Baptême
de Notre Seigneur 2017/A
Le Baptême du Seigneur est un événement
capital
dans l’histoire de la vie de Jésus, dans la compréhension de son identité et de
son mystère. Si trois évangélistes racontent la scène, si l’Eglise en a fait
une fête spéciale, cela veut bien dire que cet événement est essentiel (pour notre vie
spirituelle)
!
Nous y trouvons, en effet, et fortement
manifestés,
- l’abaissement de Jésus jusqu’à
notre nature humaine pécheresse,
- et la révélation de sa nature
divine.
Pour les gens qui se trouvaient auprès du
Baptiste, la venue de Jésus au bord du Jourdain, passa probablement presque
inaperçue.
Mais pour nous, chrétiens qui
bénéficions de l’annonce de la résurrection du Seigneur, lorsque nous relisons
cette scène, nous en demeurons confondus : Le Fils de Dieu, l’auteur de
la création, le “Trois fois Saint”, l’Éternel, le voici, prenant humblement
rang au milieu de la foule pour solliciter un baptême de pénitence et de
conversion : “Repentez-vous et faites
pénitence”, criait Jean. Et Jésus, le Fils de Dieu incarné, entre dans les
eaux du Jourdain comme tous ceux qui reconnaissaient la misère de leurs fautes.
Mais “c’était nos péchés qu’il portait…”,
avait annoncé Isaïe. La prophétie se réalise déjà. Dieu est vraiment venu au
milieu des pécheurs. Il s’est fait péché pour nous.
Cependant, lorsque Jésus remonta du
Jourdain, une voix se fit entendre : “Celui-ci
est mon Fils bien-aimé; en lui j’ai mis tout mon amour”. Ainsi,
aussitôt après la manifestation du réalisme de l’Incarnation, est proclamée la
nature divine de Jésus. Ce que les disciples découvriront après la
résurrection, cela était vrai depuis les origines humaines de Jésus. Ce Jésus
qu’ils ont accompagné trois ans durant, ce Jésus qui s’est fait l’un d’entre
eux, partageant leurs souffrances, leurs misères, prenant sur lui les erreurs
des hommes, ce Jésus était celui qui se manifestera, au jour de Pâques, Fils
bien-aimé de Dieu sur lequel repose l’Esprit Saint.
C’est ce lien étroit, intime, entre la
divinité et l’humanité qui constitue la véritable identité de Jésus. Tout
au long des dimanches de l’Avent et des fêtes de Noël, c’est ce mystère que
nous avons contemplé. La foi chrétienne se redit encore aujourd’hui autour de
cet événement du Baptême du Seigneur. Nous ne le répéterons jamais suffisamment
: la foi chrétienne n’est rien si elle n’est pas l’affirmation de la divinité
de cet homme qu’est Jésus qui a partagé notre condition, qui, non pécheur, a
pris sur lui le péché de l’homme ! St Paul le dira explicitement : “Celui qui n’avait pas connu le péché, Dieu
l’a, pour nous, identifié au péché, afin que, par lui, nous devenions justice
de Dieu” (II Cor 5/21).
“Afin que, par lui, nous devenions Justice de
Dieu”
: Voilà bien le sens de notre propre baptême, à la suite de celui du
Christ, baptême que nous renouvelons par les sacrements, par la consécration
religieuse. On doit, nous aussi, descendre dans l’eau purificatrice en se
reconnaissant pécheurs. Et, du même coup, se reconnaître pécheur, c’est reconnaître
Dieu, s’approcher de Dieu qui nous accueille comme des fils : “Tu es mon fils bien-aimé”.
Si l’Evangile mène à Dieu, c’est parce qu’il
exige que nous nous reconnaissions pécheurs. Et c’est bien cela le plus
difficile. Que veut l’homme spontanément ? Réussir ! Pour cela, il cherche à
s’évaluer, à se justifier, à s’estimer. Cette entreprise de justification
paraît indispensable, ne serait-ce que pour l’acquisition du minimum de
confiance en soi-même, sans lequel l’homme ne peut pas vivre. Or cette entreprise
est humainement désespérée : Trop souvent, ou c’est l’orgueil qui surévalue, ou
c’est le désespoir qui décourage.
Par contre, sous le regard du Christ, “par lui, en lui, avec lui”, on
découvre deux choses, deux choses qui ont été manifestées au baptême du Christ,
qui se manifestent lors du baptême chrétien :
- la vérité de notre misère
- la puissance de la miséricorde divine
Deux choses qui n'en font qu’une. Car la
révélation du péché ne peut être qu'intérieure à celle de la miséricorde divine.
Le Dieu qui se révèle en Jésus - Dieu fait homme - me révèle à moi-même et me
révèle sa sainteté et son amour de Père envers moi-même, pécheur. Le péché
donne au salut sa grandeur. Dieu est un Dieu de salut ; le christianisme est
une religion de salut. Celui qui est cette Lumière qui me met à nu est aussi Lumière
de Vie qui nous réanime. St Augustin ne disait-il pas : “Tu as déjà commencé à être envahi par la Lumière, puisque tu confesses
ton péché”.
