19ème
T.O. 16/C
Très souvent, il y a, en nous, deux
attitudes qui ne font pas toujours très bon ménage, du moins en un premier
temps : être en attente et être heureux.
Il est vrai que l'attente rend impatient,
nerveux, irritable au point qu’il nous arrive parfois de nous passer de quelque
chose plutôt que d'attendre cinq minutes ! Autrement dit, l'attente n’est ni
paisible ni heureuse. Au contraire, ce qui fait notre bonheur, c'est, surtout
en notre époque, d'arriver au but sans délai, sans obstacle, de mener une
affaire rapidement, rondement.
Avec de telles dispositions, on entre
difficilement dans l'esprit des lectures qui nous sont proposées aujourd'hui.
En effet, dans chacune, on retrouve des traces de cet alliage réussi entre bonheur
et attente. Et il est bon pour nous, si souvent impatients, de les
méditer !
“Restez
en état de service”, affirme l'Évangile. Restez en disponibilité...
comme une infirmière soucieuse de son
malade, en alerte d'un malaise possible,
comme un technicien qui toujours surveille
en vue d’une panne éventuelle !
Et que sais-je encore ?
“Heureux
les serviteurs trouvés en train de veiller !” Quelle drôle de situation de
bonheur ! Quand même !
Pourtant, l'auteur du Livre de la
Sagesse prête à ses ancêtres des sentiments de joie alors même qu'ils n'ont
reçu que des promesses : “assurés des
promesses auxquelles ils avaient cru, nos Pères étaient dans la joie”.
Et l'auteur de la lettre aux Hébreux,
dans l'éloge de la foi qu'il fait, rappelle que “la foi est la manière de posséder déjà ce qu'on espère”, ce qu’on
attend.
Oui, mais allez dire cela à un jeune garçon
que croire à sa bicyclette à dix vitesses, c'est déjà la posséder ! Allez dire
à un malade atteint d'un cancer généralisé que les promesses du Christ
suffisent à sa joie ! On voit bien qu'en plus de nos difficiles problèmes
quotidiens qui énervent notre patience quotidienne, il est difficile de vivre
heureux dans l'attente et la promesse.
Pourtant, pourtant..., les textes de la
Parole de Dieu sont clairs : le chrétien est appelé à vivre en état
d'attente, il est invité à la foi, il a reçu la vocation de
l'espérance. Et à travers tout cela, le bonheur et la joie lui sont
accordés, un peu comme cela se passe quelques fois. On peut quand même citer
quelques exemples !
- Avant un pèlerinage, on trouve
souvent une grande excitation et une grande joie à préparer l'itinéraire, faire
les réservations, écouter les amis qui racontent leurs découvertes.
Oui, le chrétien sait qu'il est un
voyageur, et déjà il met sa joie à se mettre en route.
- Avant une réunion de famille,
pendant qu'on fait les préparatifs, on a le temps de penser à tous ceux qui vont
nous rejoindre. Par la pensée, on prend le temps de s'arrêter à chacun des
invités. Et déjà, la joie remplit le cœur.
Oui, le chrétien sait qu'il est l'hôte
du Seigneur, et il met sa fierté à bien l'accueillir.
- Et bien d’autres exemples pourraient être
présentés comme celui de l’attente joyeuse d’une naissance…
Oui, le parcours de tout chrétien, un jour
ou l’autre, est marqué par l'expérience d’une attente, d'un manque,
d'une frustration ; et une frustration qui peut se tourner en joie ou en
souffrance tentatrice.
Une telle frustration n'arrive que rarement
dans les débuts d’une découverte du Seigneur. Au contraire, au
commencement dominent la joie, la consolation intérieure, l'impression heureuse
d'avoir enfin trouvé le Seigneur. Surtout si, à un moment de notre vie, une
grâce de conversion nous a été faite, ou encore si la première rencontre avec le
Seigneur fut éblouissante, bouleversante. Ou encore dans le sentiment très fort
d’une présence divine à telle ou telle occasion.
Dans ces cas, le choc est profond, et notre
vie semble basculer dans un océan de bonheur.
La frustration... - car le démon est
toujours là, lui, en attente, lui aussi -, ... la frustration n’apparaît qu'au
bout d'un certain temps. Au fur et à mesure des jours, des semaines, des
années, l'événement radieux de la découverte du Seigneur s'estompe. Bientôt, ce
n’est plus qu'un souvenir, un doux souvenir certes ; mais nous n'arrivons plus,
comme on dit, à en ressentir quoi que ce soit.
