dimanche 11 octobre 2015

La véritable richesse qui ne peut être que reçue !


28ème Dim. T.O. 03/B

Un homme accourt vers Jésus, il s'adresse à lui avec déférence : "Bon Maître...". On ne manquait pas de maîtres en Israël, et de bons maîtres. Peut-être cet homme murmurait-il sincèrement, comme beaucoup encore, la prière du sage (1ère lect.) : "J'ai prié..., j'ai supplié... Et le discernement m'a été donné", avec "l'esprit de la sagesse" ! Et Jésus - Sagesse de Dieu - méritait bien l'appellation de "Bon Maître". Mais Jésus va soudain casser les convenances creuses, prendre une distance infinie : "Pourquoi m'appelles-tu bon ? Personne n'est bon, si ce n'est Dieu seul".
Réponse peu amène, convenons-en ! C'est que Jésus, dans un même instant, dans une même phrase, se transporte et au cœur de l'homme et au cœur de Dieu. Il ne reste plus rien alors des langages conventionnels, des titres et des distinctions, du rapport Maître et disciples ! Avec un sourire, j'imagine, il explique : "Dieu seul est bon !". Cela doit suffire ! Dieu seul ! Jésus, d'une manière ou d'une autre, veut toujours conduire l'homme vers Dieu, son Père et notre Père !

Mais Jésus consent tout de même à jouer le rôle du Maître. Comment avoir en héritage la vie éternelle ? - "Tu connais les commandements !". Et l'homme répond : "J'ai observé tous les commandements depuis ma jeunesse !". C'était un bon Israélite. L'Evangile nous dit qu'il était très riche. Il envisageait d'ajouter à son patrimoine et à sa connaissance une acquisition décisive et définitive : il voulait "avoir en héritage la vie éternelle". Mais peut-être n'avait-il pas suffisamment médité la suite de la prière du sage : "Tout l'or du monde auprès de la sagesse n'est qu'un peu de sable ; et en face d'elle l'argent sera regardé comme de la boue !".

Cependant, à ce point de la conversation, un vide soudain se creuse, celui d'un regard, celui qui s'ouvre à une présence unique. Le texte nous le dit avec une concision admirable : "Alors Jésus posa son regard sur lui, et se mit à l'aimer"
Jusqu'à ce moment de face à face, Jésus avait réagi comme distraitement, mais maintenant il regardait cet homme intègre, droit, pur, épris de sagesse, qui avait "observé les commandements depuis sa jeunesse"... Ce visage était celui de beaucoup de Juifs, façonné par la Loi et les traditions... C'était celui de l'Israël de Dieu, buriné par des siècles d'observance, par les commandements, les nombreuses prescriptions et les multiples rituels. Et cet homme, "Jésus se mit à l'aimer".

Mais l'humour de Jésus resurgit. 
A cet homme riche dont tous les besoins étaient satisfaits, Jésus dit avec le sourire : "Une chose te manque.. !". Que pouvait-il bien manquer à cet homme qui avait tout ? Il lui manquait de liquider son avoir, de le donner aux pauvres, et de partir à la suite de Jésus. Et Jésus ajoute d'un geste large : "Tu auras un trésor… dans le ciel !". 
Ce genre de placement à long terme, dans les banques célestes, laissa l'homme songeur. "Il devint sombre et s'en alla tout triste, car il avait de grands biens".
La suite va accentuer encore l'humour de Jésus. Il tire la conclusion : "Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d'entrer dans le Royaume de Dieu !".
Les disciples sont stupéfaits. Car, pour eux comme pour les Juifs de ce temps, comme pour nous encore, la richesse était le signe de la bénédiction divine. Il n'y a plus rien à y comprendre ! Et Jésus insiste pourtant : "Mes enfants, comme il est difficile d'entrer dans le Royaume de Dieu !". Il ajoute même : "Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu". Que de monde, alors, en train de piétiner devant la porte étroite du Royaume !

"Les disciples, de plus en plus déconcertés, se demandaient entre eux : Mais alors, qui peut être sauvé ?". Ils en connaissaient, de ces Juifs riches, généreux que tout le monde vénérait. Si ceux-là étaient face à Dieu comme des chameaux devant un trou d'aiguille, alors, tous, tous les hommes ne peuvent que désespérer ! Mais l'Evangile nous dit encore : "Jésus les regarde !". C'est la troisième fois en quelques lignes que nous retrouvons le regard de Jésus. L'épisode est intense. Et au moment où l'on attend la fin, voici que le débat va s'élargir encore.