Dieu n’est plus le juge menaçant, il est le
“Dieu avec nous” qui vient se
charger du péché du monde, péché qu’il a englouti dans les eaux du Jourdain et totalement
supprimé du haut de la croix.
Dès lors, si le pécheur ressent
parfaitement la distance infinie qui le sépare de Dieu, s’il reconnaît qu’il ne
peut s’approcher de Dieu, il confesse en même temps que Dieu s’est rendu proche
de l’homme, qu’il aime les hommes, et donc les pécheurs que nous sommes. Le Christ
de Noël, le Christ du Jourdain, le Christ de Pâques est ce
Dieu qui nous veut du bien, et qui fait la lumière sur notre condition de
pécheur pour mieux nous en libérer. -
De quoi est faite la Création ? A partir de
rien. - De quoi est faite la sanctification ? A partir du rien du pécheur. Le
pécheur, loin de toute crainte, peut alors accéder à la conscience de l’amour
miséricordieux de Dieu.
Un amour qui nous fait passer d'esclave à
fils.
ET nous entendons alors au plus intime de nous-mêmes cette affirmation qui nous
est adressée également : "Celui-ci
est mon fils bien-aimé !".
Pensons à Matthieu, à tous les apôtres, à Zachée,
plus tard, et à Paul etc… Dieu qui nous révèle si bien ce que nous sommes (des
pécheurs), nous donne en même temps une force pour être véritablement “à son image et ressemblance”. Il y a
passage du moi pécheur au moi “enfant de Dieu”. St Augustin, encore, avait
bien raison de s’écrier dans un élan de foi, d’espérance et d’amour : “Tout sert à celui qui aime Dieu, même le
péché” - Et Luther qui avait grande conscience de ses fautes, d’ajouter : “surtout le péché !”.
Et je me permets d'ajouter, ici, en ce
monastère, que la consécration religieuse - renouvelée particulièrement en
certaines circonstances (60 ans de vie religieuse par exemple) -, si elle n'est
pas un sacrement, veut répondre cependant à l'engagement du sacrement du
baptême. Notre grand Bossuet le souligne en son panégyrique sur St Benoît.
Le baptême est un sacrement,
un signe d'amour du Christ qui fait de l'homme pécheur un "fils de
Dieu" ! Plénitude de vie !
La consécration religieuse est un
sacramental, un signe que l'homme pose comme parfaite réponse - "totaliter", dit St Thomas
d'Aquin - au signe d'amour du Christ pour l'homme. Ainsi, la vie religieuse
doit manifester cette finalité : vivre le mieux possible l'engagement
sacramentel du baptême : être fils, fille de Dieu !
Aussi, la vie religieuse est une manière
particulière de vivre la vocation baptismale - être "fils de
Dieu" ! - afin d'encourager tout baptisé à en vivre lui-même dans le
contexte de vie qui est le sien.
Le pape Jean-Paul II le soulignait naguère (26 Oct. 94) en reprenant
l'enseignement de St Thomas d'Aquin. On ne peut parler, disait-il, de
consécration religieuse qu'en tant que développement de la consécration
baptismale. Elle est, disait-il, comme un nouveau baptême, un "baptismus
flaminis", un baptême "d'un souffle", le Souffle de
l'Esprit-Saint qui nous pousse à croire en Dieu, à l'aimer pleinement, "totaliter", du mieux de tout
notre être, "tel que l'on est et là
où l'on en est", car la sainteté de vie est une marche qui n'aura sa
plénitude que dans l'Eternité, au jour de notre plénière naissance en Dieu.
En cette fête du baptême de Notre Seigneur,
puissions-nous mieux prendre conscience de notre vocation baptismale.
Et merci aux Moniales de nous y encourager
par toute leur vie consacrée à répondre à l'amour du Christ pour nous.
Merci tout particulièrement et très vivement
à Mère Sous-Prieure
qui nous donne l'exemple de 60 ans de fidélité au Seigneur.
Et en m'adressant à elle, je me permets de
terminer par un mot d'humour. Aux souhaits et félicitations que l'on adressait
- pour la même raison - à mon prédécesseur comme curé de Solesmes, celui-ci
répondit avec un humour humble et malicieux : "Oh! Vous savez, je n'ai aucun mérite ; il suffit d'attendre
!".
Oui, mais il y a attente et attente ! Pour
décrire l'attente chrétienne, St Paul utilise un mot qu'il a forgé lui-même : "apokaradokia". C'est une
attente qui nous fait sans cesse nous dresser (kara) pour mieux voir (dokein)
le Seigneur qui vient au loin (apo) -
"Apokaradokia" !
Rendons grâce avec Mère Sous-Prieure
Et avec elle, que toute notre vie soit une attente
active du Seigneur qui est venu, qui vient en nos vies et qui reviendra en
sa gloire divine !
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