15e
Dimanche du T.O. 92/C
DE JÉRUSALEM A JÉRICHO !
Faire 35 kilomètres ! De 800 mètres d'altitude, jusqu'à 250 mètres au-dessous
du niveau de la mer ! Vous passez ainsi de Jérusalem à Jéricho, une des villes
les plus basses du monde.
Imaginons ! Jésus fait
cette route aujourd'hui.
Il n'emprunte pas le
sentier d'autrefois qui serpentait entre les dômes des monts du désert de Juda.
Il prend comme tout le monde la route goudronnée, ruban noir qui se déroule
dans ce désert fascinant et secret.
Il laisse derrière lui
Jérusalem, fièrement campée sur les hauteurs derrière ses murs, et aussi Béthanie
discrète et tendre. Il va vers Jéricho qui étale les charmes de ses bougainvillés
rouges et violets. Tout à coup, il s'arrête devant une chicane : ici on fouille
parfois les véhicules, on vérifie les identités. A un détour, il découvre un
campement militaire : tentes et camions hérissés d'antennes. Plus loin,
quelques tentes brunes de nomades semblent sommeiller paisiblement sous le
soleil.
Il fait halte au lieu
que l'imagination religieuse ou le sens commercial a baptisé "Auberge du
Bon Samaritain". Là, des cars de pèlerins stationnent. Il entend lire sa
parabole en allemand, en anglais, en français... Comme à la Pentecôte, chacun
comprend le même message d'amour, dans sa propre langue.
Il écoute... Deux mille
ans après, on lit encore la parabole : "Un
homme descendait de Jérusalem à Jéricho". Pendant deux millénaires, on
l'a lue et relue. Les poètes en ont fait des poèmes et les peintres des
tableaux. Mais, se demanderait Jésus, "qu'ont-ils
fait de ma parabole" ?
Certains se sont
contentés de la répéter dans les églises, dans les patronages, dans les feux de
camp ou autres scénettes.
D'autres l'ont prise,
comprise. Ils ont compris ce tableau imagé de ma mission : "Le Samaritain, dirait Jésus, c'est moi-même, Dieu qui va vers l'homme. L'homme laissé à moitié mort
par les brigands, c'est l'humanité, c'est chacun de vous, gisant terrassé par
le mal ; et l'hôtellerie, c'est mon Eglise fondée sur Pierre et mes apôtres,
dans laquelle je voudrais tant retrouver tous mes frères humains".
Et là, à nouveau, Jésus
serait "saisi de pitié" pour
tous les hommes, pour vous, pour moi. Et ce verbe qui évoque en grec les
entrailles (il
faudrait traduire : "pris aux
entrailles")
ne se rencontre jamais dans le Nouveau Testament que pour désigner les
sentiments de Jésus ou d'un personnage qui représente le point de vue de Dieu ;
en employant ce mot pour parler de la pitié de Jésus devant la foule en
détresse ou affamée, devant les malades, les infirmes ou les affligés, les
évangélistes ont voulu rappeler les textes de l'Ancien Testament qui
dépeignaient la tendresse de Dieu pour les siens sous l'image des entrailles
maternelles. Les sentiments de cet homme Jésus sont traduction pour nous des
attitudes de Dieu lui-même : "Il est
l'Image du Dieu invisible".
Oui, Jésus, Dieu fait
homme est toujours pris de pitié pour tous les hommes. Et comme il voudrait
nous transmettre ce sentiment qui l'a fait proche de chacun d'entre nous.
Et l'on pourrait
imaginer Jésus sur cette route du Jéricho de notre temps, se mêler à la foule
et prendre la parole : "Oui, comme
François d'Assise, Vincent de Paul, Mère Teresa et Dom Helder Camara, qui ont
écrit cette parabole avec le sang qui battait dans leurs veines, comme eux,
écrivez-la encore. Écrivez-la dans l'histoire d'aujourd'hui. Réinventez-la en
respectant l'esprit dans lequel elle fut racontée. Surtout en vous mettant à
l'écoute de l'Esprit.
Les
blessés sur le bord du chemin, qui sont-ils ? Qui sont-ils, ceux qui restent
sur les bas-côtés de la route du progrès, de la croissance ? Marginalisés,
exclus, gens du tiers et du quart et… du sixième monde, c'est ainsi que vous
les appelez. Et ceux qui passent sans voir, pour goûter aux plaisirs, pour
admirer les paysages et les monuments, pour apprécier le folklore, qui
sont-ils ? "
A ces paroles de Jésus,
peut-être que les pèlerins de toutes les langues, de toutes les races se sont
regardés. Les fronts se sont penchés. Et les têtes se sont remplies de pensées
et d'images : camions militaires, tentes de nomades, prisonniers, pauvres. Et
le visage du voisin, et celui de l'étranger, et celui de la bonne vieille qui
est morte seule. Et les visages des exclus, des vieillards isolés, des gens du
tiers, du quart, du… sixième monde. La tête pleine de tous ces gens-là. "Sont-ils mes proches ?".
