14e dimanche
ordinaire 19/C
De
la page que nous lisons en ce dimanche nous risquons peut-être de ne retenir
que la
phrase concernant l'abondance de la moisson et le petit nombre des ouvriers, comme une
invitation à prier pour les vocations
sacerdotales !
C'est
très louable et à encourager ! C'est certain !
Mais
c'est pourtant de tout autre chose qu'il est question pour St Luc qui est le seul
à nous rapporter la mission des soixante-douze messagers complètement
ignorée des autres évangélistes.
Et
il faut noter aussi que Luc présente cet épisode au début de la montée de Jésus
vers Jérusalem, de la montée vers la réalisation du mystère pascal de mort à
Vie ! (Quand Luc écrit, ce mystère est accompli !)
Un
tel contexte et un certain nombre de détails nous permettent de deviner davantage le message de
St Luc.
Et
d'abord le nombre des envoyés : soixante-douze ! C'était, dans la
tradition juive le nombre des peuples répartis à la surface de la terre (cf. Gn 10; Dt
32/8-9). Alors que le
chiffre douze, régulièrement lié au groupe des apôtres, évoquait seulement les
tribus d'Israël, l'envoi de soixante-douze messagers ouvre une perspective sur la
totalité des nations.
D'ailleurs,
lorsque Jésus prend le chemin de Jérusalem, nous sommes en Samarie (cf. 9/52), un pays auquel St Luc s'intéresse
beaucoup dans son premier livre (Evangile), parce que dans le second (Actes des Apôtres) il nous racontera comment c'est là
que débuta l'évangélisation du monde (Ac 1/8; 8/5-25) – avec les apôtres
(Pierre) ; avec les diacres (Philippe) -.
De
toute évidence, c'est à l'universalisme de la mission chrétienne après
Pâques que notre évangéliste pense en rédigeant cette page.
Première
question que pose St
Luc : Quel est notre ouverture réelle à l'évangélisation du monde entier ?
Est-ce notre préoccupation ?
Jésus
les envoie deux par deux
! Sans doute cet envoi deux par deux était-il justifié par le nombre de témoins
qu'exigeait la Loi (Dt
19/15), mais ce sera
aussi la pratique courante des missionnaires chrétiens : - Barnabé et
Paul, - Barnabé et Marc, - Paul et Silas... Nul n'est chrétien, nul n'est
témoin, missionnaire,
tout seul ! C'est à
souligner, cela !
Et
si Jésus les envoie devant sa face, n'allons pas croire que ce soit pour lui
préparer le gîte ("un
point de chute", comme on dit).
C'est à la venue finale du Seigneur (il lui donne ici
ce titre) que Luc veut
nous faire penser ; c'est au monde entier que sont envoyés les messagers du
Christ, jusqu'au jour où lui-même viendra dans sa gloire.
Quelle
est la perspective de notre action apostolique ? Pensons-nous suffisamment au
règne de Dieu qui vient… C'est déjà actuel, souligne St Kuc !
La
même perspective de fin des temps
est évoquée encore par le thème de la moisson, image classique dans la Bible
pour désigner le rassemblement des hommes en vue du jugement dernier (Jl 4/13; Mt 13/39).
La
nouveauté est qu'ici les moissonneurs ne sont plus la foule des anges, mais un
petit nombre d'ouvriers terrestres,
(les
72 ! Le jugement final est déjà actuel parce que le Règne de Dieu est déjà actuel) ;
C'est ce que doivent annoncer les 72, éparpillés dans un vaste monde qui leur sera
souvent hostile, "agneaux au milieu des loups", mais à qui Jésus
déclare aussi : "Priez" ! C'est le moyen de leur action.
On
sait l'importance de la prière dans la pensée de St Luc, comme de son ami St Paul
; il sert ici
à rappeler - certitude
rassurante - que
l'initiative de la mission appartient à Celui qui est "le Maître de la Moisson".
La
prière (c'est-à-dire notre relation avec Dieu
qui doit coïncider avec notre élan missionnaire) est-elle vraiment liée à notre action, en vue
du Règne de Dieu… actuel ?
Les exigences de cet envoi sont ensuite précisées : il s'agit de renoncer aux moyens
et assurances de ce monde.
C'est
ce qu'expriment les images excluant bourse, sac ou sandales, qui ne sont
évidemment pas à prendre à la lettre, mais images qui veulent définir une
attitude intérieure de détachement dont l'apôtre devra inventer la traduction
concrète en chaque situation particulière. C'est ainsi qu'il sera libre de
toute entrave pour accomplir sa tâche et qu'il pourra-t également témoigner
contre les fausses valeurs et les vaines sécurités qui aliènent si facilement
l'homme.
Dans
le même sens va l'interdiction de saluer les gens en chemin : quand on
pense aux interminables "salamalecs" orientaux, on comprend qu'il
s'agit d'exprimer, là, l'urgence de la mission ; mais peut-être aussi l'absence
d'attaches personnelles qui retiendraient le messager dans sa course.
C'est
une très longue réflexion qu'ouvre ici St Luc, réflexion qui sera menée tout au
long des siècles et qui aboutira au célibat des prêtres en Occident et au vœu
de chasteté des religieux.
Dans
toute maison, dites "Paix !"
- "Paix" (shalom),
c'est bien sûr le
"bonjour" hébraïque ; mais c'est aussi et beaucoup plus : un souhait
d'une plénitude de vie et d'harmonie entre les hommes qu'on ne peut attendre
que de Dieu, et qui, selon la foi chrétienne, est le don du Christ
ressuscité (Lc
24,/36),
-
"Je vous laisse la paix , je vous donne MA paix", avait dit Jésus
ressuscité ! . (Ce doit être le
sens du "signe de la paix", lors de toute Eucharistie). La tâche du missionnaire, c'est
d'annoncer le Christ dont on peut dire avec St Paul: "C'est lui qui est notre paix" (Ep 2/14), notre plénitude de vie.
Et
dites aux gens :"Le Règne de Dieu
est arrivé jusqu'à vous".
C'est le message de Jésus lui-même
et, comme leur Maître, les disciples devront non seulement l'annoncer mais en
donner des signes concrets dans des gestes de guérison, de restauration de
l'homme : "Si c'est par le doigt de Dieu que je chasse les
démons, disait
Jésus, alors le Règne de Dieu vient de vous atteindre" (11/20).
Mais,
comme leur Seigneur encore, les apôtres doivent être prêts à rencontrer
l'opposition et l'échec ; de même que Jésus fut signe contesté ainsi que l'avait annoncé le vieillard Syméon, de
même le reste-t-il en la personne de ses envoyés.
En
quelques lignes, Luc trace à notre intention le portrait du chrétien, et
du chrétien obligatoirement missionnaire puisqu'il fait partie des
soixante-douze envoyés dans le monde entier.
Autant
que les apôtres eux-mêmes, il doit annoncer, lui aussi, la venue du Règne de
Dieu, la venue du Christ. Il doit l'annoncer par une vie de prière qui unit
fortement au Seigneur et par un certain détachement des moyens purement
humains.
C'est
ainsi qu'il sera signe d'une plénitude de vie que seul le Christ peut
donner.
Ce
trésor de la vie divine, nous le portons en nous-mêmes ; mais, à cause de notre
faiblesse, dira St Paul, nous le portons comme dans des vases d'argile afin que
cette incomparable puissance soit de Dieu
et non de nous" (2
Co 4, 7).
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