30e Dim T.O. B/1918
Une
foule sortait de Jéricho derrière Jésus. C'est lui que l'on suit.
Vraisemblablement, la foule n'est pas silencieuse. Les gens échangent sur ce
qu'a dit Jésus, sur ce qu'il a fait… ; et on parle des événements, de ses
préoccupations, et peut-être à la lumière de ce que Jésus a enseigné.
Cette
foule qui entoure Jésus n'est-elle pas une belle image de l'Eglise en
marche à la suite de Jésus ? Et pourquoi ne pas envisager que nous sommes
dans cette foule ?
Nous
faisons sans doute partie de ces chrétiens qui ne restent pas immobiles, à ne
rien faire. Nous avons les uns et les autres des activités habituelles dans
l'Eglise : nous assurons la propreté de l'église, la décoration de l'autel ;
nous préparons les célébrations liturgiques ; nous assurons la catéchèse, nous
visitons les malades… et que sais-je encore.
Bref,
nous sommes généreux, mais nous sommes aussi comme tout le monde. Nous
recherchons un minimum de confort chez nous, autour de nous, en toutes
circonstances. S'il faut marcher avec l'Eglise, nous faisons ce qu'il faut pour
que cette marche soit la plus agréable possible… Aussi, il y a des
conversations que nous évitons d'aborder et, si nous sommes honnêtes avec
nous-mêmes, nous pouvons nous avouer qu'il y a des chrétiens actifs, eux aussi,
avec qui nous ne parlons pas beaucoup. Ils sont ailleurs dans la foule…
Et
voilà que du fossé jaillit un cri. Un hurlement ! Impossible de ne pas
l'entendre. Un aveugle interpelle Jésus. Ce hurlement trouble les conversations
et la circulation. Il met le trouble, le désordre au milieu des marcheurs. Les
uns, absorbés en leurs pensées, continuent d'avancer. D'autres ont ralenti pour
regarder. Et dans la foule, on se marche un peu sur les pieds.
Oui,
c'est bien connu : un cri de l'extérieur et c'est la pagaïe dans la foule…,
dans l'Eglise.
Un
hurlement ! Et si
c'était nous qui l'avions poussé ! Ce hurlement n'est-ce pas le cri de tel
homme, de telle femme menacés dans leur vie, le cri d'un chef d'entreprise au
bord de la crise économique, le cri de tel ménage en train de
"craquer", comme l'on dit, ou encore le cri de ces jeunes trop seuls
au milieu des lumières et des bruits artificiels de la ville…
Le
hurlement de cet
aveugle c'est la clameur de tous ceux qui aujourd'hui cherchent un peu de lumière,
de tous ceux qui cherchent à voir les décisions importantes qu'il faut, qu'il
faudrait prendre.
L'Eglise
- nous-mêmes - va-t-elle se laisser interpeller ? Peut-on arrêter une colonne
en marche pour un homme dans le fossé ?
On
peut penser que Jésus n'aimait pas perdre son temps. Alors,eaucoup de gens
interpellaient vivement l'aveugle pour le faire taire ; ce faisant, ils avaient
sûrement conscience de rendre service à Jésus.
Jésus
s'arrête ; et tant
pis pour ceux qui, dans la circonstance, se bousculent.
Jésus
s'arrête et dit : "Appelez-le !".
Il aurait pu le faire lui-même. Mais des gens dans la foule (on ne sait qui) acceptent
de quitter le cheminement de leur conversation pour répercuter l'appel de
Jésus : "Confiance ! Lève-toi !
Il t'appelle ! !".
"L'aveugle
jeta son manteau".
C'est de l'inconscience ! Son manteau, c'est sa seule protection contre le
froid, la pluie, le vent. C'est ce qui lui permet de tenir au jour le jour.
C'est une maigre sécurité, mais c'est sa seule sécurité. Il l'abandonne et nous
apprend qu'il n'y a pas d'acte de foi sans l'abandon de quelques-unes de nos
sécurités. Devenir croyant, c'est entrer dans un monde nouveau. Nous perdons
nos sécurités pour acquérir une certitude : la confiance en Jésus.
Alors,
Jésus demande : "Que veux-tu que
je fasse pour toi ?". Quelle étrange question ! Tout homme est un
fouillis de désirs. Imaginons que le Christ nous pose la question ; en l'espace
de deux ou trois secondes, quelle serait notre réponse ? Que nous connaissions
Jésus à peine où beaucoup, qu'attendons-nous de lui ?
"Seigneur,
fais que je voie !", demande le mendiant.
Pourquoi
cet homme veut-il cesser d'être aveugle ? Il avait ses habitudes, ses
bienfaiteurs attitrés. Il s'était fait à son petit monde ; il savait évoluer
dans son univers. Certes, il avait des limites ; mais à l'intérieur de ces
limites, il était peut-être à l'aise.
Se
rend-il compte cet aveugle des risques qu'il prend en demandant de voir ? Il y
a des choses que nous aimerions tellement ne pas avoir vues. Il est si
confortable de pouvoir dire dans l'accumulation des désordres de ce monde : "Je ne savais pas, je n'étais pas au
courant ; je n'ai pas vu, je ne suis pas responsable !".
"Seigneur,
fais que je voie !".
Cet
homme est allé à l'essentiel. Il aurait pu demander une aumône. Un mot de recommandation
et toute la foule y serait allé de sa petite pièce. Quelle recette pour la
journée ! Quelle sécurité pour les prochains jours!
"Seigneur,
fais que je voie !",
pouvons-nous crier,
nous aussi.
Voir
clair dans notre fouillis de désirs.
Voir
clair dans les ficelles qui agitent les affaires de ce monde.
Voir
clair dans tous les slogans qui nous intoxiquent en nous parlant de liberté.
Voir
clair pour construire son avenir que l'on soit jeune ou moins jeune.
Voir
clair pour distinguer l'argument solide de l'alibi publicitaire.
Voir
clair dans les mécanismes de fonctionnement de notre société ; Voir comment ces
mécanismes nous mettent du côté des gens à l'aise ou des pauvres sans avenir.
Voir
les cheminements qui conduisent à un monde plus humain pour tous.
Et
surtout, découvrir la mission, la vocation que Dieu me donne en cette vie !
"Seigneur,
fais que je voie !",
Un
cri qui est une prière audacieuse ; un cri qui débouche sur l'engagement de
l'aveugle guéri à marcher à la suite de Jésus.
"Va ta foi t'a
sauvé !",
dit Jésus
Adieu
le fossé et le bord de la route. Bonjour le risque de la responsabilité avec
les autres ! Un manteau est resté sur la route, inutile. Un homme est entré
dans la foule, reprend la louange de la foule et s'approprie la foi de l'Eglise
et son engagement à suivre Jésus.
"Va ta foi t'a
sauvé !"
Pour
marcher réellement à la suite du Christ !
Pour
entraîner les hommes vers le Royaume de Dieu, vers le Royaume de la vie, de la
vie divine !
Alors,
allons-nous crier, nous aussi : "Seigneur,
fais que je voie !",
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