31e dimanche
ordinaire 16/C
On la connaît bien, cette plaisante histoire de
Zachée : le petit homme juché sur son sycomore ; le voleur repenti qui fait
restitution. Mais au-delà de ces images pittoresques, qu'a voulu nous signifier
St Luc ?
« JÉSUS TRAVERSAIT LA VILLE DE JERICHO »
Jésus traverse Jéricho, car il est en marche vers
Jérusalem, c'est-à-dire vers l'accomplissement de son mystère pascal de mort
et de vie.
Pour Luc, surtout depuis le Transfiguration, toutes
les actions, toutes les paroles, toute la vie de Jésus ne sont déterminées que par
cet accomplissement de son mystère pascal. Aussi ne cesse-t-il pas de souligner
la marche déterminée de Jésus vers Jérusalem, lieu de cet accomplissement.
Or il vient de rappeler la forte incompréhension
des disciples à l'annonce de la mort tragique de Jésus, premier
"volet", si je puis dire, de ce mystère pascal (18, 31sv).
- C'est alors que Jésus guérit, à l'entrée de
Jéricho, un aveugle : il semble dire à ses apôtres et à nous-mêmes : ne
faut-il pas être délivré d'une cécité spirituelle pour entrer, avec lui, en son
mystère pascal ?
- C'est alors que Jésus s'adresse, en cette même
ville, à Zachée jugé sur son arbre pour "voir Jésus" : "Descends vite…", lui dit
Jésus : Ne faut-il pas descendre de nos suffisances humaines pour recevoir
humblement Jésus et entrer, avec lui, en son mystère pascal ?
On dirait que Luc a voulu écrire en parallèle
l'histoire de cet aveugle et celle de Zachée, comme réponse à l'incompréhension
des apôtres et donc à la nôtre ! Celui
qu'on croyait aveugle était en fait le seul à voir clair, puisqu'il
reconnaissait le "Fils de
David", le Messie, le Christ pascal (18,
38‑39) ; - Celui qu'on jugeait
pécheur est déclaré "fils
d'Abraham" puisqu'il accueille Jésus-Sauveur en sa demeure. (19, 5‑9).
C'est comme un renversement de situation.
Seul l'aveugle voit. Seul le riche accueille le salut, alors que Jésus venait
d'affirmer précisément : "il est
plus facile pour un chameau de passer par un trou d'aiguille qu'à un riche
d'entrer dans le Royaume de Dieu".
Cependant il avait tout aussitôt ajouté : "Ce qui est impossible aux hommes est
possible à Dieu" (18,27). Réflexion
qui traverse toute la Bible depuis qu'elle fut adressée à Sara qui doutait de
pouvoir enfanter : "Y a-t-il rien de trop merveilleux pour Dieu ?", lui est-il dit (Gen 18.14).
Réflexion adressée à Marie elle-même à qui l'ange de l'Annonciation lui révèle
que sa cousine Elisabeth, alors âgée, va enfanter, car, lui dit-il : "rien n'est
impossible à Dieu." (Lc 1.37).
Voilà la clef de tout retournement, de tout
renversement. C'est de Dieu seul que vient cette possibilité
invraisemblable aux yeux de l'homme, c'est de Dieu seul que vient le salut de
l'homme !
« AUJOURD'HUI IL FAUT... »
Et le récit de Luc ne cesse de souligner cette initiative
divine dans le comportement de Jésus. C'est une mauvaise habitude de lecture de
considérer d'abord et davantage l'attitude amusante de Zachée juché sur son
arbre que celle de Jésus.
Oh! certes, notre homme se met en peine pour
compenser sa petite taille et pour "voir
Jésus" ! Mais cette curiosité à "voir Jésus" est-elle toujours
signe de conversion ? Ce n'est pas certain. St Luc notera encore la curiosité
d'Hérode à "voir Jésus". Et c'était une curiosité malsaine : il
espérait voir Jésus faire un miracle.