De Jérusalem à Jéricho,
route des égoïsmes et de l'amour.
Si les hommes, et les
chrétiens d'abord, s'arrêtaient quelques instants sur toutes les routes et dans
toutes les rues, sur tous les chemins et dans tous les sentiers pour relire la
parabole afin de la ré-écrire ! Sur toutes les routes, celles des vacances et
des voyages d'affaires, celles de la politique et de la diplomatie, celles du
progrès et de la croissance ! Toutes les routes, alors, deviendraient les
routes de tout le monde, sans personne sur les bas-côtés.
Il n'y aurait plus qu'une route aux
innombrables ramifications. La route de l'Amour. De Jérusalem à Jéricho. De
Jéricho à la Jérusalem céleste
P.S.
La parabole du Bon Samaritain ! Est-ce que Jésus a inventé
cette parabole ? Ce n'est pas certain. Du moins en sa totalité !
La BdJ renvoie à un récit du 2e
livre des Chroniques (28,9sv) que Jésus connaissait !
C’est au temps du roi Achaz,
Les gens du Royaume du Nord font une
expédition au sud. Ils ramènent butin et prisonniers… !
Et un prophète, qui s’appelle Oded,
le leur reproche vivement. Ils sont très impressionnés… ; et l’armée abandonna
les prisonniers et le butin, en présence des officiers et de toute l’assemblée.
"Des
hommes, qui avaient été désignés, se mirent à réconforter les
prisonniers.
Prélevant
sur le butin, ils habillèrent ceux qui étaient nus ; ils les vêtirent,
les chaussèrent, les nourrirent, les désaltérèrent, les abritèrent.
Puis
ils les reconduisirent - les éclopés montés sur des ânes - les amenèrent
auprès de leurs frères à Jéricho, la ville des palmiers. Puis ils
rentrèrent à Samarie".
Le récit de Luc s’inscrit donc dans
ce cadre.
Les Samaritains étaient les
"derniers des derniers", en ce temps-là. On ne frayait pas avec eux.
On est très étonné de voir Jésus
parler avec une femme, une femme samaritaine ; elle-même est la première à s’en
étonner.
Sur ce point, Jésus marque une
désinvolture formidable ; il a une personnalité d’une consistance
extraordinaire par rapport aux préjugés de son temps.
On voit un homme libre qui a des
amis partout.
Un
homme libre qui s’adresse au cœur, au "nom propre" de chaque
homme et femme qu’il rencontre et
qui est "à l’image et ressemblance de Dieu",
qui est dans le cœur de Dieu.
Il faudrait essayer de vivre cela
chrétiennement…
…
Voyez comment Jésus retourne la
question posée.
On lui demande : "Qui est mon
prochain ?"...
Et il répond : "Lequel s’est montré proche ?"... Ce n'est à l'autre de se montrer proche de
moi… C’est à moi, à nous de nous montrer proches, prochains de l’autre !
…de "l'homme tombé aux mains des brigands ?"
Je crois que dans la tradition
juive, on trouverait des rabbins qui raisonnent comme Jésus, formidablement.
Un païen s’adressait un jour à
Hillel
1er
siècle. Il est le fondateur, d'après le Talmud, de l'une des deux grandes
écoles d'interprétation rabbinique de la Torah,
Il lui dit pour se moquer de lui : "Résume-moi un peu toute la Loi pendant
le temps où tu es capable de te tenir sur une seule jambe". Alors il a
dit : "Ne fais pas à ton prochain ce
que tu ne voudrais pas qu’on te fasse !".
Mais je crois qu’on pourrait aller
beaucoup plus loin dans le sens positif : faire aux autres ce qu’on voudrait
qu’on nous fasse.
Et je crois surtout que la nouveauté
du Nouveau Testament, du nouveau commandement n’est pas là. Même pour le
prochain, on trouverait des Juifs et même des "païens" à l’esprit
très large, qui considèrent aussi les étrangers comme des prochains ; le
problème n’est pas là !
Le commandement nouveau qui est
annoncé dans le N.T., c’est "aimer comme Dieu nous a aimés".
Alors là ! Cela suppose
qu’on contemple le cœur du Christ
ouvert sur la croix,
qu’on médite le mystère de la Sainte
Trinité où les Personnes n’existent que comme relations subsistantes (St Thomas d’Aquin,
Summe theologique Ia, q. 29 ss)
et que tout égoïsme soit comme
exorcisé, supprimé.
C’est toute la nouveauté du N.T.,
qu’on estompe facilement.
Le commandement nouveau, c’est : "aimez-vous comme je vous ai
aimés". Alors, à ce moment-là, on puise en Dieu la force d’aimer
même ses ennemis… ; et on ne la trouve pas ailleurs !
La
vie est beauté, admire-la !
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