Fête
de la Sainte Famille 15-16 -
Bonne Année à tous, à chacun en cette fin d'année 2015, au seuil de 2016 !
Au seuil d’une nouvelle
année, l'Eglise offre à notre contemplation la plus émouvante
des icônes : celle de la Sainte Famille.
Oui, le Fils
de Dieu a voulu imprégner d'un amour divin la réalité de la famille humaine !
Et cette
réalité de la famille humaine n’est pas une réalité statique ; elle est d'abord
une histoire, une évolution, un mouvement. On l'oublierait
volontiers. Et le témoignage des évangiles est là pour nous le rappeler.
Le jour de Noël, il nous fut donné de contempler un
jeune couple avec son enfant. Sans doute cette famille naissante échappe‑t‑elle
à la mesure commune. Mais de cela rien ne paraissait, car l'incarnation du Fils
de Dieu devait se jouer dans la réalité humaine la plus commune, la plus familière,
celle que nous connaissons bien.
Ce fut une naissance comme les autres, avec
tout ce que cela comporte à la fois de mystérieux et de simple, de pénible et
d'émouvant. Un couple uni par l'amour, un enfant aimé et puis... un secret. Mais chaque couple a son secret. Celui qui liait Marie et
Joseph était, certes, d'une profondeur incomparable. Mais il n'en paraissait
rien.
Ainsi commence
une famille : un homme, une femme liés par l'amour, puis un enfant qui grandit
sous le regard attentif et aimant de ses parents. “Cet enfant représente, disait naguère
le pape Jean-Paul II, la floraison de l’amour conjugal qui, en lui, se retrouve et se consolide.
En voyant le jour, il apporte un message de vie qui, en dernière analyse,
renvoie à l’Auteur de la Vie !”.
Tel est le
secret de toute famille !
Mais s'il est
relativement aisé de mettre un enfant au monde, fleur de l’amour conjugal, don
de l’Auteur de toute vie, il est moins facile faire con éducation, comme l'on dit, c'est-à-dire de l'élever, de le "ré-engendrer" jour après jour jusqu'à son accession à la peine liberté de l'âge adulte.
Et c’est là, encore
et toujours, œuvre de l’amour conjugal. Elever un enfant c'est essentiellement
l'aimer, l'aimer à deux, l'aimer de l'amour même dont on s'aime mutuellement.
La réussite d'un enfant est davantage le fruit de l'amour du couple parental
que de toutes les techniques d'éducation. Il a besoin que s'incruste en lui
l'image de deux visages unis, au point qu'il puisse un jour s'écrier en action de
grâce : "Mes parents m'ont aimé
comme ils s'aimaient".
L'amour du
couple pour son enfant doit revêtir les mêmes qualités que l'amour réciproque
des époux, tout au long des jours. D'ailleurs les enfants
soumettent souvent leurs parents à une sorte d’“examen” permanent. Ils le font ne serait-ce qu’à travers l’expression de leur visage, parfois
souriant, parfois voilé par la tristesse. C’est comme si, dans toute leur façon
d’être, était inscrite une interrogation : maman, papa, m’aimez-vous… ?
J'imagine que,
dans le cadre si attachant de Nazareth, Marie et Joseph ont accompagné cette
interrogation de l’enfant Jésus… !
Et voici qu'arrive le jour où l'enfant, devenu adolescent, donne les
premiers signes de liberté. Le besoin de s'éloigner de la tutelle de ses parents est une manifestation naturelle de la
croissance, comme en toute société d'ailleurs : car on ne peut pas,
on ne doit pas rester "enfant", physiquement, psycholo-giquement,
spirituellement, toute sa vie. Et la grâce d'"enfants de Dieu" qui nous a été
donnée ne doit pas conduire à une vie infantile. Elle doit s'exercer avec cette
pleine liberté que donne l'Esprit-Saint. St Paul le dit souvent ! (Le P. Anatrella - prêtre psychiatre bien connu - le dit
fortement dans un livre récent sur les Communautés religieuses).
Aussi, sur le plan humain - et même parfois
spirituel -, ce sont alors parfois les douleurs de l'affranchissement. C'est comme si l'enfant sortait
une seconde fois du sein maternel, en s'évadant du sein familial. Et c'est souvent le temps des conflits entre un jeune,
pressé de conquérir sa liberté, et des parents affolés de perdre leur petit jusqu'à
en éprouver une sorte de douleur inexprimable.
La Sainte Famille n'a pas échappé à cela. A
douze ans, Jésus s'affranchit d'une singulière façon. Il fait une
véritable "fugue". Non par opposition à sa famille, mais pour
manifester son indépendance et déjà signifier son exceptionnelle vocation.
Chacun a une vocation particulière - Dieu n'aime pas "en masse" ;
j'aime à le rappeler ; il aime toujours en particulier -... Chacun a une
vocation particulière qu'il doit accomplir avec pleine liberté en toute
société, une liberté à toujours respecter.
