lundi 30 septembre 2019

Abîme entre ciel et terre

26e Dimanche 19/C –

A lire superficiellement cette parabole de l'évangile, on pourrait conclure tout sim­plement : l'homme riche a eu tort de ne pas porter secours à La­zare !
Mais vous sentez bien que Jésus n'aurait pas ra­conté cette longue parabole tout simple­ment pour nous recommander de faire l'aumône aux mal­heureux. Elle doit avoir une autre signification.
             
Je pense que l'une des phrases-clés de ce récit est celle-ci : « Un “grand abîme” a été mis entre vous et nous ».
Et qui l'a mis ce grand abîme ? -  Peut-être bien le riche lui-même.

Car le vrai Dieu, c'est le Dieu de l'Alliance, c'est-à-dire le Dieu qui a voulu combler la distance infinie qu'il y avait entre lui et ses créatures humaines.  Dieu nous aime, il veut s'unir à nous. Mais, respectant notre liberté, il nous appelle
à nous unir à lui
à nous unir entre nous dans l'amour mutuel.

Le vrai Dieu, c'est donc le Dieu
qui s'est fait proche des hommes,
qui est venu dresser sa tente au milieu de son peuple,
qui a voulu ainsi abolir toute distance, tout abîme entre lui et ses créatures, - et entre ses créatures -.
             
La mission de Jésus, ce fut de réaliser cette Al­liance. Comme dit St Jean, il est venu rassembler, unir en un seul corps tous les enfants de Dieu dispersés. L'œuvre de Jésus fut essentiellement une “œuvre de rassemblement”, une “œuvre de communion ”.

Et la mission de l'Eglise doit continuer celle du Christ : conduire le monde vers l'unité parfaite, vers l'union, la communion en Jésus-Christ.
N'est-ce pas le sens de toute Eucharistie ?  Ainsi, en chaque Eucharistie, nous prions : Fais Seigneur "qu'en prenant part au Corps et au Sang du Christ, nous soyons rassemblés par l"Esprit Saint en un seul corps !".

Il est important de nous rappeler sans cesse, quelles que soient nos richesses matérielles, intellectuelles, spirituelles - et autres -,
que nous sommes
unis comme les membres d'un même corps,
unis par une même vie qui fait de nous des frères et des sœurs,
unis entre nous et unis avec le Christ, dans une communion de cœur et d'esprit toujours plus profonde. Et ainsi nous devrions pouvoir ensemble appeler Dieu : "Notre Père" !
             
Or, Jésus constate que l'un des grands obstacles à cette œuvre de rassemblement vient de l'amour de l'argent, des richesses, du souci exclusif du confort, du bien-être…, et que sais-je encore. Alors que Dieu est le grand Rassembleur, l'argent est le grand diviseur.
             
Et cela, nous pouvons le constater chaque jour nous aussi. La recherche perpétuelle du gain, du confort, du bien-être, nous rend plus ou moins sourds aux appels des autres, aveugles sur leurs besoins, nous rend étrangers et même hostiles les uns aux autres. L'amour de l'argent, d'un bien quel qu'il soit, ne serait-ce qu'un faible savoir, donne très facilement un complexe de supériorité par rapport aux autres ; on en vient à les "éclabousser" sans même en avoir conscience; on est fier de soi, on s'estime au-dessus des autres. Il n'y a plus alors d'amitié possible, ni d'esprit fraternel.
             
Oui, l'amour de l'argent ou d'une richesse est le ‘grand diviseur’ au point que, pour Jésus, c'est un peu comme un ‘anti-Dieu’ :  "Vous ne pouvez pas servir en même temps Dieu et l'Argent !".
             
Regardons de près le riche de la parabole ! Peut-être n'avait-il jamais remarqué l'existence du pauvre Lazare tellement il était absorbé par ses propres affaires, son métier et ses soucis, par sa richesse qu'elle soit intel­lectuelle, morale ou spirituelle…

Inconsciemment, il vi­vait enfermé en lui-même, dans son avoir; c'était son univers. Un abîme le séparait du reste du monde. Et cet abîme qu'il avait laissé se creuser entre lui et les autres, était en même temps un abîme creusé entre lui et Dieu.