Car c'est quand même la question des questions, la grande question : "Qui peut être sauvé ?". L'humanité serait-elle clouée à une impossibilité ? La réponse est l'une des paroles les plus libératrices et les plus vastes qui aient été jamais prononcées : "Pour les hommes, cela est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu". Quel abîme de lumière ! Malgré nos endurcissements, "tout est possible à Dieu". Qui a parlé à l'humanité un langage plus créateur ? Qui a murmuré au cœur de l'homme des mots d'une telle espérance ? 

Jésus se rit des titres et des grands biens ! "Dieu seul est bon !". Et les riches - rendez-vous compte ! - sont stoppés devant le Royaume comme un troupeau de chameaux accroupis. Le salut échappe aux prises des hommes, de tous les hommes. Ouvrez plutôt les yeux et regardez : "Tout est possible à Dieu !".
Ce fameux et étrange Royaume de Dieu que Jésus avait toujours à la bouche, c'est précisément le pays de ce qui est impossible à l'homme, c'est le pays que le prophète de Nazareth vient ouvrir de la part de Dieu. Celui où l'on avance en ouvrant des mains vides. Celui qui commence quand l'homme se décentre et vers Dieu et vers ses frères. 

Mais la subtilité souriante de Jésus nous conduit encore plus loin. Pierre intervient, toujours impétueux : "Nous avons tout quitté pour te suivre !". Jésus répond avec un humour croissant : "Vous allez recevoir le centuple, dès ce monde-ci !". L'énumération est burlesque. Le centuple en "maisons, frères, sœurs, père et mère, enfants et terres". Et il ajoute bizarrement : "avec des persécutions... !". L'homme riche qui voulait hériter de la vie éternelle n'en demandait pas tant ! Le centuple ! S'il avait su !

Quand l'évangéliste Marc a rapporté cette parole de Jésus, elle était savoureuse pour les petits groupes de chrétiens qui la répétaient. En réalité, Jésus fait allusion aux relations fraternelles, aux relations d'amour - d'un amour déjà divin, j'entends, et non uniquement sentimentale -, à ces profondes relations qui créent la véritable communauté de ses disciples : là chacun trouve des frères, des sœurs, des mères, des maisons accueillantes, une famille multipliée par cent !

Et au jour de la persécution, plus que jamais, on sait ce que représente une porte qui s'ouvre, la main d'un compagnon, le dévouement d'une femme. A Rome, à l'époque de Marc, alors que les chrétiens étaient traqués, ces quelques lignes de l'Evangile portaient une force singulière. 

Et par-delà les siècles, Jésus nous redit aujourd'hui : "Personne n'est bon... une chose te manque". Et c'est au moment où nous sommes accablés par nos pesanteurs et nos impossibilités qu'il nous affirme : "Tout est possible à Dieu". Comme s'il venait déployer sa force légère dans notre lourde faiblesse... et ouvrir ainsi un Royaume discret quand l'homme desserre ses mains possessives et consent à aimer. 

C'est toujours d'actualité ! Aussi, l'auteur de la lettre aux Hébreux avait raison d'écrire : "Elle est vivante (en nous) la Parole de Dieu... Elle pénètre jusqu'au plus profond de l'âme... Tout est nu devant elle... Nous aurons à lui rendre des comptes !". 

La Parole de Jésus nous appelle toujours à loin ! Aussi, se rit-il avec humour de nos avoirs, de nos sagesses et de nos maisonnées. Il veut nous ouvrir à plus vaste : l'homme est plus grand que ses prises et que ses vœux. Un appel divin, un destin divin veulent faire éclater son écorce. Et, chrétiens, c'est de cette disproportion que nous devons sans cesse être façonnés. Même parfois déconcertés et même pécheurs englués en nos petitesses, allons-nous entendre le Christ - Parole de Dieu, Sagesse de Dieu - nous redire ce matin et toujours : "Venez à ma suite, car à Dieu seul tout est possible !"

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