La
souffrance !
Après avoir été curé
d'une paroisse (Solesmes), fréquentant nombre de femmes et d'hommes qui cheminaient
- cahin-caha - avec la souffrance comme permanente compagne…,
après avoir été, quelques
années durant, aumônier d'un hôpital (Sablé) où la mort ne cessait de rôder…,
après avoir été
"directeur" d'une maison de retraite où bien des pensionnaires ont -
solitairement souvent - terminer une existence très active, par une longue
période de difficile dépendance humaine…,
après, pour ma
part, de multiples séjours en hôpital ou clinique (le dernier ne date que de
huit jours)…,
je sais que - malgré des moments
immenses de foi, d'espérance, d'amour -, la question du sens, du pourquoi de
la souffrance resurgit toujours… et souvent avec plus de tranchant. Et
même, parfois, la révolte peut gronder en nos cœurs, puisque c'est souvent la
seule arme de spectateurs impuissants.
Pourtant..., pourtant, combien j'aimerais
apprivoiser moi-même la maladie, la souffrance qui y est attachée. Combien
j'aimerais pouvoir regarder la maladie, comme on peut contempler avec espoir un
champ strié de labours. Les crevasses sont lieux de semences, de fécondité et
de récoltes. Oui, mon cœur d'homme fraternel et compatissant à la douleur
humaine aspire à recueillir chrétiennement la semence et le fruit d'éternité
contenu dans la vie de bien des malades qui ne cessent - consciemment et
inconsciemment - de méditer, de vivre le mystère pascal du Christ !
Reconnaissons-le : notre monde
est bâti pour les bien-portants - On s'active, on s'agite, on s'énerve.
Toutes les secondes sont comptées ; car le temps, c'est de l'argent. L'homme
doit remplir sa fonction de producteur et de consommateur. Nous sommes régis
par les lois d'efficacité, de rentabilité, d'utilité. Les malades sont, à
certains égards, des membres inutiles et dispendieux de nos sociétés. Et on ne
l’affirme que trop aujourd’hui.
Or, le côtoiement de la maladie
nous oblige à redécouvrir d'autres valeurs, ces valeurs qui rendent les
cœurs sensibles et aimants. Dans l'entourage d'un malade, nous avons à
réapprendre la tendresse, à réapprendre la patience, à
réapprendre la gratuité, le service. Nous ne pouvons aborder un malade
que si nous nous oublions nous-mêmes, que si nous acceptons de prendre de
précieuses minutes pour être disponibles à la sympathie, au service gratuit, au
silence de communion.
A l'intérieur de ces attitudes
apparaissent ainsi les bases d'un monde plus humain et quasi divin. Dans
la profondeur de ces attitudes, nous pouvons déceler une parcelle de la
présence du Christ : "J'étais malade
et vous m'avez visité… ". - "Chaque fois que vous l'avez fait à l’un
de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait" (Mth 25.31-44).
Et puis, nous pouvons nous examiner
nous-mêmes :
Chacun de nous supporte
quotidiennement ses petits malaises. Certes, ces malaises minent souvent nos
énergies et notre moral ! Et parfois nous sommes obligés de ralentir nos
activités.
Mais quand la douleur du corps prend
le dessus sur nos forces, nous devons réapprendre la dépendance, la pauvreté
et l'espérance à l’exemple du Christ en son mystère pascal de mort et de
vie (et non de vie et de mort).
Réapprendre la dépendance,
c'est aussi réapprendre la solidarité, c'est prendre conscience que les uns
sont liés aux autres - pour un service mutuel -. Et quand on demande un verre
d'eau pour soulager la brûlure de la fièvre, on reproduit cette image du
Christ, solidaire et dépendant de ses frères et sœurs, qui demande à boire à
une Samaritaine, et même à des soldats romains…
Puissions-nous ne jamais nous désolidarisés !
Réapprendre la pauvreté,
c'est être capable de contester les illusions d'une vie dont le bonheur
dépendrait de l'argent, de la gloire et de la puissance. C'est révéler que la
seule semence d'éternité vient du cœur, de l'amitié, de la fidélité. Du pardon
s’il le faut.
Et enfin, réapprendre l'espérance,
c'est se rapprocher de Dieu, c'est confier sa vie à Dieu qui a révélé aux
hommes, à travers la résurrection du Christ, son projet de faire éclater toutes
frontières, celles de la mort elle-même. "Ceux
qui mettent leur confiance dans le Seigneur comprendront la vérité, ceux qui
sont fidèles resteront avec Lui dans son amour" (Sag. 3.9). –
Combien de fois, ai-je entendu cette réflexion d’un malade : "De toutes façons, j'ai confiance en
Dieu, pour moi et pour les miens"...
Voilà pourquoi je voudrais moi-même
apprivoiser de plus en plus la maladie, la souffrance, parce qu'elles peuvent
nous rendre plus humains, nous attacher à l'essentiel. Voilà ce que nous
pouvons recueillir de fruit d'humanité et d'éternité dans la vie de nos
"souffrants" pour parvenir tous ensemble à la gloire du Ressuscité !
Oui, prions pour nos malades !
Toute prière comporte normalement une
bénédiction. Je vous y invite pour proclamer que, même à travers peine,
maladie, souffrance, le Seigneur de la Vie peut nous atteindre, peut renouveler
sa présence en chacun d'entre nous, pour nous amener à notre pleine humanité,
humanité qui ne peut parfaitement se réaliser sans Dieu, humanité qui
resplendira "à l’image de Dieu", à l'image du Christ toujours vivant
et glorieux !
Oui, ne cessons pas de prier pour
nos malades !
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