmud, de l'une des deux grandes écoles d'interprétation rabbinique de la Torah,
Il lui dit pour se moquer de lui : "Résume-moi un peu toute la Loi pendant le temps où tu es capable de te tenir sur une seule jambe". Alors il a dit : "Ne fais pas à ton prochain ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse !".

Mais je crois qu’on pourrait aller beaucoup plus loin dans le sens positif : faire aux autres ce qu’on voudrait qu’on nous fasse.

Et je crois surtout que la nouveauté du Nouveau Testament, du nouveau commandement n’est pas là. Même pour le prochain, on trouverait des Juifs et même des "païens" à l’esprit très large, qui considèrent aussi les étrangers comme des prochains ; le problème n’est pas là !

Le commandement nouveau qui est annoncé dans le N.T., c’est "aimer comme Dieu nous a aimés".
Alors là ! Cela suppose
qu’on contemple le cœur du Christ ouvert sur la croix,
qu’on médite le mystère de la Sainte Trinité où les Personnes n’existent que comme relations subsistantes (St Thomas d’Aquin, Summe theologique  Ia, q. 29 ss)
et que tout égoïsme soit comme exorcisé, supprimé. 

C’est toute la nouveauté du N.T., qu’on estompe facilement.
Le commandement nouveau, c’est : "aimez-vous comme je vous ai aimés". Alors, à ce moment-là, on puise en Dieu la force d’aimer même ses ennemis… ; et on ne la trouve pas ailleurs !
La vie est beauté, admire-la !

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