L'évangile nous montre que Jésus,
adolescent, a ainsi plongé ses parents dans l'angoisse ; et ceux-ci, l'ayant
retrouvé au Temple, ne lui épargnèrent pas leurs reproches. Sans doute, Jésus était Jésus, à nul autre
comparable ! Et pourtant… En affirmant devant ses parents qu'il se devait
d'être "chez son Père" (selon la nouvelle traduction
liturgique, plus fidèle au texte) , ceux-ci comprirent qu'il s'éloignait d'eux
pour rejoindre cet univers mystérieux auquel eux n'avaient pas encore accès.
Il est bon de remarquer ici que, selon St
Luc, ce furent les premières paroles de Jésus : "être chez son Père". Elles seront également ses
dernières paroles dans ce même évangile (Cf. 23.46 ; 24.49). Jésus lui-même,
selon St Jean, résumera parfaitement le sens de sa vocation : "Je suis sorti d'auprès Père - Je suis
venu dans le monde - et je vais vers le Père" (Jn 16.28). Du Père il est
venu pour nous conduire vers le Père ! Telle est bien sa vocation !
Marie et Joseph ont dû faire un effort
douloureux pour situer cet événement dans la trame humaine, commune, naturelle du
processus de croissance de tout adolescent en qui s'enfante un homme libre, en qui se dessine un destin personnel. L'évangile note
bien : "Mais ils ne comprirent pas
ce qu'il leur disait !". C’est déjà l’irruption
de l’inconnu au-dedans et au-delà des efforts d'amour les plus ingénieux de parents face aux provocations
de la liberté de
leur enfant. Paradoxe de l’éducation qui repose sur des convictions
mais ne jouit d’aucune assurance, qui ne s’affirme aujourd’hui que pour
s’effacer demain.
Que les parents
qui s'affolent parfois
des signes de libération en leur enfant, se souviennent
de ce qui est arrivé un jour dans l'existence de la Sainte Famille. Qu'ils invoquent
Marie et Joseph ! Car généralement, les bouleversantes manifestations de l'adolescence et ses contestations préludent
à une sorte de retour au calme. "Quant
à Jésus, est-il dit, il grandissait
en sagesse, en taille et en grâce sous le regard de Dieu et des hommes !".
Et, si le
témoignage d'amour des parents a été suffisant, la relation enfant‑parents,
passe peu à peu du plan vertical de l'obéissance au plan horizontal d'un amour profond
et réciproquement partagé ; elle devient une relation
de confiance, de confidences réciproques. Et la famille retrouve son équilibre,
sa sérénité et sa paix, prête à engendrer une nouvelle famille.
Nous ne savons
rien de l'existence familiale de Jésus, entre l'incident de sa
"fugue" au Temple et son entrée dans ce que l'on appelle sa vie publique.
Mais dès les
noces de Cana nous voyons réapparaître Marie avec son fils dans un rapport, justement, d'affectueuse confiance réciproque. Et déjà se dessine, alors, une nouvelle
famille : celle des disciples, avec qui il prendra
le repas pascal pour en faire le signe prophétique de l'immense famille humaine
réconciliée en lui.
Et puis ce sera
la croix d'où il confiera sa mère à ses apôtres et son Eglise à sa mère, avant
de la retrouver et de l'accueillir dans le Royaume du "Père" au matin de l'Assomption, pour une ineffable et éternelle confiance.
Entre la
souffrance de la croix et la gloire du ciel, Marie a très probablement passé
ses "vieux jours" au sein de la nouvelle famille engendrée par son
Fils
: l'Eglise naissante. Et c’est à ce niveau que doit nous
hisser tout sacrement de mariage.
Le Cal Etchegaray écrivait
: “Il faut
témoigner de l'originalité du mariage chrétien que si
peu de gens, et même si peu de chrétiens comprennent, le réduisant à un mariage
civil soupoudré de quelques rites religieux.
Le mariage chrétien est le symbole du don que le Christ fait de sa vie pour
l'Eglise, il est signe de l'alliance de Dieu avec son peuple. Ce thème mystique
peut paraître à certains inaccessible, voire irréel. Il demeure pourtant le
fond même du mariage chrétien où les époux annoncent prophétiquement, par leur
vie commune, la "création
nouvelle" où seront
parfaitement conjuguées l'intimité et l'universalité de l'amour, sans que la
première -
l'intimité - perde de sa profondeur, ni la seconde - l'universalité - de son
extension”.
Oui, comme
tout homme, Jésus a fondé une famille, l'Eglise, réalité humaine et
divine, l'Eglise, signe de la Famille divine, Père, Fils, Esprit-Saint en
laquelle toutes les familles de la terre sont appelés à s'insérer
éternellement. C'était son but à Jésus : quitter la Famille divine pour venir
en une famille humaine afin que toutes les familles de la terre puissent entrer
en la Famille de Dieu. Oui, le Fils de Dieu s'est fait homme pour que l'homme
devienne Dieu,
disait St Irénée. Et ce plan d'amour divin passe le plus souvent par la réalité
de la famille humaine.
N'oublions pas également que c'est à Marie qu'a été confiée la nouvelle "Famille" de son Fils, l'Eglise, signe familial à la fois humain et divin.
Aussi c'est en
elle que je vous redis, que je redis à toutes vos familles, quelles qu'elles
soient : "Bonne et
sainte Année"!
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