mercredi 18 février 2015

Carême !

Mercredi des Cendres

A trois reprises, dans cet évangile, nous avons entendu Jésus dire : “Ton Père voit dans le secret !”.  A trois reprises, Jésus nous encourage à situer notre action, pendant ce carême, dans le domaine des choses qui ne se voient pas. Et à quatre reprises, Jésus nous a mis en garde contre les manifestations visibles et même spectaculaires. Ce n'est pas là que se construit le Règne de Dieu. Il faut toujours faire attention au “paraître”. "Pour connaître Dieu, disait St Jean de la Croix toujours tranchant, l'esprit doit plutôt renoncer à ses lumières que chercher à s'en servir !".

Ce que Jésus veut dire, c'est que la véritable conversion est d'abord intérieure. Elle couronne ce désir, cette recherche de Dieu… la "quête de Dieu", malgré parfois les circonstances douloureuses, les questions difficiles qui peuvent nous en éloigner…  C’est cela qui compte : cette relation profonde avec le Seigneur, même si, parfois, le Seigneur nous paraît bien loin de nous et de nos difficultés…  Mais "c'est peut-être, commentait Karl Rahner, pour que nous puissions mieux le trouver que Dieu fait semblant de nous abandonner !". Car on s'aperçoit alors que ce n'est pas Dieu qui est silencieux, c'est nous qui sommes sourds !
Aussi, sans ce désir silencieux de Dieu, sans cette recherche intérieure, de cœur, toute pratique extérieure est nulle. A l'inverse, bien sûr, ce désir, cette recherche authentique se traduisent, souvent, en actes concrets. Et l'Evangile d'aujourd'hui nous en indique trois : le partage, la prière et le jeûne.

Très exactement situé dans la tradition des prophètes juifs, Jésus commence par inviter à un partage vrai. On se souvient du prophète Isaïe proclamant : “Le jeûne qui me plaît c'est de dénouer les liens de servitude et de libérer le frère enchaîné” (Is. 58/6). C'est bien dans cette même tradition que Jésus situe ses recommandations. L'effort de justice commence par un vrai partage. Mais de quel partage s’agit-il ?

Beaucoup - et j'en ai été parfois le témoin émerveillé ; et vous en êtes témoins également -, beaucoup pratiquent le partage matériel. Et c’est bien, merveilleux de voir quelqu'un qui peut donner et qui effectivement donne !
Cependant, il est toujours bon de s'interroger : il n'y a pas que l'argent ou les biens matériels. Il y a la disponibilité, l'amabilité (malgré nos diverses souffrances physiques ou morales)… Il y a surtout notre foi, notre espérance, notre charité. Savons-nous partager cette richesse suprême qu'est notre relation au Christ avec tous ceux qui nous entourent. Certes, c'est parfois difficile. Mais en avons-nous au moins le désir ? Partager ce que l’on est plus que ce que l’on a ! Le but de la vie cénobitique (de la vie ecclésiale), n'est-ce pas, avant tout, ce partage d'un élan incessant vers Dieu ? Moi qui vis de façon quelque peu érémitique, chaque fois que l'un de mes frères vient jusqu'ici, je trouve souvent quelque chose d'admirable chez lui... ! Et cela m'encourage... ! Il ne faut pas toujours remarquer les défauts de nos frères et sœurs, mais bien plutôt leurs qualités, leur foi, leur espérance, leur amour de Dieu. C'est là que se situe le vrai partage, ne l'oublions pas !

Sur notre manière de prier également, Jésus nous questionne. Ce qui importe, nous dit-il, c'est la rencontre cœur à cœur avec le Père. Les prières enthousiastes de certains groupes dynamiques sont justes et appréciables… ! Nos prières de demande sont également légitimes… ! Mais encore et surtout être capables de prière “gratuite”, si je puis dire : se tenir devant Dieu, dans le secret, sans autre raison que d'être avec lui ! Paul Claudel s'écriait dans sa prière : "Allez ! Je ne vous demande rien, mon Dieu ! Vous êtes là, et c'est assez !".

Le passage où Jésus nous parle de la manière de jeûner concerne en réalité presque davantage la joie de vivre. L'effort de pénitence et de conversion que symbolise le jeûne ne nous retire pas de la vie active et des relations normales avec les autres. C'est, en effet, une offrande joyeuse qu'attend le Seigneur : “Dieu aime celui qui donne avec joie”. (2 Cor 9/7). Le carême ne doit pas nous couper de la vie, de nos frères mais nous y rendre sans doute plus attentifs. C'est ainsi que Jésus lui-même s'est comporté : tourné vers le Père, il restait néanmoins très présent (Mth 11/19), mangeant et buvant avec tous, même si on le lui reprochait. - Et ce jeûne-là convient bien à la prière. St Bernard disait : "Le jeûne et la prière vont ensemble : la prière obtient la force de jeûner ; et le jeûne mérite la grâce de la prière !".

Décidément, la croissance du Règne de Dieu ne se mesure pas aux manifestations extérieures. C'est dans le silence que se joue le salut du monde, aujourd'hui comme au temps de Jésus. La célébration à laquelle nous participons, même en petit nombre, est déjà l'annonce et le signe de cette efficacité mystérieuse du partage, de la prière et du jeune dans l'attente de la résurrection. 

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