Mercredi des Cendres
A trois reprises, dans cet évangile, nous avons
entendu Jésus dire : “Ton Père voit
dans le secret !”. A trois
reprises, Jésus nous encourage à situer notre action, pendant ce carême, dans
le domaine des choses qui ne se voient pas. Et à quatre reprises, Jésus nous a
mis en garde contre les manifestations visibles et même spectaculaires. Ce
n'est pas là que se construit le Règne de Dieu. Il faut toujours faire
attention au “paraître”. "Pour
connaître Dieu, disait St Jean de la Croix toujours tranchant, l'esprit doit plutôt renoncer à ses lumières
que chercher à s'en servir !".
Ce que Jésus veut dire, c'est que la véritable
conversion est d'abord intérieure. Elle couronne ce désir, cette recherche
de Dieu… la "quête de Dieu", malgré parfois les circonstances
douloureuses, les questions difficiles qui peuvent nous en éloigner… C’est cela qui compte : cette relation
profonde avec le Seigneur, même si, parfois, le Seigneur nous paraît bien loin
de nous et de nos difficultés… Mais "c'est peut-être, commentait Karl
Rahner, pour que nous puissions mieux le
trouver que Dieu fait semblant de nous abandonner !". Car on
s'aperçoit alors que ce n'est pas Dieu qui est silencieux, c'est nous qui
sommes sourds !
Aussi, sans ce désir silencieux de Dieu, sans cette
recherche intérieure, de cœur, toute pratique extérieure est nulle. A
l'inverse, bien sûr, ce désir, cette recherche authentique se traduisent,
souvent, en actes concrets. Et l'Evangile d'aujourd'hui nous en indique trois :
le partage, la prière et le jeûne.
Très exactement situé dans la tradition des
prophètes juifs, Jésus commence par inviter à un partage vrai. On se
souvient du prophète Isaïe proclamant : “Le
jeûne qui me plaît c'est de dénouer les liens de servitude et de libérer le frère
enchaîné” (Is. 58/6). C'est bien dans
cette même tradition que Jésus situe ses recommandations. L'effort de justice
commence par un vrai partage. Mais de quel partage s’agit-il ?
Beaucoup - et j'en ai été parfois le témoin
émerveillé ; et vous en êtes témoins également -, beaucoup pratiquent le
partage matériel. Et c’est bien, merveilleux de voir quelqu'un qui peut donner
et qui effectivement donne !
Cependant, il est toujours bon de s'interroger : il
n'y a pas que l'argent ou les biens matériels. Il y a la disponibilité,
l'amabilité (malgré nos diverses souffrances
physiques ou morales)… Il y a surtout notre foi, notre
espérance, notre charité. Savons-nous partager cette richesse suprême
qu'est notre relation au Christ avec tous ceux qui nous entourent. Certes,
c'est parfois difficile. Mais en avons-nous au moins le désir ? Partager ce
que l’on est plus que ce que l’on a ! Le but de la vie cénobitique (de la vie ecclésiale), n'est-ce pas, avant
tout, ce partage d'un élan incessant vers Dieu ? Moi qui vis de façon quelque
peu érémitique, chaque fois que l'un de mes frères vient jusqu'ici, je trouve
souvent quelque chose d'admirable chez lui... ! Et cela m'encourage... ! Il ne
faut pas toujours remarquer les défauts de nos frères et sœurs, mais bien plutôt
leurs qualités, leur foi, leur espérance, leur amour de Dieu. C'est là
que se situe le vrai partage, ne l'oublions pas !
Sur notre manière de prier également, Jésus
nous questionne. Ce qui importe, nous dit-il, c'est la rencontre cœur à cœur
avec le Père. Les prières enthousiastes de certains groupes dynamiques sont
justes et appréciables… ! Nos prières de demande sont également légitimes… ! Mais
encore et surtout être capables de prière “gratuite”, si je puis dire : se
tenir devant Dieu, dans le secret, sans autre raison que d'être avec lui ! Paul
Claudel s'écriait dans sa prière : "Allez
! Je ne vous demande rien, mon Dieu ! Vous êtes là, et c'est assez !".
Le passage où Jésus nous parle de la manière de jeûner
concerne en réalité presque davantage la joie de vivre. L'effort de
pénitence et de conversion que symbolise le jeûne ne nous retire pas de la vie
active et des relations normales avec les autres. C'est, en effet, une offrande
joyeuse qu'attend le Seigneur : “Dieu
aime celui qui donne avec joie”. (2 Cor 9/7).
Le carême ne doit pas nous couper de la vie, de nos frères mais nous y rendre
sans doute plus attentifs. C'est ainsi que Jésus lui-même s'est comporté :
tourné vers le Père, il restait néanmoins très présent (Mth 11/19), mangeant et buvant avec tous, même si on le lui
reprochait. - Et ce jeûne-là convient bien à la prière. St Bernard disait : "Le jeûne et la prière vont ensemble :
la prière obtient la force de jeûner ; et le jeûne mérite la grâce de la prière
!".
Décidément, la croissance du Règne de Dieu ne se
mesure pas aux manifestations extérieures. C'est dans le silence que se
joue le salut du monde, aujourd'hui comme au temps de Jésus. La célébration à
laquelle nous participons, même en petit nombre, est déjà l'annonce et le signe
de cette efficacité mystérieuse du partage, de la prière et du jeune dans
l'attente de la résurrection.
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