15e T.O. 2019/A
Allons droit au cœur du récit : celui
qui est tourné vers la terre à
ensemencer, c'est Jésus.
Très tôt, on ajoutera à ce texte
des interprétations moralisantes pour inviter les chrétiens à offrir un bon
terrain à
la Parole de Dieu ; mais la leçon de la
parabole demeure: Jésus est venu pour des
semailles.
Au temps de Matthieu, cette affirmation est
importante
: aux disciples qui
attendaient que
le Royaume de
Dieu éclate en gloire, comme une moisson ensoleillée,
elle annonce que l'œuvre de Jésus est livrée à tous les aléas d'humanité,
comme une humble semence.
Par trois fois,
-remarquons-le- la parabole décrit ces
semailles (de Jésus) comme un échec. Est-il possible que le Messie échoue, alors
qu'on l'attendait rapidement comme une manifestation de force invincible ?
Comment accepter qu'il y ait autant de semence perdue, même si une partie du
grain fructifie abondamment ? Il s'agit de la fécondité même de Dieu, risquée
aux intempéries de l'histoire.
Les questions et les étonnements des premiers chrétiens
demeurent les nôtres : comment se fait-il qu'il y ait tant de haine meurtrière, de
suffisance et d'orgueil, d'étroitesse et d'aveuglements dans ce monde ensemencé
par Dieu, dans cette humanité où Jésus a germé comme une fleur porteuse de fécondité
divine, en ce jour – le nôtre - précédé par vingt siècles de christianisme ?
Dieu se gaspille-t-il en vain à susciter l'homme parfait, à lui offrir son
Esprit ?
Et pourtant Dieu ne cesse de
semer
- Nous avons tous vu, -
ou nous imaginons - le paysan partir, dans la
lumière de l'automne, vers le champ ouvert pour les semailles. Il sème,
lentement. Quel geste de confiance en la vie ! Les semaines, la pluie, le froid
passeront, jusqu'au jour où la verdure tendre du blé qui lève commencera à
frissonner. Elle ne ressemblera guère au grain confié aux sillons, et pourtant
c'est vers le poids des épis qu'elle grandit.
N'y a-t-il pas là une image de la
démarche de Dieu dans les champs d'humanité. Au long des sillons de l'histoire,
si souvent ouverts comme des plaies, Dieu ne cesse de semer. Avec obstination.
Si le froid trop rigoureux détruit le blé, le paysan sème à nouveau, dès le
printemps. Malgré
les hivers terribles
que connaît parfois l'humanité, Dieu ne renonce jamais à semer à nouveau. Car,
en vue de la récolte du monde à venir, Dieu est plus tenace que
le plus paisible des paysans. Dès lors, des hommes se dévouent toujours,
croient à l'avenir, prient devant le silence de Dieu, comme Jésus, Parole de
Dieu semée en l’homme…
[ Le semeur lui-même devient le
grain] - Oui, Lui, Jésus a semé cette Parole de Dieu toujours
efficace dont parlait Isaïe (1ère
lect.) : dans l'homme aveugle, paralytique,
mort de tant de manières, il a libéré le regard, la démarche, l'amour, la Vie.
Il a fécondé l'homme de la semence de Dieu. Il a parcouru la Palestine de son temps, toute la variété
des terrains humains, et il a semé. Parfois il a en-trevu la moisson abondante
et il a appelé des ouvriers nombreux... Il a vu aussi l'ivraie et le bon grain
se mêler au champ de l'histoire. Il sait que le grain croît même la nuit, quand
le paysan dort...
Mais Jésus ne sème pas que des paroles. Lorsqu'il dit : si le grain, tombé
en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s'il
meurt, il porte beaucoup de fruit..., c'est de Lui qu'II parle. C'est au sillon
sanglant du Calvaire qu'il va jeter la semence de Dieu. C’est ainsi
qui a confié son œuvre aux saisons de l'homme, à tous les terrains de la terre
et aux maturations des temps. Prodigieuses semailles où le semeur lui-même, au
moment de l’hiver de l’histoire, devient le grain jeté en terre, en vue des printemps de
Dieu !