Pendant un temps, ce simple souvenir
suffira à nous contenter. Mais bientôt, un autre sentiment s'installe dans
notre cœur, avant même que nous soyons capables de nous l'avouer.
Au fond, nous sommes quelque peu déçus,
frustrés, et d'autant plus douloureusement, que nous sommes des “déçus de Dieu”
! Comment est-ce possible ? Tout semblait s'annoncer si différemment. Nous
avancions à pas de géant, nous courions, nous volions à la rencontre du
Seigneur. Et maintenant, alors que nous nous pensions si près de lui, le voilà
qui semble s'évanouir. Comment avons-nous pu nous étourdir à ce point ?
Précisément, l'évangile nous parle de
cette déception, et comment elle fait nécessairement partie de l'expérience
du croyant. Jésus nous avait séduits aussi longtemps que nous le sentions près
de nous. Mais le voilà parti comme pour un long voyage... Et personne ne sait
au juste quand il reviendra. Ni ses représentants parmi nous, ni les Écritures
qu'il nous a laissées. Au début, on ne cesse de l'attendre, mais à la longue,
nos espoirs faiblissent. Et puis, de Jésus, d’ailleurs, on ne parle plus guère
autour de nous, et encore moins de la divine surprise de son possible retour.
Reviendra-t-il vraiment, demandent certains ? Et si le doux souvenir que j'ai
gardé de la première rencontre avec lui n'était finalement que pure illusion,
comme certaines voix me le susurrent insidieusement ?
C'est alors que la frustration éprouvée
risque de tourner en vraie tentation. Certes, on ne peut oublier Jésus.
Mais il y a des tentations plus subtiles, plus insidieuses. Se distraire... -
cette "distraction" dont parle facilement le prophète Isaïe, et, chez
nous, notre grand Pascal -. Se distraire, faire passer le temps, agiter mille
choses, s'accrocher au premier venu, et essayer désespérément de combler ainsi
le vide que Jésus, momentanément disparu, a laissé se creuser en moi… Voilà
bien la tentation du démon, de sorte..., de sorte que je me retrouverai
stupidement ailleurs, à l'heure où le Seigneur reviendra, et qui sera aussi
l'heure - Jésus vient de nous en avertir - où je n'y penserai pas. Cette
tentation-là nous guette tous.
Aussi, l’évangile nous rappelle cette béatitude
première : “Heureux les
serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller”.
Seul le véritable amour persévère ainsi, au-delà de la déception, au-delà de
tout sentiment, amour blotti au plus profond d'un cœur que le retour à peine
différé de celui qu'il aime ne désespère pas, mais ne cesse de creuser comme
une joie indicible.
Cette ambivalence : joie certaine de
la rencontre prochaine de Dieu au-delà de la déception de ne pas sentir sa
présence actuelle, surtout au moment des difficultés, l’Eucharistie nous la
fait vivre dans la foi.
L’Eucharistie nous initie, nous invite à la
joie, à l’action de grâce pour la présence invisible du Seigneur sous les apparences
du pain et du vin ;
et, en même temps, elle nous projette vers
le futur, vers le retour certain du Seigneur… : “jusqu’à ce qu’il revienne” !
Oui, l’Eucharistie dominicale est un rappel
à être “en état de service” pour prendre ensemble le pain du
Seigneur, le pain de sa Parole, le pain de son Corps, le pain du partage
fraternel. C’est ce partage qui, au-delà de notre “soif de Dieu”, de sa
rencontre définitive, nous fait vivre dans une attente joyeuse. Aussi nous
est-il dit avec justesse : “heureux
les invités au repas du Seigneur” !
Et pour terminer, je vous transmettrai un
seul mot que St Paul a forgé pour décrire l'homme en attente, l'homme
d'espérance.
Il parle d'apo-kara-dokia (Cf. Rom 8.19 - Phil
1.20) :
Ce mot veut évoquer l'homme d'espérance qui est comme un guetteur, observant
attentivement et se tenant prêt pour le moment favorable.
Il dresse la tête (kara) pour épier (dokia
- dokein) et tâcher de découvrir au loin (apo) ce à quoi il s'attend.
Apokaradokia ! Se redresser de tout son
être pour essayer de mieux voir Celui qui va venir !
Ayons, chacun et tous ensemble,
cette attitude : se dresser pour apercevoir au loin le Seigneur qui vient !
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