Ce n'est pas Dieu qui l'a condamné ; Dieu n'a fait que prendre acte de cette distance infranchissable que cet homme avait laissé s'établir entre lui et les autres, entre lui et Dieu, trop rivé qu'il était sur ce qu'il avait.
             
N'est-ce pas dramatique de voir un tel homme en­fermé à ce point dans sa “bonne conscience”, alors qu'il connaissait "Moïse et les prophètes", c'est-à-dire la loi de Dieu qui est amour ?

Pour nous chrétiens, la loi de Dieu, le Christ nous l'a fait connaître. C'est pourquoi l'Evangile revient si souvent sur l'esprit de pauvreté qui est l'antidote de la course à l'argent, à la richesse, la course à son unique satisfaction.
             
Le but de l'esprit de pauvreté, ce n'est pas de pra­tiquer l'ascèse, le sacrifice, de s'abstenir de tout sa­voir etc.., c'est de supprimer ce qui divise les hommes, qui les dresse les uns contre les autres, qui attise les haines, les jalousies, la violence et les guerres, tout ce qui creuse un ‘abîme’.
             
Vivre en esprit de pauvreté, c'est ouvrir sa porte afin de permettre la fraternité entre les hommes ; ac­cueillir l'autre, non pas pour lui faire l'aumône, mais pour le traiter en frère, en ami.
             
Cet esprit de pauvreté qui ouvre toutes les portes, le Christ lui-même nous en a donné le meilleur exemple. Il était le "frère universel", toujours accueillant, sans prétentions, simple et humain avec tous. "Lui qui était de condition divine, il n'a pas considéré comme une proie à saisir d'être l'égal de Dieu, mais il s'est dépouillé, pre­nant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes" (Phil. 2.6)

Les premiers chrétiens avaient si bien com­pris cela qu'ils avaient essayé de mettre en commun tous leurs biens. A partir du moment où il n'y a plus parmi les hommes le complexe de pauvreté  ni l'orgueil de la richesse qui creusent entre eux comme un "abîme", une véritable fraternité peut grandir.

Et nous : comment être “pauvre” aujourd'hui, quels que soient notre milieu social ou notre profession ?  
Il ne s'agit pas de nous priver du nécessaire, ni de partir vivre au désert. Il s'agit plutôt d'avoir quelques convictions très simples : ce qui fait la valeur d'un homme, ce n'est pas ce qu'il possède, c'est son esprit de service et d'amour fraternel. Celui qui met sa joie à partager et à accueillir fraternellement l'autre, surtout celui qui a moins, on peut dire que son cœur commence à battre au même rythme que le cœur de Jésus.
             
Nous avons tous à nous sur­veiller. Il nous faut passer au crible notre style de vie, nos préjugés sociaux, nos réactions spontanés, nos goûts instinctifs, pour y déceler l'orgueil qui s'y cache et qui risque de nous couper des autres, de fabriquer inconsciemment des "abîmes" !

Il ne s'agit pas d'abord de ‘faire du social’ - ce qui est une nécessité -, il s'agit de pratiquer l'Evangile qui recouvre le social. Il y aura toujours de gens qui possède plus que les autres. C'est normal à condition que tous aient le nécessaire pour vivre correctement. Mais je veux dire que s'il y a des riches qui écrasent les autres, il y a également  qui vivent l'esprit de pauvreté ; et s'il y a des pauvres qui sont dans une misère inadmissible, il y en a également qui ont un esprit de richesse.

Tous, nous avons à revenir à l'essentiel : ne pas mettre d'obstacle à la fraternité ; ne pas creuser d'abîme entre nous et les autres  ; avoir le souci de préparer le ‘Royaume’ où le Seigneur accueil­lera tous les "Lazare" du monde et tous ceux qui auront lié solidarité avec eux.
Sommes-nous de ceux-là ?              

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