L'important pour Zachée, comme pour chacun d'entre
nous, c'est bien l'attitude de Jésus qui passe en sa ville, près de lui, qui
passe près de nous et qui nous dit comme à Zachée, avec un mélange de simple
familiarité et de solennelle autorité : "Descends
vite, aujourd'hui, il faut que j'aille demeurer chez toi…"
Plus que l'attitude de Zachée, St Luc souligne
celle de Jésus qui vient sauver l'homme pécheur. Plus que notre propre attitude
manifestée par notre démarche dominicale, plus que notre propre curiosité, il
nous importe de discerner l'attitude de Jésus qui dit à chacun d'entre nous : "Aujourd'hui, il faut que
j'aille chez toi" !
"Aujourd'hui"… Jésus nous redit :
"aujourd'hui, en ce lieu de mon Eucharistie, il faut que j'aille demeurer
chez toi". -
"Aujourd'hui". Ce mot se rencontre
souvent chez St Luc pour annoncer la présence du salut de Dieu offert en la
personne de Jésus :
- Ainsi les anges, à Noël, proclament : "Aujourd'hui, il vous est né un
Sauveur". (2,11) ;
- A son compagnon de supplice le Crucifié déclarera
: "Aujourd'hui tu seras avec
moi dans le paradis" (23,43).
- Et une fois accueilli, Jésus déclarera à Zachée :
"Aujourd'hui le salut est
venu pour cette maison" (v/9)
Puissions-nous entendre avec l'oreille du cœur
cette demande du Seigneur : "Aujourd'hui,
il faut que j'aille chez toi". "Aujourd'hui,
ne fermons pas notre cœur..." (Ps 94).
Et si nous acquiesçons à cette demande, nous entendrons : "aujourd'hui,
le salut est en toi"!
Quant à l'expression "il faut", elle sert à désigner l'accomplissement d'un
mystérieux vouloir divin qui doit se réaliser par la mort et la résurrection du
Christ (cf. 9,22, 17,25; 22,37).
Quand Jésus vient, si on l'accueille aujourd'hui,
il vient toujours en son mystère pascal de mort et de vie, mystère que nous
rappelle l'Eucharistie. Aujourd'hui, il faut que j'aille chez toi, en mon
mystère pascal. Nous sommes donc avertis : ce n'est pas pour la commodité du
voyage que Jésus demeure chez Zachée, chez nous, mais pour que déjà soit donné
là, chez Zachée et chez nous, un signe de l'œuvre pour laquelle le Sauveur est
en route vers Jérusalem : le salut du monde réalisé en son mystère pascal.
Et si Luc note que Zachée reçoit Jésus avec joie,
c'est que cette allégresse est à ses yeux signe du salut de Dieu : il le
souligne depuis l'annonce aux bergers (2,10)
jusqu'à la manifestation du Ressuscité (24, 41
52). Et nous aussi, si nous accueillons le Christ pascal chez nous, le
signe de sa présence en nous sera la joie !
«LE FILS DE
L'HOMME EST VENU... »
Et la conclusion du récit (v.10) souligne bien encore l'initiative de Jésus qu'il nous faut
remarquer tout au long du récit : il est celui qui "est venu chercher et sauver ce qui était perdu".
N'avait-il pas dit déjà en la maison de Matthieu, le publicain : "Je suis venu appeler non pas les
justes, mais les pécheurs" (5,32) ;
et c'est aussi le refrain qui scande les paraboles de la miséricorde dans
lesquelles il s'agit toujours de chercher et trouver ce qui était perdu (15,6.9.24.32).
Mais ici ce rôle est attribué au "Fils de l'homme" : on sait
que ce titre désignait un mystérieux personnage d'origine céleste qui devait
venir à la fin des temps pour exercer le jugement dernier. C'est Jésus qui est ce
"Fils de l'homme" dont la présence opère dès maintenant un jugement.
Et comment Jésus rend-il ce jugement ? Il ne condamne pas, il annonce aux
pécheurs leur pardon ; ce sont les Pharisiens et les scribes qui risquent,
s'ils s'enferment en leur refus hautain, de se juger et de se condamner eux-mêmes
(cf. 2,34; 7,29). Autrement dit, c'est
toujours l'homme qui se condamne. Dieu, en Jésus, vient sauver : "Aujourd'hui…" !
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