Et depuis que Jésus a été broyé pour devenir la fleur du
froment
de Dieu, les chrétiens portent sa
semence par le monde. Or, que faisons-nous de cette semence ? De Jésus et de
son Evangile ? A notre tour, nous sommes semeurs et semence, porteurs fragiles
des semailles incessantes de Dieu. A l’heure où l'Eglise semble connaître une
saison stérile, où l'Evangile semble s'estomper dans le passé, reprenons le mot
de Marie, après tant d'hommes ou de femmes appelés, contre toute attente, à la
fécondité de Dieu : « Faites tout ce qu’il vous dira ! ».
[La semence de l'avenir] Dans les
villages, autrefois, on voyait arriver un soir d'été un petit cheval qui
tirait une machine étrange. On disait : Le Treieur est
arrivé. On lui donnait à trier quelques sacs du blé de la dernière récolte. On
mettait de côté le grain le plus beau, c'était le trésor , celui des prochaines semailles.
Il en est de même dans la vie du monde et de l'Eglise : la
semence de l'avenir, c'est le meilleur des récoltes d'hier. Il faut trier le
grain le plus beau. Sinon les épis deviendraient bientôt rabougris. Et Dieu,
qui n'aime pas se répéter, veut au contraire améliorer sans cesse la récolte
vers la moisson définitive.
Aussi, faisons confiance au “Trieur” divin qui ne veut pas
que demain soit la copie exact d'hier. Il ne cesse de trier, de ses mains
douces et fermes, les semences de l'avenir, et d'entrer à nouveau dans le
champ. Sachons l'accueillir à travers l'événement inattendu, la joie et la
peine, la naissance et la mort, le succès et la maladie. Soyons attentifs à
discerner dans la jeunesse qui nous déconcerte, dans les bouleversements du
monde actuel, l'ambition discrète de Celui qui ne cesse de semer ?
[Risquer la semence] Certes, il
y a risque ! Car la semence sera toujours la semence. Comme pour les talents
d’une autre parabole, il faut risquer la semence. Consentir à sa disparition
dans l'épaisseur des sols d'humanité. L'abandonner à l’apparence de la mort.
Agir, même si le succès paraît aléatoire. S'exposer à perdre le grain. A perdre
peut-être sa vie. Comme le vigneron tué par les ouvriers de la vigne. Comme
Dieu qui est sorti lui-même dans la foule immense qui a cru - qui croit parfois - à la “mort de Dieu” !
Non, gardons la foi ! Certes, la semence semblera toujours
infime, perdue dans l'étendue du champ. Pourtant, la houle du vent caressera un
jour l'épaisseur dorée de la moisson, et on ne verra plus la terre. Pourquoi
nous étonner qu'il soit difficile d'être chrétien ? Pourquoi
vouloir moissonner alors qu'il s'agit de semer et semer à nouveau ? Pourquoi
rêver du confort du grand nombre, des succès faciles ? Pourquoi vouloir si
vite, avec des yeux de taupe, séparer l'ivraie du bon grain ?
St Paul avait raison : Nous vivons activement cette attente de toute
la création qui gémit dans les douleurs de l'enfantement. Mais l'Esprit est en
nous, humble semence, qui transfigurera la face de la terre. Il nous veut
semeurs perpétuels de l'humanité nouvelle.
[Le grain semble mort] . Certains, devant le champ où le grain semble mort une fois
de plus, parlent de la tombe de Dieu. C'est vrai, Dieu semble mourir parfois,
dans nos vies, dans nos sociétés, dans nos églises. Cependant, je voudrais
demander à Claudel qui savait l’efficacité de la Parole de Dieu en sa vie, la
permission de lui emprunter l’épitaphe saisissante gravée sur sa pierre
tombale, afin de murmurer comme une prière d’espérance devant la terre des
hommes où repose le grain divin : « Ici reposent les restes et la semence
de Paul Claudel ».
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